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Kronik de Noël

Noël n'aura pas lieu le 25 décembre cette année

Tout ça à cause d'un joint défectueux sur une pompe anti-incendie. En moins de huit secondes, l'eau additivée atteint l'intérieur du serveur, déclenchant des courts-circuits à la chaîne au niveau des baies de disques. Noël n'aura pas lieu le 25 décembre cette année.

Kronik de Noël

Impensable. Impossible. Et pourtant. Les chaussures souillées par la suie, dans l'air empestant l'incendie d'origine électrique de la salle serveurs, le Père Noël lâche dans un soupir accablé :

- On ne sera jamais prêt pour le 25.

A côté de lui, une petite femme austère tirée à quatre épingles secoue la tête avant de hurler :

- Réunion des directeurs ! Tout de suite !

Quelques minutes plus tard, un informaticien en blouse blanche récite, penaud, la liste des dégâts avant de conclure :

- La remise en route du système prendra au moins une semaine, peut-être dix jours.

- Et le backup ?

L'informaticien se racle la gorge :

- On était en pleine migration de l'informatique vers l'Inde. Le système de backup est dans un conteneur dans le port d'Anvers.

- Quel est le parfait imbécile qui a décidé ça ? Une migration informatique en pleine période des fêtes ?

L'informaticien regarde ses chaussures avant de balbutier :

- La direction générale a approuvé le calendrier. C'était pour faire des économies en profitant de tarifs plancher sur le fret quand les bateaux repartent presque à vide vers la Chine début janvier. Le plan Synergies et Performance 2018. Plus du tout d'informatique chez nous dans deux ans. Tout externalisé en Inde. Moi-même je dois partir fin janvier et il ne reste que deux personnes dans l'équipe à part moi.

Le Père Noël se rembrunit :

- Oui, oui, bien sûr. D'accord. C'est bon, vous pouvez disposer. Merci.

L'informaticien sort. Le Père Noël parcourt la salle de réunion du regard :

- Je veux des idées constructives, pas une guerre de tranchée pour savoir à qui c'est la faute.

Le silence s'installe autour de la table. Plusieurs participants ont le nez dans des dossiers. D'autres se défient du regard de part et d'autre de la table.

- Des couilles molles. Je te l'ai toujours dit, finit par cracher la femme assise à la droite du Père Noël.

- Ah s'il te plaît ne commence pas ! On est là pour trouver des solutions, pas pour régler des comptes, lui répond le Père Noël en levant les bras d'un geste apaisant.

Dans le fond de la salle, un grande créature couverte de poils lâche un long braillement sonore.

- Qu'est-ce qu'il dit ? demande le Père Noël.

- Que si on l'avait écouté, on n'aurait pas externalisé l'informatique, répond l'homme à l'air de contrebandier assis à côté de lui.

- Oui, oui, ben on va pas revenir là dessus, répond le Père Noël. On a besoin d'idées con-struc-tives, je le répète. On ne peut pas se permettre d'être en retard. Logistique ? Vous en êtes où ?

Une jeune fille ravissante lisse ses cheveux aile-de-corbeaux d'un revers de la main avant de répondre :

- Mon équipe est au travail. Mais sans bons de commandes impossible de charger quoi que ce soit dans les camions. En plus, il est impossible d'éditer le moindre bon de livraison, donc de générer les Gencod des colis. Pas de traçabilité possible, pas de suivi de commandes. On pourrait charger les camions à l'ancienne, mais c'est sans filet et à l'aveugle.

- Et si on arrive à récupérer les bons de commandes ? demande le Père Noël.

- En théorie, on pourrait charger. Mais c'est sans filet, je le répète, répond la jeune fille en ajustant sa robe de taffetas bleue.

- Commandes ? Qu'est-ce que ça donne ? demande le Père Noël en se tournant vers une petite créature verdâtre aux longues oreilles poilues.

- Question difficile à répondre. Peut-être réussir à récupérer les données nous pourrions. Mais toujours en mouvement est le stock, répond la petite créature.

- Depuis le temps que je te dis de te débarrasser de ce vieux débris incompétent, lâche la Mère Noël, la mine pincée.

- Marie-Dominique je t'en prie ! Con-struc-tif j'ai dit !

