Le cauchemar de la nuit des Coupes
Bien des lecteurs me prendront pour un affabulateur de la pire espèce.
Comme j'aimerais que ce fût le cas
À la lecture du récit que je vais faire des événements de cette nuit funeste, bien des lecteurs me prendront pour un affabulateur de la pire espèce. Comme j'aimerais que ce fût le cas. La marque qui palpite maintenant sur mon épaule est la preuve tangible que je ne rêvais point.
Mais reprenons du début.
Ce matin de mai, je me rendais comme bien d'autres motards aux Coupes Moto Légende. Cette année, j'avais décidé de rester les deux jours sur place au lieu de m'en retourner chez moi le soir venu. Aussi avais-je sanglé sur la moto de quoi y passer la nuit : mon hamac de toile, une bâche imperméable au vent et à la pluie et ce confortable duvet qui m'avait fidèlement servi dans bien des périples.
De la manifestation elle-même, je ne dirai rien : ce serait un encombrement inutile au récit qui va suivre.
Vers dix-neuf heures, une fois la dernière session achevée, le calme revint sur la piste. Je me mis alors en quête d'un endroit où suspendre mon hamac avant d'aller dîner. Je me dirigeais instinctivement vers la lisière sud-ouest du circuit, en direction de la combe aux Échos. Du bout du parking fermé, je pris à gauche un étroit sentier qui serpente en direction du couchant. Un bref moment, par une trouée d'arbres, je vis se découper dans la lumière déclinante la silhouette des ruines du château de Mâlin.
En lisière d'une petite clairière, j'avisais deux vigoureux charmes distants des sept enjambées nécessaires à accrocher mon couchage. L'opération ne me prit que quelques minutes tant je l'avais déjà fait maintes fois. Si le temps semblait clément, je n'en montais pas moins ma bâche imperméable en prévision de la rosée matinale.
Je fis un rapide souper en compagnie de quelques connaissances puis me glissais dans mon duvet à une heure à peine avancée. Je m'endormis sans peine dans la rumeur faiblissante du circuit.
Il me faut ici faire une parenthèse : dans la tradition mystique indienne, il se passe quelque chose de particulier entre trois heures vingt et trois heures quarante du matin. Il l'appellent Brahma Muhurtam. Le yogi qui m'en avait parlé il y a plusieurs années était resté vague quant à sa signification malgré mes questions. Sa réticence avait piqué ma curiosité, mais mes recherches ne m'en avaient pas appris beaucoup plus. Je savais juste ceci : à cette heure de la nuit, aux alentours du solstice d'été, quand le soleil est au zénith de l'autre côté de la planète, il se "passe quelque chose". Souvent, je me réveille sans raison exactement à la même heure : trois heures dix-sept. Je l'attribue à Brahma Muhurtam.
Aussi ne fus-je pas surpris d'émerger du sommeil exactement à cette minute-là. Je consultais ma montre pour confirmer ce que je soupçonnais puis entrepris de me rendormir sur un haussement d'épaules mental.
Mais là... quelque chose me fit retenir ma respiration. Tout à coup en alerte, j'eus la nette impression que quelque chose était en train de rôder autour de mon hamac. Je ne sais comment, mais j'eus dans l'instant la certitude qu'il s'agissait d'une présence hostile et malfaisante. Ne me demandez pas comment je l'ai su : c'était une évidence qui s'imposait à moi-même. Il y avait là, dehors, quelque chose qui me voulait du mal.
Le noir était complet. Je ne pouvais compter que sur mon ouïe. Or, je n'entendais rien : nul bruissement sur le sol, pas une feuille morte foulée par une patte, pas une brindille brisée par un pied. Je restais ainsi plusieurs interminables minutes, parfaitement immobile, respirant la bouche grande ouverte pour ne pas faire de bruit, m'attendant à chaque seconde à surprendre le grondement sinistre de quelque bête errante.
Puis j'entendis le bruit. Une sorte de roulement sourd, comme une lourde porte d'acier qui s'ébranle sur des rails de fer. De sous la toile de mon abri, il me sembla distinguer une faible lueur verte, sur ma gauche. Je perçus aussi de faibles cliquetis, comme si quelqu'un faisait rouler de petites rondelles métalliques dans le creux de sa main. Il se passait quelque chose.
