Roman : René (épisode 7)
Episode 7 : Où René commence enfin à piger le mode d'emploi…
Donc, René, après une nuit à cogiter la nouvelle
embrouille dans laquelle il s'est fourré : un stage de pilotage
oblige à dévoiler ses faiblesses au yeux des autres et il
n'est pas possible de tricher dans ce cas là mais, comment faire
autrement s'il veut apprendre à bien maîtriser la bête
qu'il s'est fait sournoisement refourguer ?...
Mais pour l'instant il y a un rétro à récupérer
et monter, sans compter le rodage à terminer (ce qui permettra
de continuer l'apprentissage de ce truc qui a évolué plus
vite que lui...).
Sitôt prêt, il sort la V6 du sous sol, jetant un regard au
rétro pendouillard, s'équipe (pas le cuir, trop long à
mettre...) et démarre la surpuissante mécanique qui feule
immédiatement en douceur sur son ralenti grâce aux bienfaits
de l'injection.
René décolle ensuite gentiment et se rend au bouclard qui
doit être ouvert à cette heure.
Pénétrant dans l'officine, il se rend immédiatement
au comptoir « pièces détachées », et
s'adresse au magasinier présent derrière le comptoir :
« Salut mon gars !, t'as r'çu mon rétro ? »
« Bonjour M'sieur, le camion de livraison est présent en
bas : si vous voulez bien patienter quelques minutes, je vais vérifier
si je l'ai... »
« Pas d'problème, ça marche ! »
René en profite pour le tour du magasin et... tombe nez à
nez avec Valentini !..
« Bonjour M'sieur Gédeufoitrentans !, alors comme ça
j'ai appris que vous serez présent sur la liste du stage au Mans
? Moi aussi, je serai présent pour préparer ma saison !…
»
Douche froide pour René !!!
Décidément, songe t'il amèrement, j'ai pas
d'bol : y va êt' présent l' jeune blanc bec... . J'les accumule
en c' moment !
« Ben ouais, à mon âge il faut parfois penser à
se recycler, répond t'il en ajoutant, faut dire que maîtriser
200 canassons sur l'angle, à mon époque, le problème
ne se posait pas sous cet aspect là : nous, on devait composer
avec des motos qui se tordaient en courbe et ne freinaient pas, maintenant,
elles pourraient être pilotées par ta grand mère,
mais c'est l'moulin qu'il faut domestiquer. Heureusement, c'est
pas d'hier que j'fais d' la moto : faut simplement que j'm'adapte... »
« Oui !, j'ai vu l'autre jour, avec votre ancienne... , lance perfidement
le jeune effronté, mais bon !, avec celle là vous pouviez
pas faire plus... . Vot' V6 c'est autre chose !, et j'ai hâte de
voir comment elle va se comporter sur la piste... »
René lui lance un regard noir en répondant : « On f' ra c' qu'on pourra... », puis il retourne vers le comptoir car le gars en blouse est de retour.
« Voilà le rétro : z'avez pu qu'à l'
monter... . Ca vous fait tant ! »
René règle et sort rapidement : pas envie de rester plus
longtemps la dedans !
Il rentre chez lui rapidement en songeant que maintenant, quoi qu'il
arrive, il va être obligé de se sortir les doigts du c..
: son honneur est en jeu !
Remonter le rétro fut un jeu d'enfant, mis à part ce «
bon dieu de foutu cache en plastique » fixé par une minuscule
vis que sa vue déficiente refusait de décoder...
Enfin, après un quart d'heure de jurons en tous genres (heureusement
qu'il ne va pas à confesse !..), René est fier de lui :
le rétro est posé et la machine neuve comme avant.
Ceci terminé, il s'équipe de son cuir, lequel commence à
se faire à sa morphologie, et décide d'aller rouler, sans
but précis, juste pour bouffer de la borne.
Le temps reste obstinément au beau fixe, constate René
avec satisfaction, tandis qu'il décide de tirer Sud Ouest.
La moto chauffe gentiment et il en profite pour tester différentes
positions à basse vitesse : pour l'instant, ça va et la
machine se comporte de manière satisfaisante.
Une vingtaine de kilomètres plus loin, pilote et moto sont maintenant
prêts à en découdre avec le ruban d'asphalte
!
GAAAZ ! : VROOOOAAARRRRR !!!!, fait le V6... et OUUUP'S !!! fait René,
le nez plaqué contre la visière du casque et les bras tentant
de résister à l'accélération proportionnelle
à sa résistance musculaire (et encore, il se cantonne à
6000, la zone rouge étant à 10500...).
La vache ! : Ça pousse velu ! s'exclame t'il à chaque
fois qu'il tourne la poignée droite !
René s'extasie encore et toujours de cette poussée particulièrement
jouissive. Oui mais ça, c'est en ligne droite car déjà,
une courbe se profile au loin...
Rester calme !, pas se déconcentrer surtout...
100 mètres..., 50 mètres..., la moto est toujours en pleine
accélération !
René ne quitte pas le point de corde qui se présente maintenant
à lui, 2 doigts sur l'embrayage et 2 doigts sur le frein avant...