- L'agressivité. La colère. Elles forment le côté obscur de la DRH, répond la petite créature verte en pointant un doigt griffu vers la femme du Père Noël.

La grande créature poilue au bout de la table lâche un petit rire étouffé. Son compagnon s'étire dans son siège et pose un pied sur la table de réunion en basculant dans son siège. Sa main droite disparaît du côté de sa ceinture.

La Mère Noël a un geste de la main et l'air autour d'elle se met à scintiller légèrement.

Le Père Noël soupire bruyamment :

- Vous allez finir... par... m'énerver, dit-il en virant légèrement au vert. Les boutons de sa chemise tirent dans leur boutonnière et les coutures de son pantalon émettent un craquement inquiétant. Le contrebandier à l'autre bout de la table se redresse et de pose lentement ses deux mains sur la table. Le scintillement autour de la Mère Noël s'arrête d'un coup dans un petit 'pop'.

- Con-struc-tif, j'ai dit, répète le Père Noël. Blanche, si Jules peut t'avoir une sortie papier des bons de commandes, est-ce que tu peux charger les camions ? demande-t-il à la jolie jeune fille en montrant du doigt la petite créature verte.

- Il faut que je voie avec les Sept, mais en théorie c'est possible. Après ça sera une question de délais : il y a un minimum de 6 heures de chargement. Ensuite seulement, ils pourront rentrer du boulot-hé-ho.

- OK. Et toi, Jules, tu pourrais récupérer les bons de commandes papier ?

La petite créature verte plisse le nez et renverse la tête en arrière. Elle reste immobile quelques secondes avant de déclarer :

- Accès aux lettres des enfants avoir je dois. Après, comme sur des roulettes tout roulera.

- Impeccable. On commence par ça.

Au bout de la table, la grande créature poilue pousse un beuglement aux accents négatifs.

- Qu'est-ce qu'il dit ? demanda le Père Noël.

- Que si ce n'est pas prêt d'ici huit heures, les chauffeurs vont nous lâcher. Leur convention collective est très explicite à ce sujet : pas de chargement après 22 heures GMT, traduit son compagnon.

Le Père Noël hausse un sourcil et se mord la lèvre inférieure :

- Blanche ? C'est jouable pour 16 heures le 24 ?

La jeune fille secoue la tête d'un air négatif :

- Huit heures c'est impossible. Il faut revenir à des procédures que l'on a pas utilisé depuis trente ans : pointage à la main, doublement des équipes sur les quais de chargement, sans même parler des caristes qui vont être perdus dans le stock. Je prévois au minimum un triplement des délais. Fini le flux tendu : il faut tout gérer à la mano. Il faut faire les trois huit.

- Mais ça va nous coûter une fo-fo-fortune, bégaye une momie qui n'avait pas ouvert la bouche depuis le début de la réunion. Vous imaginez le nombre d'intérimaires qu'il va falloir embaucher ?

- C'est ça ou on ne livre pas à temps, réplique Blanche.

- Impossible, cela est, renchérit Jules.

- Et changer de transporteur ? demande le Père Noël.

- Impossible aussi, répond Blanche. Pas dans un délai aussi court. Déjà qu'on racle les fonds de tiroirs avec des chauffeurs Géorgiens et Turkmènes pour remplacer les Polonais et les Hongrois devenus trop chers, alors... Elle hausse les épaules d'un air résigné.

-Des incapables et des couilles molles, crie la Mère Noël en abattant son poing sur la table.

La momie tourne la tête légèrement sur le côté. Dans le lointain, on entend comme un million de taons en vol.

Le Père Noël se lève lentement, les deux poings en appui sur la table. La tête baissée, il gronda doucement. La table craque comme sous l'effet d'un poids écrasant.

- Une autre solution, il y a, dit Jules précipitamment.

- Je t'écoute, dit le Père Noël, la tête toujours baissée.

- Revenir aux vieilles méthodes, il faut. Un homme, un véhicule, une nuit. Et joué, le tour est.

Silence autour de la table.

- Faut croire qu'on est en plein dans la mélasse, siffle le contrebandier. Son compagnon approuve de la tête d'un grondement plaintif.

Un type à forte carrure -veste en cuir marron clair, jeans, t-shirt rouge, santiags- que l'on avait pas encore entendu jusqu'à présent tire une longue bouffée sur son cigare avant de lâcher :

- Monumentale erreur. En tant que directeur de la sécurité, je m'oppose à ce que l'on revienne à cette méthode. Le Monstre ne doit pas être réveillé.