Avec d'infinies précautions, je me dégageais de mon duvet, passais mon pantalon et laçais mes chaussures. En posant le pied par terre, je remarquais une faible brume luminescente à quelques centimètres du sol. Puis je pris conscience du pesant silence qui, par ailleurs, régnait sur le campement autour de moi ; d'ordinaire, il y a toujours un peu d'activité la nuit : des marcheurs nocturnes trahis par leur lampe-torche, les bruissements étouffés des dormeurs, des attardés qui parlent encore. Mais là : pas un bruit, comme si j'étais seul à des kilomètres à la ronde.
Un éclair, sur ma gauche, me fit tourner la tête. La lueur verte que j'avais aperçue tout à l'heure se faisait plus forte.
Il est incroyablement compliqué de marcher dans un bois par une nuit noire. Aussi j'avançais un pas après l'autre, un bras tendu devant moi, l'autre en travers de mes épaules pour protéger mon visage. Le sourd roulement métallique de tout à l'heure s'était fait entendre plusieurs fois de suite, comme un signal, avant de s'éteindre. J'entendais toujours les faibles cliquetis métalliques, devant, à droite et à gauche.
J'arrivais sur un chemin de terre. Je supposais qu'il s'agissait du chemin piétonnier qui longe l'intérieur de la piste. Je m'attendais à trouver devant moi le grillage de sécurité puis la piste dont j'espérais repérer les bacs à gravier, plus clairs sur l'ombre du tarmac.
Or, il n'en était rien. À la place de la piste, je trouvais un talus abrupt et une nouvelle rangée d'arbres. C'était impossible. Je connais bien les abords du circuit et je sais que j'aurais dû déboucher à un moment donné sur la piste.
Puis j'entendis des cailloux rouler sur le chemin. Mon instinct me dicta de reculer vivement de plusieurs pas et de me mettre à couvert sous les arbres.
C'est alors que je les vis.
Aucun mot ne peut exprimer le niveau de terreur que je ressentis à ce moment-là. Un spectacle à la fois banal et complètement surnaturel, impossible, effarant.
Sur la piste, avançaient au pas plusieurs motos, feux éteints. À leur tête, je reconnus le caractéristique réservoir ventru frappé d'une étoile blanche et le large guidon d'une Harley-Davidson WLA.
Sans personne dessus. Sans conducteur ni passager. Les motos avançaient seules, moteur éteint...
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Commentaires
Y'en a un qui a usé et abusé de la mescaline !! 🤓
30-05-2023 10:34J'adore. Le style et l'atmosphère. vivement la semaine prochaine
30-05-2023 13:47C'est sûr.
Imaginer des HD sur piste, faut avoir pris des hallucinogènes pour imaginer des trucs pareils 30-05-2023 15:00
Sur la piste j'aurais plutôt pensé à une Indian !
La suite; la suite ! 30-05-2023 15:44
Salut
30-05-2023 16:22Fift
Quoi que :
[moto-station.com]
V
Faut juste remonter les commandes aux pieds pour ne pas frotter et inclure un turbo au moteur !
30-05-2023 17:55Pourquoi ne pas écrire cette histoire au passé simple plutôt qu'à l'imparfait ?
31-05-2023 07:14je suis une quiche en concordance des temps
31-05-2023 07:25d'ordinaire, je m'en tiens au présent.
Pourquoi ne pas écrire cette histoire au passé simple plutôt qu'à l'imparfait ?
31-05-2023 11:46Parce que le passé n'est pas aussi simple que l'on s'imagine, et même si c'est déjà bien écrit, on sait malgré tout que c'est imparfait...
Euh... j'vais p'têt' me recoucher, moi
Je l'savais : les matériaux de ton hamac libèrent une substance au contact de l'humidité de la nuit. Tu respires ça et PAF! Visions!
31-05-2023 13:21Il va se réveiller.
31-05-2023 16:13Je me demande si Kpok n'a pas mangé une salade ou une omelette aux champignons magiques ?
01-06-2023 08:49Qui sait, cela peut-être bon ? ...