Le cabochon de clignotant au travers des âges

Monographie sur l'évolution de l'esthétique et des méthodes de fabrication des cabochons de clignotants

Peut-être qu'un jour un thésard potentiel en mal de sujet décidera-t-il de rédiger sa monographie sur l'évolution de l'esthétique et des méthodes de fabrication des cabochons de clignotants sur les engins à moteur de l'ère industrielle. En attendant ce jour heureux et plein d'allégresse -qui sera marqué par le défilé d'une force militaire étrangère sur les Champs Élysée, comme d'hab'- je te livre ici, grand veinard, un avant-goût de son propos.

Au Commencement des Temps -c'est à dire la période qui englobe les deux grandes boucheries mondiales- le cabochon est rond. Seule évolution notable à partir de 1940 : le passage très progressif du verre au plastique, signalant le début de la lente agonie économique de la vallée de Sanfoin (Savoie Maritime), capitale mondiale du cabochon de clignotant soufflé à la bouche, dont la première usine fut fondée en 1898 par le visionnaire Albert Cojasse.

Tout bascule en avril 1944, quand Isidore Bougenoux, dans une de ces fulgurances qui n'adviennent qu'une fois par vie, invente le cabochon de clignotant rectangulaire. La légende veut qu'il ait posé un cabochon de rechange qu'il venait d'acquérir pour sa Juvaquatre sur une boîte à pilules émaillée appartenant à sa grand mère. Et paf ! Eclair de génie. En ces temps incertains, il néglige cependant de faire breveter son invention, la présente à la Foire de Paris de 1946, se fait chiper son idée et meurt dans la misère et l'indifférence vingt ans plus tard.

Le cabochon rectangulaire convainc instantanément les constructeurs : ils sautent sur l'aubaine d'une invention aussi géniale que non brevetée. Dans les bureaux de style, c'est l'euphorie. Le rectangulaire marque la fin de l'étroit carcan du circulaire qui domine depuis quarante ans : un vent de liberté souffle sur l'automobile et la moto. Mais pas seulement : rappelons Paco Rabanne qui lui rend hommage au printemps 1971 avec sa célèbre collection "Virages" et ses robes en authentiques cabochons de Renault 12 Gordini.

Le gouvernement essaye de préserver les emplois de la vallée de Sanfoin avec la loi de 1974 rendant obligatoires les cabochons ronds sur les véhicules de plus de trois chevaux fiscaux -jamais réellement appliquée il est vrai. Le marché du cabochon rond périclite donc inexorablement. A Sanfoin, les usines ferment malgré les manifestations. De ce fleuron de notre industrie ne subsiste aujourd'hui qu'un atelier de cinq personnes qui fait des refabrications pour Traction Avant et autres Packard Standard Eight Coupé, un marché de niche malmené de surcroît par de pauvres imitations en provenance d'Asie.

A la fin des années 80, l'artiste Pierre Molujeau, dans ses travaux sur l'esthétique systématique, décline le cabochon rectangulaire sous plusieurs formes. Il dessin ainsi le fameux rectangle à trois faces (1) souvent appelé à tort "triangle" par le béotien de passage. Kawasaki s'empare, lui, du rectangle à six côtés pour la série des ZX et ZR. Autres exemples fameux, les rectangles biseautés longtemps chéris par Suzuki qui ancrent les personnalités esthétiques des Bandit (sortis de prison, les vrais), des GSX et des DR dans le champ visuel post-moderne de cette fin de siècle.

Dans des studios de design clandestins, bravant brevets et accords internationaux, quelques dissidents mettent au point le cabochon-clignotant dit "en goutte d'eau" que l'on voit fleurir sur les carénages dans les années 90. Summum du mauvais goût, surtout dans sa version "carbone", il est définitivement interdit par la loi "Morale et salubrité visuelle" de 2005.

Or, la recherche esthétique est un éternel recommencement, une perpétuelle remise en cause des courants de la narrative visuelle : le cabochon rond fait son retour en grâce de nos jours par l'entremise du courant "vintage", qui s'oppose au zeitgeist (2) ultracinétique actuel.

L'espoir renaît à Sanfoin, où la municipalité envisage de construire un deuxième aéroport et d'agrandir son Musée du Cabochon de Clignotant Soufflé à la Bouche ou Rotomoulé à la Main où il est possible d'acquérir de splendides t-shirts arborant de désopilants slogans comme "Cabochon Rond Not Dead" ou "Ils ont des Cabochons Ronds, vive la... heuh, merde, t'aurais pas une rime en "-on", steuplé ?".

(1) Signalons aussi les travaux de Piotr Slavitjick et son audacieux rectangle à Pi faces qui tente de réconcilier les deux mondes.
(2) Mot compte triple à glisser habilement dans une discussion avec des péteux sortis d'HEC ou de l'ESSEC.

Toute ressemblance avec du premier degré serait purement fortuite

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