- Faut-il vous rappeler que vous avez plusieurs fois failli y laisser la peau ? A Tunguska à cause d'un goujon mal serré pendant un test de routine. Et Yellow Stone pâtit encore de ce fameux retour de kick, ajoute la momie.

- Prenez plutôt le Faucon. C'est le vaisseau le plus rapide de la flotte. Sortir le Monstre, c'est plutôt... un suicide, poursuit le contrebandier.

- On l'a déjà fait et pas qu'une fois, rappelle le Père Noël.

- Edmond ! Je te préviens ! Si tu remontes sur cette machine, je, je... Je...

- Oui ? Tu fais quoi ? demande le Père Noël en se tournant vers la Mère Noël. Celle-ci ne répond rien.

Le Père Noël se rassoit, le regard perdu dans le vague. Nouveau silence autour de la table.

- ON NE SAIT MEME PAS SI CETTE MACHINE FONCTIONNE ENCORE, déclare une forme encapuchonnée de sombre.

- Il n'y a qu'une seule manière de le savoir, dit le Père Noël avec un geste résigné de la main.

- JE REJOINS SLATER SUR CE COUP-LA : C'EST UNE ERREUR... A TUNGUSKA TU AS EU DU BOL, ajoute la forme sombre.

- Bah... soupire le Père Noël.

- Et pourtant, avec un seul véhicule et une seule liste de cadeaux, non seulement c'est chargé en à peine deux heures, mais en plus il n'y a pas d'erreur possible sur le suivi des livraisons, relève Blanche.

Le Père Noël inspire un grand coup :

- C'est décidé. J'y vais. Seul. A l'ancienne. Slater, passe un coup de fil... ou de truc... enfin préviens Ezechiel que je sors Monstre. Il faut le remettre en route d'ici le 24. Ça urge, donc.

A l'évocation de son Nom, quelque chose se met à gémir dans une caverne enténébrée.

De derrière les lourdes porte en bronze, de furieux claquements métalliques et des vrombissements de moteurs se font entendre.

- Ca fait combien de temps qu'ils ne sont pas sortis ? demande Blanche.

- Ézéchiel les emmène faire un tour de temps en temps, mais dans mon cas ça remonte à 1974 quand on a basculé vers un transporteur indépendant : Marie-Dominique ne supportait plus de me voir partir avec cet engin tous les ans.

Le Père Noël pousse le lourd vantail. Dans la vaste salle vivement éclairée, il règne un vacarme assourdissant. Domine surtout le cri rageur d'une douzaine de moteurs, par-dessus le staccato des marteaux pneumatiques et le son grave des compresseurs d'air. Des mécaniciens s'agitent fébrilement autour d'une douzaine de motos alignées trois par trois sur quatre rangs. Elles sont équipées de harnais en câble métalliques qui les relient à un véhicule profilé à roues.

La momie s'est arrêtée net sur le pas de la porte.

- Venez, l'encourage le Père Noël.

- Mais... mais qu'est-ce que c'est que ça ?

- Mon ancien attelage. Douze Münch Mammut 4 turbocompressées. 128 chevaux chacunes : il fallait ça à l'époque pour tirer l'attelage. Plus délicat que les rennes, qui pouvaient rentrer à la maison tout seuls une fois la tournée terminée, mais bien plus rapide.

- Et vous les avez gardées ?

- Dame ! Des exemplaires uniques au monde ! Les seules Münch turbo jamais fabriquées. Mises au point par mon pote Freidel lui-même. C'est à lui qu'a succédé Ézéchiel quand il a pris sa retraite.

- Mais comment les dirigez-vous ?

- Holah ! Mais je n'ai pas à les diriger. Ce serait impossible, d'ailleurs. Un démon du 3e Cercle pilote chaque moto et c'est Ézéchiel qui les contrôle tous. Grâce à son anneau. Il l'avait perdu à un moment, d'ailleurs et ça avait semé un souk dans une dimension parallèle...

