Chronique : La mort du Motard

Il faut changer d'angle de vue pour s'apercevoir que la « norme » n'est qu'une exception. Je suis passé du statut de parigomotard à celui de provincialàkatroue, et cela change beaucoup de choses. Primo, je commence à détester Paris. Enfin pas la ville en elle-même (quoique), mais plutôt ses conditions de circulation. D'acceptable, ma « norme » d'il y a deux ans est devenue insupportable. Comment peut-on se résigner à rouler dans de telles conditions ? Deuxio, avec l'achat d'une boîtaroue, mon rapport avec la moto a nettement changé.

Il y a seulement cinq ans, je crachais (bêtement, serais-je tenté de dire) sur les caisses, objets répugnants et dangereux dont l'usage, selon moi, aurait dû être exclusivement réservé aux femmes enceintes et aux handicapés moteurs. Le reste de l'Humanité (comprendre : la population d'Ile-de-France) aurait pu tout à fait se bouger un poil pour goûter aux joies ineffables du deux-roues « les chevaux dans le vent ». J'assimilais la possession d'une voiture à un manque flagrant d'imagination et d'esprit pratique. Aaaah... la naïveté du célibataire...

Quatre ans plus tard, je me retrouve en Bretonnie à devoir trimballer des courses sur quelques kilomètres (au lieu de quelques dizaines de mètres (pas centaines, dizaines, j'insiste). A devoir transbahuter Madame et les mouflets même quand il drache. A ramener quelque objet encombrant (genre : armoire). Assez difficile sur une moto où je ne case qu'à grand peine un minuscule pantalon de pluie sous la selle, et des courses pour 2-3 jours dans les sacoches latérales (en tassant bien ou en faisant maigre : 4 jours maxi).

On m'assènera, avec la mine réjouie de l'abruti qui pense détenir une vérité première, « il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis ». Ce à quoi je répondrai du tac au tac et selon ma formule préférée « ... disent les imbéciles quand ils changent d'avis ». N'empêche. Je m'aperçois avec le recul que j'ai glissé petit à petit du monde des motards purs et durs à celui du caisseux polyvalent qui conserve (par habitude, par résignation, par lâcheté) une moto dans son garage.

Il faut que je me rende à l'évidence : j'ai vieilli. Rouler 200 bornes sous la flotte me gonfle. Me trimballer un casque sitôt descendu de la moto aussi, tout comme le blouson peu pratique et toujours trop chaud/trop froid. Je n'ai toujours pas changé de moto : voilà bientôt trois ans que je roule sur Petit Powaah. 3 ans et 12.000 kilomètres seulement. Une honte. A titre de comparaison, j'en avais fait autant en moins d'un an avec ma première 125. Le motard en moi est mort.

J'imagine que c'est ainsi que meurent les (vieux) motards. Petit à petit, à force d'en avoir marre de se les geler ou de prendre de la flotte plein la tronche. A cause du mal de dos, aussi. Ou de la trouille qui monte lentement. Ou des mouflets qui prennent plus de place. On cède la sienne à la relève, et on se laisse dépasser en soupirant un peu.

J'ai décroché...

Il y a 20 ans, je dévorais chaque semaine Moto Revue et Moto Journal (un gros trou dans mes phynances à l'époque). 10 ans plus tard, devenu journaliste, je ne lisais que les essais/articles susceptibles de m'intéresser, délaissant complètement plusieurs rubriques. A la limite, je préférais « L'Officiel du cycle », plus dans mes cordes. Aujourd'hui, quand il m'arrive de tomber sur un mag' moto, je ne le lis avec guère plus d'émotion qu'un autre périodique. Par contre, je m'éclate en lisant « Gazoline », un mensuel sur la voiture ancienne, et apprécie « Youngtimers », un autre mensuel sur les voitures des années 70-80. C'est grave, docteur ?

Je feuillette machinalement la presse moto, et ce que j'y lis ne m'emballe pas. L'entrée de gamme cube 650 cm3 minimum pour environ 70 chevaux. Mettre ce genre de machine dans les mains d'un débutant est très idiot. Les constructeurs continuent de se tirer la bourre à coups de stats de ventes bidonnées. J'ai appris tout de même avec soulagement que la Bullshit-King avait fait un flop, et avec satisfaction que Triumph arrivait à vendre du 3-cylindres marrant. Le reste est consternant : il n'y a plus que des ventilateurs de 100 chevaux. De temps en temps, je croise une moto dans la rue, et je n'ai absolument aucune idée de seulement quel modèle il s'agit.

J'ai fait un peu de compet' il y a 3 ans. Sur le banc de touche. La FFM m'avait demandé de faire des résumés de course pour le championnat de France Superbike. Au bout d'un an, l'ambiance des paddocks avait fini de m'intéresser. Il faut dire que le monde de la course est un univers assez spécial, et beaucoup trop impitoyable pour moi. Cela m'a donné l'occasion de croiser quelques confrères de la presse moto, et une palanquée de photographes. J'étais déjà sorti du truc, et je n'en ai pas profité. Et puis je n'étais pas de « leur » monde.

