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Roman : René (épisode 12)

Episode 12 : Direction LE MANS…

THE grand jour !!!..
René est comme un gosse à qui on va offrir un nouveau jouet.

Il vérifie tout : son cuir, ses gants, ses bottes, nettoie dix fois la visière de son casque, sur Brigitte passe le chiffon (faut qu'elle soit belle pour la grande messe !) et contrôle la molette de réglage de garde à l'embrayage ainsi que le jeu à la poignée de gaz pour qu'il soit nul (il aime une réponse immédiate et ne supporte pas le moindre jeu, sujet de discorde avec le chef d'atelier : un gamin de quarante ans qu'est trop jeune pour savoir...).

Maurice le regarde faire, un peu amusé. Petit à petit, lui aussi se laisse gagner par l'enthousiasme un peu contagieux du frangin : bien malgré lui mais, après la démonstration sur la route, le voilà un peu rassuré quand à la capacité de René d'être digne de ses délires... . Puis aussi, l'arrière pensée de voir la vieille génération en découdre avec la nouvelle (Maurice est persuadé que le fait d'avoir roulé si longtemps sur des motos « dont il fallait s'occuper » a développé un sens de l'improvisation que les jeunes, même habitués au degré de performance actuelle, sont incapables d'avoir en cas de situation critique : selon lui, la botte secrète de son frère...) qui risque de constater qu'un Respectable passionné n'est pas encore tout à fait arrivé au stade où on le range dans un des placards réservés à l'histoire de la moto...

Aussi, Maurice est pressé d'essayer la Brigitte : même si une brêle comme ça est aux antipodes de sa définition d'appréhender la moto, cette machine l'intrigue par l'effet produit sur René et il veut en avoir le cœur net !
Pourtant, le Vénérable n'est pas prêteur en temps normal (laisser sa femme, à qui il fait les yeux doux, à son meilleur pote, à la rigueur, mais on touche pas à Brigitte..., surtout pas !), mais aujourd'hui, René veut faire plaisir à son frère, à la condition extrême qu'il fasse gaffe à pas la laisser tomber...
Ce qui l'a fait céder est le fait que le frangin, en toute circonstance, garde son calme. Et même s'il avance à la vitesse « d'un âne qui r'cule », son expérience de la route 30.000 kms par an au minimum fait de lui un gars qui se laisse rarement surprendre.

René a pris le soin de demander l'autorisation à l'organisation d'emmener le frangin avec lui : ils partageront la même chambre et Maurice assistera même aux cours statiques mais, au fond de la classe.

Le sentiment de retrouver un peu du « Continental Circus « (c'est ainsi qu'on nommait, à l'époque lointaine où les sponsors n'avaient pas encore parasité le milieu, le petite monde des GP d'antan : une période où les pilotes se rendaient sur les circuits avec la vieille camionnette prêtée par le boucher du coin et festoyaient ensemble avant et après la course, avec les spectateurs. Essaye de faire la même chose aujourd'hui...), du temps heureux de leur jeunesse.

En ce temps là, le GP de France se déroulait à Charade, près de Clermont Ferrand, voire sur le prestigieux circuit des Essarts, près de Rouen, dont le tracé routier existe toujours. Seules les tribunes ont été détruites (c'est un de mes terrains d'essai des brêles de prêt...).
A cette époque, ils s'y rendaient, sur leurs anglaises, avec plus de poids en outillage qu'en matériel de camping car vu le niveau de fiabilité des motos d'alors, valait mieux être prévoyant si on voulait arriver au bout du voyage.

Aujourd'hui, les deux croûtons ont le même sentiment d'excitation qu'alors : leur jeunesse qui leur sautait à la tronche en quelque sorte. Sauf qu'aujourd'hui, ils allaient être acteurs, et non spectateurs...
Bon, bien sûr, c'était pas une course mais un stage de pilotage, mais ils allaient tutoyer un ancien champion du monde et être acteur, René en tant que pilote et Maurice en manager imaginaire, sur une piste mythique, elle aussi.

Bon sang, quelle cure de jouvence !

