La moto me manque
Rationnellement, je ne devrais pas prendre la bécane pour aller bosser. Un bus m'y transporte aussi bien.
Mais la moto me manque
Rationnellement, je ne devrais pas prendre la bécane pour aller bosser. Un bus m'y transporte aussi bien. Mais la moto me manque.
Quand il a commencé à faire moche plusieurs jours d'affilée au début de l'automne, j'ai essayé d'aller au boulot en bus. C'est un déplaçoir que je connais bien : je l'ai pris toute mon enfance pour me rendre dans ces établissements spécialisés dans le broyage industriel des mioches - on ne fait pas de contribuables sans casser de mômes.
Le bus présente bien des avantages : il est à l'épreuve des traces de gasoil dans les ronds-points ; le pénible en blaireaumobile freine et s'en écarte ; il remonte les voies de bus sans guetter les bleus au carrefour ; je bouquine en roulant ; trois ou quatre collègues de travail tiennent à l'aise sur la selle passager ; je n'en oublie jamais les clefs dans la poche de mon autre blouson ; vache ! r'garde la taille du coffre !
L'équation serait idéale si l'heure de passage du dernier autobus n'était pas périlleusement rapprochée de l'horaire de fin d'équipe ‒on prend seulement vingt minutes de retard et je rentre à pied.
Un matin, cependant, quelque chose me grattouille. Une impression de manque ; j'ai oublié quelque chose, c'est sûr. Dans mon boulot, oublier quelque chose est contre-indiqué. Je m'arrête dans ma travée.
Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce que j'ai ?
Je trouve prestement la réponse : ma routine quotidienne est perturbée. En adoptant le bus, je me prive des sensations habituelles : le vent de la vitesse, les vibrations du moteur, le jeu d'équilibriste sur mes roues, la vigilance aux coins des rues, la mesure réflexe des distances de freinage, la visée entre les rétroviseurs, le ballant du corps à l'accélération. C'est comme une séance de gymnastique routière qui mobilise des muscles différents et qui s'étonnent maintenant d'être forcés au repos.
En bus, peu m'importe le temps qu'il fait. À moto, je dois du respect à la météo. Que le zef' souffle et me voilà encore plus vigilant sur les ponts ; je guette les signes dans le mouvement des arbres, dans les débris qui filent sur la route. On frise le zéro ? Méfiance dans l'ombre des immeubles ou même seulement des trottoirs un peu hauts qui dissimulent du verglas ; je roule sur la pointe des fesses, dans la trace, tout léger sur les freins et les gaz.
Mais pas seulement. À moto, le cours de mes pensées prend un tout autre chemin qu'en bus. Ce n'est qu'en selle que je réfléchis bien à ce que je vais t'écrire la semaine prochaine ; que je chope au vol des idées, des angles, des tournures ; que j'ouvre les yeux sur quelque chose de nouveau. Casqué, j'évolue dans un autre univers avec ses règles propres ; j'y poursuis, à l'abri des regards, mon monologue intérieur ; je parle cette langue que moi seul connais ; je fais des grimaces ; je fredonne et chante ; je fais des bruits bizarres avec la bouche (sauf au feu rouge).
Le trajet motoboulot est une parenthèse dans ma vie sociale. Une petite heure aller-retour, seul au monde au milieu de la circulation. Parfois tout est sec, tout est bien et j'ouvre plus les gaz pour sentir la moto se tendre vers l'avant. Tantôt il fait moche-glissouille-bof et je ronchonne sous le casque. À l’occasion, je me fais un gros flippe à cause d'une blaireaumobile, d'un Uber sans éclairage dans un sens unique ou d'un piéton qui déboule au vert.
Voilà ce qui me manque quand je vais bosser en bus : ne pas doser les gaz et les freins, ne plus être aux aguets d'une idée pour la semaine prochaine, ne plus accueillir le soleil, le vent et la pluie, ne plus profiter de ce petit temps seul sous mon casque à divaguer.
J'ai tenu deux semaines en bus, puis j'ai repris la bécane. Tant pis pour la flotte et les blaireaumobiles : la moto me manque trop.
Commentaires
pareil
01-02-2022 07:31et pis rationnellement on ne se déplacerait qu'en vélo ou en twingo si pas de TC
« On ne fait pas de contribuables sans casser des mômes » *** ou 777 ou TTT, bref, foutrement bien.
01-02-2022 07:38« On ne fait pas de contribuables sans casser des mômes » *** ou 777 ou TTT, bref, foutrement bien.