Le Père Noël s'avance vers un vieillard parcheminé à qui il hurle quelques mots à l'oreille. Le vieillard fait des signes affirmatifs de la tête. Le Père Noël s'avance alors vers l'attelage. Le vacarme baisse d'un ton. Les moteurs baissent de régime. Se stabilisent sur un ralenti feutré. Le Père Noël fait le tour de chaque moto, caressant un réservoir ou inspectant un moteur au passage.

- C'est complètement dingue, murmure la momie, assez fort cependant pour être entendu par Blanche.

- Et encore, vous auriez vu ce qu'il avait avant. Dix-huit Brough Superior SS 100 à compresseur volumétrique Rolls-Royce. Ces saletés étaient caractérielles au possible. Seul lui pouvait les approcher. Et conduire l'attelage, bien évidemment.

- Mais pourquoi pas un camion ? Ça serait pas plus simple, un camion ?

- Le Père Noël ? En camion ? Comme un plombier ou un installateur d'antennes satellites ? Vous rigolez ou quoi ? rétorqua Blanche d'un air scandalisé.

- Ah bah oui, forcément... Oui, le Père Noël roule en traîneau tiré par des... rennes ?

- Des rennes... mécaniques ? suggère Blanche avec une petite moue.

- Bon, bon, des rennes mécaniques alors. Et il arrive à tout caser dans son traîneau ?

- Oui, bien sûr. C'est une double machine de Möbius. Tous les objets en trois dimensions sont réduits à deux puis une seule dimension quand ils sont insérés dedans. En gros, c'est un coffre de capacité infinie. Le seul problème c'est sa masse : ce truc pèse plusieurs tonnes. D'où les motos.

- Et comment fait-il pour voler ?

Blanche le regarde d'un air ahuri :

- Vous avez lu le fascicule qu'on vous a remis à l'embauche ? Le petit bouquin qui explique tout ça ?

La momie baisse le nez.

- Bon ben lisez-le, tout est expliqué dedans.

Le Père Noël fait un signe de la main et Blanche le rejoint.

- Ça va aller pour le chargement ?

- Rien de plus facile. On a déjà dégagé un quai de chargement. Les caristes vont vider les entrepôts directement, à la chaîne. C'est l'affaire de quatre heures maximum. Jules vous prépare une hyperliste avec toutes les lettres des enfants, avec pointage GPS pré-programmé. Les Sept ont tout réglé, logiquement on est bons.

- Parfait. Je vais quand même prendre un peu d'avance cette fois-ci. Un petit quart de seconde de rab' histoire d'en avoir un peu sous le coude. Je me sens un peu rouillé.

Blanche lui sourit :

- Ça s'oublie pas, c'est comme le vélo.

- Bon, je vais aller vérifier ma combinaison. Dans l'intervalle, je vous laisse vous assurer, Jules et vous, que l'on a rien oublié.

Il s'éloigne, laissant Blanche parcourir des yeux l'attelage qui s'est remis à vrombir.

La Mort a rejoint la momie :

- OUI, C'EST IMPRESSIONNANT LA PREMIERE FOIS.

- Je ne suis pas étonné que Marie-Dominique soit morte de peurt à l'idée de voir son mari conduire un tel... engin.

- ELLE EST TROP IMPRESSIONNABLE. JE VOUS AI MONTRE CA, DEJA ?

La Mort sort de sous sa cape un petit sablier d'or. Dedans, un unique grain de sable fait des allers-retour au niveau du col. Sur une petite plaque sombre au bas du sablier, on peut lire en lettres gothiques : Père Noël.

- Ah bah oui, forcément, ça simplifie les choses, dit la momie dans un petit rire.

- OUI. IL NE MOURRA PAS D'UNE CHUTE DE TRAINEAU.

- Mais alors...

- MEME A MOI ON ME CACHE DES CHOSES, dit la Mort sur un ton de regret.

(à suivre)

De retour dans la salle de réunion, le Père Noël fait un dernier tour de table. A sa droite, la Mère Noël fait la gueule.

- Donc : démarrage à 23 heures comme d'habitude pour un tour de chauffe et vérifier le fonctionnement de sous-systèmes. Ézéchiel m'accompagne, évidemment. Jack, tu suis avec le mulet.

Blanche lève alors le bras :

- Heuh... je peux venir ?

Le Père Noël s'arrête, surpris.

- Pour vérifier qu'il n'y a pas de soucis dans les livraisons, ajoute rapidement Blanche.