C'est René qui chauffe la KAWASUKI (la faire essayer à Maurice, passe encore, mais c'est SA moto, et c'est lui qui s'occupe de la mise en température du fougueux bolide !) et c'est parti en direction de la Sarthe : deux cent bornes à peine, mais c'est suffisant comme mise en jambe...
René, comme il en a maintenant pris l'habitude, zigzague pour chauffer les pneus, bien plus concentré qu'à l'ordinaire. Maurice suit, à distance, mais lui aussi tourne la poignée un peu plus qu'en temps normal (c'est fou comme le rêve peut engendrer un changement de comportement...).
Une courbe à droite puis une à gauche, une longue, une épingle : on vise le point de corde, on fait mordre les plaquettes sur les disques carbone tout en se positionnant pour faire plonger la V6 avec un angle de plus en plus prononcé : René est studieux, obnubilé par le fait de bien faire, sous l'œil critique de Maurice, lequel suit à distance en notant le style de son « poulain » !

Cent bornes plus loin, arrêt et débriefing : Maurice a remarqué que « son » pilote freine un peu trop en ligne sur les grandes courbes, ce qui l'oblige à couper légèrement pour placer la moto sur la traj'...
« René, t'es bon mais là, tu perds du temps : faire ça, c'est bon pour les épingles, mais tu devrais prendre les freins sur l'angle pour aborder une courbe rapide, la moto va pas élargir dans ce cas, vu la façon dont tu visualises la sortie ... ! »

Ben mer.. alors !, y savait pas qu'l'frangin possédait un tel don d'observation, l'René ! Car il s'était bien rendu compte que ça pouvait passer plus vite, 'fectiv'ment... , mais, vu la puissance du 6 à injection, y'avait comme ch'tite ret'nue au placement de la moto !
« Ouais, Maurice : j'ai r'marqué ! Mais avec c't'engin, faut faire gaffe : un coup d'gaz en trop, et hop !, c'est une virgule su'l' bitume... »
« J'ai vu..., mais faut qu'tu forces : tes adversaires y vont pas t'attendre, surtout l'gamin qu'tu m'as parlé ! L'honneur d'la famille est en jeu... »

René est impressionné par le ton employé par Maurice : jamais il n'a connu son frère sous ce jour là. Et il se demande s'il ne l'a pas un peu sous estimé...
De plus, en regardant dans l'rétro, il a trouvé que le custom était pas si loin que ça sur les freinages : à l'accélération et en courbe, bien sûr que non, mais sur les freinages, l'est pas si gatouillable que ça l'Maurice !

Ils échangent ensuite les bécanes pour le reste du trajet : René, inquiet quand même, arrête pas de donner mille conseils et avertissements au frangin quand au mode d'emploi de Brigitte...
« T'inquiète pas comme ça : elle a deux roues et un guidon ta Brigitte !, c'est tout c'qui m'importe. Pour le reste, c'est une moto comme une autre et j'en ai essayé des tas comme celle ci, même si tu ne m'fras pas acheter un truc comme ça... »

Maurice se cherche un peu au début mais, même s'il roule en custom (pour lui, faisant beaucoup de route, ce type de position lui convient à merveille pour découvrir tranquillement de nouveaux horizons), il a quand même un poil des mêmes gènes que l'frèro, ce dont Brigitte profite en lui jouant le chant de la sirène...
Bien sûr, les pattes repliées et le corps basculé, ça désoriente... au début, tout du moins... !
Car v'la t'y pas qu'le Momo d'service y s'met ensuite à déhancher, visiblement pas trop gêné par le déferlement de canassons du monstre qu'il a entre les pattes, à la grande surprise d'un René qui, lui, a bien du mal à se faire à ce curieux engin où on a les bras en l'air, les pieds en avant et un moteur qui semble faire reculer la moto quand il tourne la poignée, en comparaison des possibilités d'accélération de sa bête !