01-02-2022 08:54Le prêt-à-transporter est comme le prêt-à-penser, pratique, surtout si c'est: le bus ou rentre-avec-tes-pieds (RATP). Pourquoi pas, quand on s'y fait, un art d'aménager aussi un temps de lire, écouter, rencontrer, parler. Enfin j'dis ça mais l'évasion motarde, Koud'Pied o'Kick, t'as raison: y'a des matins où y'a qu'ça de bien. Pas grave c'est pas une maladie, c'est la vie ! V
01-02-2022 09:16« On ne fait pas de contribuables sans casser des mômes »
01-02-2022 12:09C'est la phrase la plus "interpellante" du texte, celle qu'on a spontanément envie d'applaudir mais qui n'est pas juste.
L'idée m'avait déjà "fâché" avec le Pink Floyd (que j'adorais jusque là) et leur connerie de "we don't need no education".
Et puis un contribuable n'est pas un individu qu'on plume, mais un citoyen qui participe à la collectivité...
mouais
01-02-2022 13:16autant je ne vais jamais ou presque bosser en TEC (mais uniquement parce que je mets 55mn en tram contre 35/40mn à vélo), mais à chaque fois qu'on dois aller au centre ville ou se balader dans la périphérie nantaise, c'est tram ou bus.
bon, d'un autre coté, je ne vais pas non plus bosser à moto, le très léger gain de temps ne compense pas le déplaisir de rouler sur le périf aux heures de pointe
tom4
@tom4 dans un monde idéal oui, mais j'apprécie l'optimisme 🙃
01-02-2022 13:20*@la carpe, mauvais destinataire dans le précédent commentaire 🤭
01-02-2022 13:22Quand Kpock se laisse aller au scrogneugneu de vieux con.
01-02-2022 13:47" Ces établissements spécialisés dans le broyage industriel des mioches -on ne fait pas de contribuables sans casser de mômes"
Enseignant contractuel sur le tard en fin de carrière, je peux vous dire que c'est tout le contraire qui se passe dans les établissements de l'éducation nationale. Les enseignants sont, dans leur grande majorité, bienveillants et investis. Même si l'EN a raté la scolarisation de mes 2 garçons (et vice versa), j'ai bien réfléchi, je vois pas à qui l'on peut confier l'éduc des jeunes ce serait bien pire. Le pbm ne vient pas des parents, souvent désespérés / dépassés, qui font ce qui peuvent mais de certains médias et de l'omniprésence de leur smartphone qui les abrutit (entre 8 à 12 heures pour mes élèves de 1ère et de terminale, et plus le WE), une vrai drogue pour ces jeunes de 16 à 18 ans.
L'EN avec ses limites (jamais vu aucune organisation petite ou grosse sans défaut / limite) ne fait pas des contribuables mais des citoyens qui contribuent à financer la redistribution...et ta future retraite.
Sans rancune mais déçu quand même
Michel PIGNOL
Complètement dedans avec toi.
Allez, je remets la mienne. 01-02-2022 13:59
Celle Kronik là je l'aime bien.
01-02-2022 14:06Aller bosser en moto, quand on n'a pas le temps d'aller se balader, c'est le petit ballon d'air qui reste.
Et c'est encore mieux en horaires décalés, quand les bouchons ne sont qu'un truc abstrait.
Ca détend quand on débauche, on arrive à la maison vidé du stress du boulot.
Même si des fois on "roule sur la pointe des fesses" (joli au passage), on en redemande quand même, à l'inverse du raisonnable ou même de tout sens pratique.
150% d'accord avec godzilla : ayant travaillé de nuit pendant plus de 30 ans , j'appréciais au plus haut point d'aller au taf quand tout le monde mange devant les Zinfos télévisuelles , et encore plus le matin , après 12h de stress en réa , sentir le vent frais (parfois glacial mais qu'importe) dans la tronche et se "laver" de tous les miasmes de la nuit , arriver calme et détendu à la maison pour passer quelques heures au lit , pendant que d'autres se lèvent pour aller au taf ....
01-02-2022 14:36Et aux beaux jours , je prenais même le temps de partir plus tôt , et le matin de rentrer plus tard , pour faire une petite boucle de quelques dizaines de km pour sentir la nature s'éveiller avant d'aller me coucher !
Yep, je confirme les deux dires du dessus.
01-02-2022 15:04Sauf quand tes horaires de nuit te font terminer à 7h ou 8h du matin, et que tu te tapes les bouchons de ceux qui vont bosser .
Tout ça découle de l enfance !
01-02-2022 15:57...si tu avais rêvé de bus au lieu de rêver de moto ..tu serais peut être devenu chauffeur de bus !
Je ne peux donc que souscrire à ta Kronik !