- Venir, moi aussi je voudrais, ajoute précipitamment Jules, profitant de l'ouverture.

La grande créature poilue au bout de la table se met à beugler.

- Il dit qu'il serait plus rassuré s'il pouvait être là si les machines de Möbius commencent à dévier, explique son acolyte.

Le Père Noël a levé un sourcil :

- C'est très inhabituel.

- Oh, allez ! Pour une fois, plaide Blanche en battant des cils.

Le Père Noël soupire :

- Soit. Circonstances exceptionnelles. Qui veut venir, donc ?

Tous lèvent le bras à l'exception de la Mère Noël qui foudroie Blanche du regard.

- OK. Soyez tous là pour 22 heures 30 jeudi. Pas de retardataires, surtout.

A l'heure dite, tous se retrouvent à l'entrée du hangar. Les motos sont étrangement calmes. Elles tournent au ralenti. Les mécaniciens ont disparu. Le grand truc poilu se lance dans un monologue grogné que son compagnon écoute avec soin avant de résumer :

- Il a reparamétré la Möbius, donc il y aura de la place pour tout le monde. On y va ?

Tous hochent la tête. Le contrebandier les mène vers le sas d'entrée, un petit portillon blindé avec un système de fermeture à roue.

La Mort se plie à l'oreille de Blanche :

- VOUS ME CROIREZ OU PAS, MAIS J'AI SIGNE POUR CE JOB DANS LE SECRET ESPOIR DE FAIRE CA UN JOUR.

Blanche lui souffle en retour, dans un petit cri :

- Moi aussi !

Elle jette un oeil à l'intérieur du véhicule, mais tout y est sombre. Le contrebandier l'encourage d'un geste de la main. Elle enjambe le rebord du sas. Léger picotement... et elle se retrouve dans la bibliothèque d'un manoir de bord de mer. Le soleil entre à flots par les larges baies vitrées. Elle a un petit hoquet. La Mort la pousse dans le dos :

- ALLONS, ALLONS. UN PEU DE PHYSIQUE QUANTIQUE APPLIQUEE, RIEN DE PLUS. J'AI LA MEME A LA MAISON.

Le Père Noël est installé à un vaste bureau et termine de feuilleter une grosse liasse de documents.
Il fredonne un petit air.

- Par Horus ! s'exclame la momie qui vient de rejoindre le groupe.

Le Père Noël lève les yeux :

- Tout le monde est là ? Parfait. On part faire un tour d'essai. Ézéchiel ?

Le vieillard hoche la tête et sort par une petite porte à moitié dissimulée derrière une tenture. Un silence. Qui s'éternise. Blanche fronce les sourcils :

- On est en route, là ?

- Evidemment, répond le Père Noël. Et avant que vous me fassiez la remarque : oui, vous ne sentez rien, pas plus que vous n'entendez les Münch. C'est normal. Les décibels sont stockés dans des réservoirs à l'extérieur. On fera un petit tour dans la haute atmosphère tout à l'heure pour les lâcher à l'abri des oreilles indiscrètes.

- C'est étrangement peu... spectaculaire, remarque la momie.

- Comme toutes les opérations bien menées, réplique le Père Noël.

Un bip se fait entendre. Le Père Noël consulte une montre à son poignet :

- Tout est opérationnel. Parfait. On va pouvoir y aller.

Il se lève. Il a son traditionnel costume rouge bordé de fourrure. Mais à y regarder de plus près, Blanche distingue nettement les joints métalliques aux articulations et les bandes sombres des joints caoutchouc aux poignets. Il faut bien ça pour ressortir indemne d'une machine de Möbius en fonctionnement. Il sort par la même porte qu’Ézéchiel tout à l'heure.

- Bon... fait la momie en se dandinant un peu.

- Et c'est tout ? demande Blanche.

- Sinon qu'actuellement il est en train de faire sa distribution. Il utilise la Möbius pour compresser à la fois l'espace et le temps. Mais ça ne veut pas dire que le temps passe plus vite pour lui. Il se tape toute la livraison à la main. En temps « réel », il y passe trente ans. Pour nous et pour tout le reste de la planète, tout est terminé en moins d'une minute, explique le contrebandier.

- C'est pour ça qu'il est immortel, qu'il doit être immortel, souffle la momie dans un éclair de compréhension.

