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Le cauchemar de la nuit des Coupes - 2

Bien des lecteurs me prendront pour un affabulateur de la pire espèce.

Comme j'aimerais que ce fût le cas - suite et fin (1er volet à lire absolument)

Plaqué au sol, respiration coupée, je regardais l'effroyable cortège passer à trois mètres de moi. Les motos laissaient derrière elles un étrange sillage vert et phosphorescent, un peu à la manière des bateaux dans les mers australes.

Le cauchemar de la nuit des Coupes - 2
Le cauchemar de la nuit des Coupes - 2

Je restais là plusieurs minutes, incapable de formuler une explication à ce phénomène surnaturel. Que se passait-il donc ici ? Il fallait que je comprenne.

Dos courbé, avec mille précautions, je traversais le chemin et grimpais le talus d'en face pour me diriger vers l’inquiétante lumière verte qui avait gagné en intensité depuis tout à l'heure.

Rendu encore plus prudent qu'auparavant par ma rencontre avec ces motos zombies, j'atteignis enfin le haut de la crête et risquais un coup d'oeil de derrière un rocher.

De ma cachette, je vis un spectacle que rien, dans ma vie, ne m'avait préparé à être le témoin. Je surplombais un grand cirque aux parois peu pentues. Au milieu tournaient en cercles concentriques des centaines de motos, toutes sans pilote, toutes au pas. Elles laissaient derrière elles ce sillage vert phosphorescent et toute la scène était baignée de cette lumière maléfique.

Au centre se tenait un être qui défiait toute tentative de description. Il s'agissait d'un amoncellement de pièces métalliques comme perpétuellement en chute lente sur lui-même. La... chose n'avait pas à proprement parler de forme. Un moment elle m'évoquait une termitière gigantesque et à un autre une nuée ardente volcanique. À sa base s'élevaient des fumerolles d'un jaune maladif.

Scrutant mieux, je m'aperçus que les motos ne circulaient pas pêle-mêle, mais s'étaient rangées par époques, les plus anciennes au centre. Celles-ci laissaient un sillage plus dense, plus épais que les machines récentes roulant à la périphérie, comme s'il s'agissait de la manifestation d'une sorte de hiérarchie.

Puis, d'un seul coup, le manège s'arrêta. En un mouvement, toutes les motos assemblées pivotèrent pour faire face à la créature. Celle-ci perdit de la hauteur et projeta vers chacune des machines un filament noir, luisant et comme dégoûtant d'huile lourde. On aurait juré une araignée tissant une toile de ténèbres. Le silence s'était fait et je relevais pour la première fois les nuages sombres et épais qui roulaient au-dessus de la scène.

J'allais me redresser pour mieux voir quand je sentis soudain une présence dans mon dos. Épouvanté, je fis volte-face et me retrouvais nez à nez avec... un pneu avant de moto, à moins d'un mètre de mon visage. J'allais pour crier quand je remarquais qu'il s'agissait de ma propre monture, immobile. Elle se tenait droite sur ses roues, sans béquille, sans moteur. Je ne l'avais pas entendue s'approcher.

Étrangement, je ne sentais pas d'hostilité dans sa présence ; bien au contraire, qu'elle soit là me rassurait. Quelque chose dans son... attitude... me soufflait que je n'avais rien à craindre.

Je restais là, incertain. L’inexplicable messe en contrebas me mettait très mal à l'aise. Je ressentais des forces maléfiques à l'oeuvre. Mais que faire ? J'avais le pressentiment qu'une intervention de ma part se solderait par une mort rapide. Cette chose allait se jeter sur moi et me dépecer.

Je décidais de m'en tenir là et de ne pas tenter de diable. J'allais pour faire demi-tour quand, du genou, je délogeais une pierre qui dévala quelques coudées. Dans le silence, le claquement de sa chute dénonça ma cachette à la créature horrifiante.

Malgré son absence de globes oculaires ou toute espèce d'organe de vision, je sentis son regard fouiller l'ombre du sous-bois et rencontrer le mien.

