Le bonheur des bécanes rien à battre

La meilleure moto de ton monde

Heureux le motard qui possède une bécane rien à battre, une de ces bonnes à tout faire qui démarrent sans rechigner le matin, loin des divas des vitrines.

La bécane rien à battre, c'est celle qui dans ton souvenir éclipse toutes les autres. Celle qui a tenu bon, à un clic de l'annonce de vente sur le Coin-coin. Celle dont la Revue Moto Technique à la couverture fatiguée comporte des annotations à la marge et quelques taches de cambouis qui témoignent d'un usage soutenu. Celle dont tu démontes les éléments sans même y penser, celle dont tu connais les limites, dont tu reconnais les vertus, ta moto par défaut. Celle que tu prends les matins où tu doutes de la météo, quand il faut arriver à bon port pas trop crevé, celle pour aller d'un point A à un point B et retour avec un peu de barda.

La bécane rien à battre, c'est celle qui voit arriver et repartir d'autres bécanes, plus belle, plus vite, plus chères. De son optique ternie, elle les raccompagne sans rancune vers l'annonce de mise en vente ou la reprise concessionnaire : le lendemain elle démarre du premier coup malgré deux mois sans rouler. C'est celle dont tes potes disent : tiens, tu l'as encore ; et tu réponds avec un haussement d'épaule : eh oui, j'arrive pas à m'en séparer. C'est celle que quand on te demande quelle moto acheter tu réponds : celle-là sans hésiter, parce que tu sais ce qu'elle vaut vraiment. C'est celle que personne ne t'envie et c'est tant mieux ; ou alors quelques connaisseurs savent et opinent du bonnet. C'est celle que quand on tu réponds à la question sur quelle bécane du as, ça fait juste ''ah'' en retour : le monde est plein d'ignorants.

La bécane rien à battre, c'est celle dont tu connais les accrocs : ils racontent une histoire. Un pet sur le garde-bout avant, une griffure sur le flanc gauche, une éraflure sur un autocollant de flanc de selle. D'autres que tu découvres parfois au détour d'un coup de chiffon épisodique et distrait. C'est celle dont tu as remplacé quelques vis par ce qui traînait au fond de ta caisse à outils, celle qui a des rondelles qui proviennent d'une autre bécane, des butées de caoutchouc taillées dans des bouts de chambre à air.

La bécane rien à battre, c'est celle qui fait plisser le nez au mécanicien officiel bougonnant à peine assez bas qu'il a autre chose à foutre que de prodiguer des soins palliatifs à des meules bonnes pour la casse -le con. Les bécanes rien à battre, c'est le cauchemar du vendeur de motos qui s'égosille en vain sur la dernière merveille castrée à l'électronique -chassez la loi des 100 chwo, elle revient en mode ''lopette'' ha ha ha.

La bécane rien à battre, ça sera ta dernière, celle qui restera quand tu te seras lassé de toutes les autres et que tu auras enfin compris que c'est celle-là qu'il te fallait dès le départ et pas une autre. Ta CB, ton XJ, ta DR, ta Z. Celle qui ne coûte plus grand-chose en assurance, guère plus en essence, rien en huile. Ta Dom', ton Transalp, ta Seven Fifty, ta Zeph'. C'est celle avec laquelle tu as traversé les Alpes ce soir d'avril avec la neige qui tombe et que tu te dis que jamais t'y arriveras. Ta Fazer, ton Gixef, ton ER-5, ton XT.

La bécane rien à battre, c'est la meilleure moto de ton monde.

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