- EXACTEMENT, dit la Mort.

Le sas s'ouvre. Le Père Noël entre. Il s'arrête un moment, interdit :

- Mais que faites-vous là ? Ah oui... ça y est... je me souviens. Ça va, tout le monde ? Ça y est, c'est terminé. On rentre.

Il s'étire un peu avant de s'effondrer dans son fauteuil :

- Pfiouu... J'aurai bien mérité mes deux ans de vacances après ça.

Un bip retentit. La voix d’Ézéchiel se fait entendre :

- Slater est là avec le mulet. Il propose de s'arrêter pour réunir les Treize avant de rentrer.

- D'accord.

Le Père Noël se tourne vers ses passagers :

- On va faire une petite halte. Slater va nous rejoindre avec la treizième moto que l'on garde en réserve en cas de panne. Cela s'est avéré pratique par le passé, plutôt que d'avoir à dételer une moto.

Il se lève :

- Voilà, nous pouvons sortir.

Tous passent par la porte et se retrouvent sur une route de campagne déserte faiblement éclairée par la lune. Un grondement au loin. Un phare unique qui se rapproche. Slater sur la treizième Münch. Il s'arrête sans couper le moteur et béquille. Il suçote toujours un cigare :

- Alors ? Tout s'est bien passé ?

- Mmoui... fait Blanche, faisant ainsi part de sa déception. Je suis quand même un peu...

- VOILA QUELQU'UN interrompt la Mort.

En effet, des phares se profilent à l'horizon. Ils se rapprochent rapidement. Puis des lumières bleues se mettent à briller sur les toits des deux Kangoo de gendarmerie en approche.

- Oh oh... murmure la momie.

- Ah, la poisse ! soupire le Père Noël.

- Je vais régler ça, ce n'est pas un souci, dit Slater.

Les deux Kangoo s'arrêtent dans un crissement de pneus. Bruit de portières qui s'ouvrent. Un voix crie :

- Gendarmerie nationale ! Personne ne bouge !

- Ah zut, des cowboys, murmure Slater. Un coup de main, Ramsès ?

Dans le lointain, on entend vrombir le vol d'un million de taons.

La silhouette massive de Slater se détache dans le lumière des phares des Kangoo. Il fait deux pas en direction des gendarmes. Un grondement interrogatif se fait entendre.

- Moi non plus, j'aime pas ça, dit le contrebandier.

- Puissante est la peur, chez eux, dit Jules. Il relève les manches de sa tunique.

- Ne bougez pas ! Restez où vous êtes ! Les mains sur la tête !

Slater s'exécute, dévoilant du même geste le Desert Eagle Mk VII qui ne quitte jamais sa ceinture.

Malgré la distance, on entend nettement le gendarme déglutir. Et puis le vol de taons arrive et engloutit les deux voitures de gendarmerie.

- Vite ! Tous à l'intérieur ! crie le Père Noël. Jack ! Tir de couverture !

Avant de passer le sas, Blanche a le temps de voir Slater sortir son arme et la pointer vers les gendarmes aux prises avec les insectes.

Extrait du quotidien « La Dépêche de Savoie Maritime » daté du 26.12.2015 :

Le contrôle routier tourne au massacre

Hier soir, sur la route de Mufflins, deux véhicules de la Brigade de Gendarmerie de Clerbin les Mouilleuses ont été détruits par des tirs d'armes semi-automatiques de fort calibre. Les assaillants ont pu prendre la fuite dans des circonstances qui restent à élucider.

C'est vers minuit dix que deux véhicules de la Brigade de Gendarmerie de Clerbin les Mouilleuses se sont arrêtés pour effectuer un contrôle routier au niveau de kilomètre 25 de la route de Mufflins en direction de Groville. Ils avaient repéré deux véhicules arrêtés sur le bas-côté. En ces temps d'insécurité grandissante et n'écoutant que les consignes d'extrême vigilance ferme données par le ministère, les quatre gendarmes se sont immédiatement rendu compte qu'une activité suspecte étaient en train de se dérouler sous leurs propres yeux et au mépris du Code civil.