Elle poussa un cri qui rappelait le raclement d'une lame sur de la tôle et projeta dans ma direction un filament noir. Simultanément, ma moto démarra puis emballa son moteur pour faire demi-tour sur place en chassant du pneu arrière. Elle se mit à klaxonner en donnant des coups de gaz insistants. Pris d'une inspiration soudaine, je sautais en selle. Quelque chose me heurta l'épaule.

Dans mon dos, un millier de moteurs démarrèrent dans la même seconde, dans un vacarme de fin du monde.

Ma moto bondit en avant. Par réflexe, j'attrapais le réservoir et me couchais dessus pour ne pas prendre de branche en plein visage. Phare éteint, je ne pouvais que deviner notre vitesse de déplacement dans ce bois obscur, qui me semblait tout à fait déraisonnable. Des rameaux griffaient violemment le carénage.

Dans un grand choc, ma moto déboucha sur le chemin de terre en contrebas. D'instinct, je tendis les bras vers le guidon pour reprendre le contrôle, mais ma moto s'ébroua comme un cheval, refusant que je touche aux leviers. Elle alluma son phare et je m'aperçus que nous roulions effectivement à tombeau ouvert sur ce chemin étroit.

Je me retournais et vis plusieurs faisceaux lumineux percer le nuage de poussière soulevé par notre course folle. Une idée bizarre me traversa l'esprit : ma propre machine serait-elle capable de distancer ces motos-zombies alors que certaines étaient des engins de compétition ?

Le chemin fit place à une route de bitume rectiligne et lisse. Ma moto accéléra encore. Je cessais d'être chahuté dans tous les sens. Je me retournais une fois de plus et fus saisi d'effroi à la vue de cette innombrable meute mécanique à nos trousses, phares allumés et moteurs hurlants.

Au-dessus du bois que nous venions de quitter s'enroulait un nuage circulaire, très sombre, ourlé de violet, parcouru d'éclairs horizontaux. Encore quelques centaines de mètres et nous allions émerger de sous sa base.

Le moteur de ma moto eut un raté, puis fit une embardée, comme prise de faiblesse. Par réflexe, je mis les mains sur le guidon. C'était une impression étrange, comme si quelque chose d'autre exerçait une force conjointement à la mienne, une force qui n'était pas humaine, mais mécanique, bien plus puissante que mes bras.

Sur une nouvelle embardée, je repris tout à fait les commandes et ouvris les gaz en grand. Ma machine répondit normalement. Dans les rétroviseurs, j'aperçus quelques phares s'éteindre, puis une moto chuter dans une gerbe d'étincelles. Étais-je en train de quitter le périmètre d'influence de la créature ?

Prudemment, je rendis les gaz, puis m'arrêtais. Rangées en un demi-cercle hostile à cent mètres de moi, les motos zombies faisaient rugir leur moteur de rage. Elles ne pouvaient plus m'atteindre. J'étais sauvé.

C'est alors que je pris conscience d'une douleur dans l'épaule gauche. Une tache noire souillait ma chemise. Sous le tissu, je sentis un caillot gluant. La créature m'avait donc blessé dans ma fuite.

Je sortis un mouchoir et entrepris de m'essuyer, mais en vain. Cette sorte de goudron m'adhérait à la peau. Je décidais de m'en soucier plus tard.

Je tentais de calmer les battements de mon coeur. Je pris plusieurs grandes inspirations dans l'air frais de la nuit.

Que faire, maintenant ? Qui prévenir ? Qui me croirait ? Comment intervenir ?

Je finis par passer la première et m'éloignais de la meute de motos zombies.
Je fus soudait très fatigué. Je m'arrêtais, coupais le moteur et béquillais. En selle, je croisais les mains sur le guidon. Je m'endormis immédiatement dans cette position peu confortable.

Lorsque je repris conscience, le soleil était déjà levé. J'étais perclus de courbatures. Je me retournais et ne vis rien du côté de Prenois : le nuage noir avait disparu. Je voulus en avoir le coeur net. Je fis demi-tour et pris le chemin du circuit.