Heureusement pour René, la Viragro possède le frein moteur de tout gros bi qui se respecte, car maintenant habitué aux freins carbone, ce truc y r'semble aux vieilles anglaises d'il y a trente ans...
Maurice semble s'amuser comme un p'tit fou : « pas possib', c'est pas lui !.., songe René, un poil inquiet, il a jamais roulé comme ça l'frangin !!!.. »

Un gauche se profile à l'horizon : René se bat avec ce « tracteur à roulette » qui fait tout pour le rendre ridicule tandis que Maurice ajuste son tir...
Un coup d'œil sur le point de corde pour visualiser la distance le séparant de la corde, un poil de frein et... un superbe extérieur sur ce pauvre René qu'à rien compris, occupé à se battre avec la Yapapa !!!..

Furibard, René remet la sauce, le custom se tord dans tout les sens, le moteur, peu habitué à un tel traitement, hurle gravement sa désapprobation (le cardan aussi...), et... Gazzzzzzzz !!!, au derche de Maurice ! Non mais ! , c'est qui le pilote ???????.

Un pif paf arrive très vite : René tente de retarder le freinage au max', recollant ainsi au V6, mais le frein moteur déstabilise la paisible machine qui se met à onduler du croupion comme ces filles que tu rencontres, le soir, quand tu prétextes sortir le chien à ta femme... Raté ! Toujours devant la V6, avec Maurice qui déhanche un poil, très propre..."
« Pas croyab': j'va pas y arriver ! », panique René, lequel ne peut que constater, impuissant, la supériorité de Maurice sur SA moto...

Il essaye deux fois, trois fois..., rien à faire ! Et Maurice rigole dans son casque du coup qu'il vient de faire au frangin...

René, il en peut plus : appel de phare sur appel de phare (il sait que l'autre, il le regarde dans l'rétro), il oblige ainsi son frère à s'arrêter sur le bas côté et, enlevant son casque rageusement, lui dit :
« Eh, dis donc, tu t'es foutu d'moi hier, avec ton air de vieux schnock sur ton tromblon ??? : qui c'est qui t'a appris à rouler comme ça ?, espèce d'enfoiré !!!!! »
Maurice rigole franchement : « Oui, c'est vrai : avec l'âge on perd la mémoire... . J'ai simplement oublié d'te dire que d'temps en temps, j'fais des p'tits stages de perfectionnement en louant des sportives actuelles... : c'est pas un truc prestigieux comme celui que tu vas faire, mais j'avais r'marqué qu'sur la route, surtout en roulant par tous les temps, valait mieux en faire pour bien appréhender les pièges du réseau routier. Mais attention !, par rapport à toi, moi j'roule calmement sur la route... »
Et il ajoute :
« Marche bien ta Brigitte !: le moteur est bon avec ce couple et cette facilité à prendre les tours. Un peu trop de puissance pour la route, c'est certain, mais elle est sympa cette bécane !
Peut être un peu lourde pour les enchaînements rapides sur circuit... »
René, il est à terre !!!

Ils reprennent leurs motos respectives, et Maurice son style tranquille..., pour les derniers kilomètres avant de toucher au but.

Un panneau, à quelques kilomètres du Mans, indique « circuit Bugatti » : toc, toc ! , fait le cœur de René, dont le rythme augmente avec le trac s'installant peu à peu... .
La longue ligne droite, ouverte à la circulation, les murets bordant le circuit, les panneaux indiquant les différents parkings : la pression monte d'un cran !
Ils pénètrent dans le site : une pancarte indique « stage : suivre le fléchage » les invite à se rapprocher des tribunes qui maintenant se précisent...

Sur le parking, en face, quelques fourgons (dont un, avec l'inscription « ROSSO MOTO »...) plus quelques voitures et cinq, six bécanes sont déjà présents.
Un gars, avec une casquette et un blouson marqué ACO, les accueille avec un air solennel : « allez garer les motos en face et présentez vous au bureau, de l'autre côté de la piste, en empruntant le tunnel d'accès : y'a déjà du monde présent... ».
Ils obtempèrent, laissant les machines et les sacs à la surveillance du gardien et empruntent ce fameux tunnel passant sous la ligne de départ : c'est fois, c'est le début de l'aventure qui commence pour René, son sacré Maurice de frère à ses côtés...

Et on allait bientôt voir de quoi se chauffe la petite famille Gédeufoitrentans...

René Gédeufoitrentans "le gatouillable" by Sato

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