N'écoutant que leur courage, ils arrêtèrent donc leurs véhicules pour procéder à un contrôle d'identité des présumés malfaiteurs. C'est alors qu'ils furent assaillis par une nuée d'insectes qui rendirent ledit contrôle difficile à effectuer. Là, selon le témoignage du brigadier Duplumeau, l'un des terroristes aurait crié : « tuez les tous ! » avant de s'enfuir dans ce qui ressemblait à une voiture étrangère avec une escorte de motos. « C'est alors que cette sorte de géant a ouvert le feu sur nous. Conformément aux instructions, nous avons riposté dans le strict respect de la procédure. Le malfaiteur criait des insultes en langue étrangère, donc on peut supposer que c'est un non-Français qui vient d'un autre pays que le nôtre. Armé et dangereux, de surcroît en plus », ajoute le brigadier Duplumeau, chef de patrouille.

La police scientifique qui s'est rendue sur les lieux peu après a pu relever quelque 198 impacts de balles de fort calibre sur les deux Kangoo. Par un hasard extraordinaire, aucun des gendarmes n'a été blessé. Le sous-brigadier Chiffin déplore juste une légère ecchymose au coude gauche. Ses jours ne sont pas en danger. En revanche, les deux véhicules ont été sauvagement détruits, triste nouvelle alors que le gouvernement a appelé à plus de rigueur budgétaire.

« Nous postulons qu'ils venaient de faire évader un de leurs acolytes d'une clinique, puisque l'un d'entre eux était recouvert de bandages. Il apparaît de plus qu'un de leurs complices était une femme de sexe féminin qui a dû se faire passer pour une infirmière pour commettre son méfait. Il y avait aussi un adepte du cosplay -comme on dit de nos jours- et qui devait revenir d'une projection du film Scream. Un autre essayait de se faire passer pour un de ces faux Père Noël qui mendient à la sortie des églises à cette époque de l'année. Et puis il y avait cet homme qui ressemblait à un ressortissant des pays de l'Est qui entrent ici grâce au laxisme des frontières et qui reviennent même quand on les expulse », poursuit le brigadier. « Nous pensons qu'il pourrait s'agir en fait d'une troupe de cirque ambulant, puisqu'il y avait un nain avec eux et puis une sorte de gorille. Donc en fait on cherche un grand brûlé évadé d'une clinique par l'entremise d'une infirmière avec un de ses compagnons qui aime les films d'horreur et qui font partie d'une troupe de cirque étrangère ; on devrait mettre la main sur eux rapidement avec un tel faisceau d'indices », conclut-il.

Une cellule psychologique a été mise en place pour soutenir les quatre gendarmes suite à la perte de leur véhicule de fonction adoré. Le ministère a promis un renforcement des effectifs « d'ici peu » afin de « lutter plus efficacement contre les ressortissants étrangers pas d'ici et sont méchants ». En attendant, l'enquête suit son cours. Mais depuis désormais, à la gendarmerie de Clerbin les Mouilleuses, plus rien ne sera pareil que comme avant.

Plus d'infos sur les kroniks

Attention Kronik ! 100% mauvaise foi ! Ceci n'est pas un article ni une brève (voir historique si nécessaire). L'abus de kronik peut être dangereux pour la santé de certains. Ne pas abuser.

Commentaires

tom4

pas mal pas mal.

tom4

24-12-2015 08:15 
KPOK

on a oublié la célèbre ligne à la fin :

(à suivre...)

24-12-2015 09:48 
commando

quand j'vous dis qu'il existe !

24-12-2015 10:02 
froggyfr99

super

24-12-2015 10:29 
Godzilla



"A Tunguska tu as eu du bol...."

24-12-2015 10:45 
Le Modérateur

La fin est arrivée ! sonna l'heureux Père...
donc, pour ceux qui ont lu tôt aujourd'hui, remontez dans le temps jusqu'à "à suivre" pour découvrir la chute...

pour faire court, 22.000 quand même ! çà sonne comme un long rifle !

24-12-2015 12:42 
Berny

super

24-12-2015 12:52 
Le Modérateur

un vrai Noël avec un texte comme cela... il vous a gâté !

24-12-2015 13:01 
KPOK

je m'aperçois que j'ai oublié de mettre le riff de guitare électrique en fond sonore quand Jack parle. Impardonnable.

24-12-2015 17:27 
damthemad

excellent, très inventif

29-12-2015 23:10 
 

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