Tout y semblait normal. Le camping s'éveillait. De retour à mon hamac, rien n'avait bougé. Je partis prudemment dans la direction qu'il me semblait avoir prise la nuit précédente. Je débouchais bien vite sur le petit chemin piétonnier qui longe la piste par l'intérieur et retrouvais la disposition familière des lieux : le grillage, la pelouse, puis le tarmac, souligné par les vibreurs.

Pourtant, je n'avais pas rêvé : la marque noire persistait sur mon épaule malgré mes tentatives de l'effacer et sur son carénage, ma moto portait les vilaines estafilades de notre course à travers bois.

C'est plein de perplexité que je finis par quitter le circuit et regagnais mon domicile.

En tournant au coin de ma rue, je vis, béquillées sur le trottoir, de part et d'autre de ma porte d'entrée, une Norton Commando jaune et une BSA Gold Star, comme deux sphinx qui m'attendaient.

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Attention Kronik ! 100% mauvaise foi ! Ceci n'est pas un article ni une brève (voir historique si nécessaire). L'abus de kronik peut être dangereux pour la santé de certains. Ne pas abuser.

Commentaires

XM

normalement grâce à cette marque tu va pouvoir désormais communiquer avec les motos par la pensée, et pour l'apéro un cocktail 10W40/DOT5 servi dans une tête de piston
et ce qui te démange sur les tempes ce sont les rétros qui poussent...

06-06-2023 07:48 
la carpe

"Objets inanimés, avez-vous donc une âme ?"

06-06-2023 08:58 
Tortue Ninja

Kronik qui n'est pas sans rappeler une histoire de "Métal Hurlant" avec une voiture de course.
Comme quoi les bons auteurs peuvent se retrouver sur des inspirations proches, mais avec des récits bien différents.

Plus prosaïquement, et bien que ne connaissant pas le camping de Dijon-Prennois (mais établissant un parallèle avec celui du Mans lors des 24 heures) je suppose que cette belle histoire "vécue" (n'en doutons pas), le fut au travers de boissons "ad hoc"...

06-06-2023 10:34 
lunamilio

Il serait peut-être judicieux de prévenir l'équipe de Scooby-doo. Ils arriveraient rapidement avec leur Mistery-Machine, et résoudraient rapidement l'enquête.

Sans doute juste des hologrammes, un système audio, un canon à fumée, et une belle mise en scène. Le tout orchestré par un habitant voisin du circuit, cherchant à forcer la fermeture pour gagner en tranquillité.

06-06-2023 13:20 
phil.fcpt

Je ne sais pas ce que tu prends, KPOK, mais j'en veux bien ...

06-06-2023 15:24 
Goupil62

Belle histoire, bien écrite : Kpok peut désormais, travailler à Hollywood.

Son cachet devra être deux fois supérieur à celui du RdM.

Bah, avec ce qu'il prend, le salaire se réduit comme peau de chagrin 🤣

06-06-2023 20:03 
chourave

Ah oui ?

Moins séduit, je n'y retrouve pas le ciselé fin des autres chroniques...
Ca accroche à la lecture, comme une ébauche, et la plume habituelle n'y est pas.

Avouez Kpok, pour les histoires de fantômes, il y a un nègre ?

06-06-2023 23:45 
XM

c'est surtout que ça appelle une suite qui ne semble pas prévue.
mais bon il paraît que c'est dans la frustration qu'on se construit...

07-06-2023 08:16 
KPOK

Chourave : c'est le souci des récits qui manquent de place.
Je tasse pour tenir en deux épisodes une histoire qui en ferait facilement le double -où là, je pourrais fignoler.

Or, les longs récits sur le Repaire ne font pas de clic.

Et le clic, c'est la vie.

07-06-2023 13:04 
Tortue Ninja

Parce que la sacro-sainte Kronik est elle aussi soumise à la terrible "loi du clic" ???
question

sos Y'a plus d'respect mon bon M'sieur... sos

07-06-2023 21:47 
KPOK

Le Clic est notre Maître, maintenant.

08-06-2023 08:14 
inextenza

Ah donc tu t’es fait courser par ça:

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question dingue

08-06-2023 08:54 
 

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