... mais c'est toujours pareil

Quand par hasard je me plonge dans un essai ou un comparatif, je retrouve les mêmes phrases, le même vocabulaire. Changez le nom des machines, et l'article peut être transposé tel quel sur une période de 15 ans de presse moto. Plus de ceci, plus de cela... tout ceci est d'un ennui mortel. Sans parler de ces ignobles photomontages, véritables escroqueries.

Sur les forums, ça cause à peu près toujours de la même chose. Les 100 chevaux. « Quelle moto pour débuter : R1 ou ZX-12 R ? ». « Moa jaim pa lé Kawa vairte ». « Faut-il saluer les flics ? ». « Les scooters, faudrait les tuer à la naissance »...

Je me demandais il y a plusieurs années de cela pourquoi la moto avait si peu de succès en littérature. Peut-être faut-il en chercher la raison du côté de l'inanité du sujet.

A parcourir les catalogues constructeurs, c'est une longue litanie de « mouais » en guise de commentaires. En devenant des motos « manga », les motos actuelles ont perdu la lisibilité esthétique qu'elles avaient il y a une trentaine d'années. Elles sont devenu des hochets pour stylistes qui tentent de (et malheureusement parviennent à) caser un maximum de petits bidules sur aussi peu de surface possible. Les aspects pratiques, eux, sont complètement oubliés.

L'une de mes toutes premières Kronik déplorait l'indigence de l'équipement des motos vis à vis des voitures. 10 ans plus tard, le constat a même empiré. Paraît que le dernier truc à la mode est l'indicateur de rapport engagé. Ben gars, t'es même pas foutu de compter jusqu'à 6 ? Ca râle quand il n'y a pas de jauge. Et les totalisateurs partiels, c'est pour les paramécies ?

Par contre, je guette toujours en vain la présence systématique de warnings, les selles réglables en hauteur sur toutes les motos (va essayer de vendre une bagnole avec des sièges fixes, toi), les poignées chauffantes (et la même caisse sans chauffage, tiens !), les rétros qui rétrovisent, les systèmes de tension de chaîne pratiques, les antivols mécaniques de série, les leviers réglables, les pare-carters de série, les poignées passager bien gaulées, le mode « pluie » sur les grosses et le mode « route » sur toutes les autres pour faire baisser la conso... La liste est interminable.

Pourtant...

Pourtant, je m'amuse toujours autant au guidon de Petit Powaah. Je ne fais plus de moto par obligation mais par plaisir, et ça, ça change tout. Du coup les aspects pratiques passeraient presque au second plan, ce qui fait que de temps en temps je zieute du côté de machines encore plus improbables : supermot' à l'autonomie ridicule, vieux clous style Royal Enfield remise au goût du jour, gros scoot, trapanelle hors d'âge...

Dans mon coin, c'est de la départementale à 5 chiffres, dont deux de l'autre côté de la virgule tellement elles sont sinueuses et pourries. C'est pas du lacet, c'est juste que ça tourne tout le temps, et le plus souvent sans visibilité. Dans le coin, on les appelle les « routes à 2 grammes » parce que les Archers du Roy n'y foutent jamais les pieds vu qu'il y passe 30 caisses par jour quand c'est l'émeute.

Et puis pour trimballer des trucs, je me suis dégotté un chameau. Le truc qui fait rouler l'Asie. 2l/100 en pleine colère, 100 km/h à toute vibrelure, une boîte 4 et 35 kilos de charge utile avec les valoches et le top-case. Bon, pour être honnête il faut ajouter des amortisseurs arrière qui auraient fait honte à une carriole à ânes de la fin du 19e siècle et des freins qui auraient fait envie... à ma première mob. A 2500 euros le bout, l'Innova 125 est une escroquerie quand on peut avoir pour le même prix un très convainquant PCX.

Mais... le moteur a une durée de vie exprimée en ères géologiques, la chaîne d'origine pourra faire partie de mon inventaire testamentaire (merci le carter semi-étanche) et c'est rigoureusement et totalement involable, vu que personne ne sait ce que c'est. Le jeu aux soupapes se règle en soufflant sur les bouchons de la culasse, et avec 2 litres d'huile, on fait 3 vidanges (donc 12.000 kilomètres). Enfin, vu le saucisson que c'est avec les amortos arrière d'origine, faut avoir le coeur bien accroché pour commencer à attaquer avec un truc comme ça -et « attaquer » est inévitable vu qu'un Innova commence à aller « vite » à partir de 70 km/h. Bref, un truc qui se pilote. Mon grand jeu ? Sortir du moteur tous les pouièmes de cheveux et l'intégralité des décimètres-heures pour ne pas me faire dépasser par la voiture qui est derrière. Ultra-sportif.

Alors ouais, une petite R6 décarénée pour me faire plèz'... mouais... bof... t'as rien de mieux ?

Et le motard en moi ? Bouge pô, j'vais chercher mon cax. T'vas voir c'que j'vais t'mett' avec mon Super-Dax.