Faux "Peter Pan" et j'en parle en connaissance de cause.
01-02-2022 16:05Top (même si le bus je l'ai pas pris depuis 1988-environ)
01-02-2022 16:49Il y a plusieurs mois j'avais 3 jours de formation dans une autre ville, et j'ai du prendre la moto pour faire les allers/retours. Comme on était en été je reconnais que j'ai bien aimé ces trajets.
01-02-2022 19:27Maintenant pour des trajets réguliers, si j'ai le choix, aucun doute que je préfèrerais prendre les transports en commun.
Croiser ceux qui vont au boulot alors que toi tu en sors a un certain charme. 01-02-2022 21:48
Ouais mais bon, le périphérique parisien a l’heure de pointe après une nuit de taf, bof quoi
01-02-2022 21:54Pink Floyd... "The Wall"... Souvenirs de Kennedy High School à Silver Springs (MAryland). Au printemps 1980, c'était le morceau que mettait la "radio" de l'école pour "sonner" la fin de chaque cours !
01-02-2022 22:12La moto me manque au bout d’une semaine sans la prendre et ça devient franchement pénible si ça dure quinze jours. A cause de tout ce qui écrit plus un je ne sais quoi qui me connecte à la moto. J’ai besoin de l’entendre et de la ressentir. J’irai pas plus loin car je vais faire une declaration d’amour à ma bécane. On est sur un site pour adulte mais quand même.
02-02-2022 05:47Ce que je dis souvent : "y'a deux types de journée : celle avec la moto et celle sans la moto."
02-02-2022 07:17Mon bureau est à 5 km. Donc c'est vélo le plus souvent.
Sauf...
Sauf quand j'ai tout un tas de bonnes excuses, à commencer par la plus simple et la plus essentielle : vouloir rouler à moto.
Mon bureau est soudainement beaucoup plus loin.
Je respecte sa mécanique, et la mienne.
@ Tortue Ninja : "Pink Floyd... "The Wall"... Souvenirs de Kennedy High School à Silver Springs (MAryland). Au printemps 1980, c'était le morceau que mettait la "radio" de l'école pour "sonner" la fin de chaque cours !"
02-02-2022 09:03Et la suite ? Le directeur s'est pendu pendant l'été ?
'tain, j'ai pris la moto ce matin.
02-02-2022 09:23J'ai mis plus de temps qu'en métro.
Je n'ai fait que de la ville.
Il ne faisait même pas beau.
Mais qu'est-ce que ça fait du bien !
Bon, on est d'accord, c'est une connerie, mécaniquement, écologiquement parlant.
Mais de temps en temps, faire une connerie, ça détend.
=>LA CARPE
02-02-2022 11:09Je suis rentré en France...
Oui, le plaisir de l'aller-retour boulot à moto. Souvent on me dit "pourquoi t'achètes pas un scoot, c'est super pratique, etc.". Eh bien non, bèrk, je préfère de très loin ma moto inconfortable et sans protection parce que même en région parisienne, et même pour seulement 20 ou 40 bornes, je me fais plaisir !
02-02-2022 13:36oui mais en bus tu vas au boulot dans un véhicule à 400k¤, est-ce que ce n'est pas ça avoir réussi sa vie?
02-02-2022 15:47oui, je suis déjà sorti depuis longtemps...
Bien vu.
02-02-2022 19:47Salut
02-02-2022 21:10A une époque, j'allais au taf à moto. Au taf, je prenais l'autre moto toute la journée. Et le soir, hop retour à moto....forcément.
..et en repos, un peu de...moto
Voilà...
J'espère que le sujet c'est ça. Je n'ai pas lu la chronique
V
Y a un pilote GP qui a dit un truc qui résume excellemment ce que pense "la pire journée à moto est toujours meilleure qu'une journée sans "
04-02-2022 19:49Tous les jours, toutes saisons confondues, j'ai le choix entre voiture et moto (pas de TEC par ici) et c'est bien le 2 roues que choisis en doublant la distance du trajet du boulot.
Cela reste toujours le meilleur moment de la journée
Régulièrement, quand il fait trop pourris je finis par prendre ma caisse et ses gros sièges en cuirs chauffant. Son haut de gamme, clim sur 22° qu'est ce qu'on est bien là dedans !
05-02-2022 10:21Jusqu'au premier bouchon. Ou je me demande ce que je fous la et pas sur ma belle, que je m'empresse de reprendre le lendemain.
J'ai que 15 bornes à faire mais tout est tellement plus sensitif et ludique. Je suis plus heureux mouillé sur ma moto que au chaud dans la vago.