Lentement, il actionne le levier droit en tendant les bras : Wouuuf !
, fait la moto sous l'effet de la morsure des plaquettes sur les disques
carbone...
« T'énerve pas René, bien en ligne vas y : freine
plus fort ! , bien en ligne j't'ai dit, FREIIIIINE !!! ».
Cette fois encore la machine donne l'impression de rentrer dans un mur
mais ne se désunit pas, merci l'A.B.S. !
Le genou sorti, il fait maintenant plonger la moto à la corde,
d'un léger appui sur les cale pattes, gaz coupés :
« Ca passe, ça passe, ça PASSE... , c'est passé
!!!
Le 1300 a viré d'un bloc exactement sur la bonne trajectoire...
Ouais ! : ça y' est !!! , jubile René en remettant la sauce,
moto encore inclinée sur l'angle...
Cette dernière, sous l'effet du couple démoniaque généré
par l'optimisme de son pilote à tourner la poignée, se met
aussitôt à dériver de l'arrière !…
René sent un frisson le parcourir tandis qu'il coupe immédiatement,
ce qui pour effet de produire une amorce de guidonnage suite à
la remise en ligne immédiate de la grosse sport GT...
La moto se met aussitôt à gigoter furieusement de droite
à gauche, puis de gauche à droite au grand désarroi
d'un René au comble de l'épouvante.
« Ca passe, ça passe, ça PAAAAAAAAAASSSSSSSSSSSEEEEEEEEEE
!!!, répète t'il de nouveau en croisant les doigts dans
sa tête, c'est paaaaassé !!! », constate t'il avec
un soulagement non dissimulé !
Un enthousiasme plein d'orgueil fait place immédiatement au sentiment
de panique précédent :
« Mon p' tit René, t'es vraiment un bon : Ago lui même
n'aurait pas fait mieux... . Finalement, c'est pas compliqué
: faut rester calme et concentré, l'expérience et
le talent faisant le reste ! »
Heureux comme toi le jour où t'as emballé la frangine de
ton pote malgré ta laideur, René se jette maintenant de
courbe en courbe avec un entrain sans cesse croissant : faut croire qu'en
matière de pilotage, la confiance joue énormément
car notre bonhomme, ragaillardi par ses exploits, en remet et... ça
passe !!!
Au bout d'un moment, c'est le physique qui crie grâce...,
et René décide d'une halte au troquet du coin, à
l'entrée de ce village.
Celui ci est tenu par Germaine, laquelle aurait pu se trouver sur les
mêmes bancs d'école que notre motard préféré.
Lorsqu'elle voit arriver ce fringant motard sur sa rutilante machine,
elle sent frissonner tout son être : toute sa vie elle en a rêvé
de grimper derrière ces fringants bolides mais son père
a toujours refusé, mariée jeune, son époux n'a
jamais aimé la moto, maintenant qu'il n'est plus là, sa
vie commence à se regarder dans le rétroviseur, et il y
a ce foutu bar dont elle doit s'occuper pour vivre !
Lorsque René enlève son casque, elle se précipite
immédiatement, réajustant son chignon :
« Bonjour M'sieur !, belle moto que vous avez là !, venez,
venez, installez vous à l'intérieur : j'vais vous servir
et on va causer bécane, dit elle en se rapprochant plus que de
convenance vers René, allant même jusqu' à lui toucher
la main, vous avez une sacrée allure là-dessus !!! »
René se demande sur quelle espèce d' hystérique
il a bien pu tomber, surtout que cette dernière n'arrête
pas de le dévorer des yeux en roucoulant et papillotant des paupières.
Il fait mine de la suivre et, dès qu'elle a le dos tourné,
ré enfile son casque et se précipite vers sa moto comme
pour un départ des 24 heures !
« Au s'cours !!!, elle est malaaaade, la vieille !!!! », se
dit il en démarrant brusquement ...
« Encore raté ! », soupire la vieille dame en retournant
tristement derrière son comptoir.
René n'a plus soif tout à coup : il roule, roule, roule,
s'arrêtant juste pour ravitailler et manger un casse croûte
sur le bord de route par le biais d'un commerçant ambulant.
Puis il reprend la route, les kilomètres défilent et le
soir commence à tomber, en même temps que la fatigue se fait
sentir (cette foutue position, il s'en accommode finalement, mais ses
avant bras pas encore...).
Une nuit d'hôtel, la route du retour et la moto affiche maintenant presque mille bornes lorsqu'il regagne son domicile... .
De retour chez lui, un courrier l'attend dans sa boite aux lettres :
c'est son frère jumeau Maurice, motard comme lui (mais lui assume
son âge et roule en custom, comme quoi les caractères...),
qui lui annonce sa venue dans 15 jours !
« Chouette !, s'exclame René, il va pouvoir m'accompagner
au Mans », se réjouit-il, rassuré de la présence
d'un proche dans l'épreuve qu'il va devoir surmonter...
Inutile de dire que René a dormi d'un sommeil profond cette nuit là...
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