Essai Moto Morini Milano
Faite pour Milan et au-delà
Bicylindre de 1.187 cm3, 115 ch et 108 Nm, 191 kg à sec, à partir de 15.000 euros
Il n'y a pas si longtemps, la petite mais historique marque italienne Moto Morini jouait sa dernière chance, au bord de la faillite, victime de la crise financière mondiale de 2008. Mais depuis octobre dernier, elle appartient à l'entrepreneur asiatique Chen Huaneng, PDG du constructeur chinois Zhongneng, qui travaille actuellement à la préparation de deux premiers modèles de moyenne cylindrée pour le salon de Milan, un roadster naked et un street scrambler, tous deux motorisés par des twins parallèles de 650 cm3 d'origine chinoise.
Parallèlement, la production de la gamme Moto Morini se poursuit dans l'usine de Trivolzio située près de Milan avec des grosses cylindrées propulsées par l'unique V-Twin CorsaCorta à 87° de 1.187 cm3 designé par Franco Lambertini. Cet ancien de Ferrari avait déjà créé le bicylindre en V de la légendaire 3 1/2 lancée en 1969 et regorgeant d'innovations techniques qui ont permis à Morini de survivre jusqu'à l'ère moderne.
Entre-temps, en 2011, Moto Morini avait été achetée par deux investisseurs milanais, l'un d'eux devenant l'unique propriétaire 5 ans plus tard. Morini a poursuivi sur sa lancée avec Ruggeromassimo Jannuzzelli à la barre, lui permettant de survivre suffisamment longtemps pour que Zhongneng puisse en faire l'acquisition. Les 13 employés qui occupaient un poste à plein temps dans la petite usine bien équipée située près de Pavie, dans les rizières à risotto, ont produit 190 motos en 2018. Il s'agissait principalement des dernières variantes ZZ et ZT de la streetfighter Corsaro qui avait fait ses débuts en 2005 avant de donner naissance à plusieurs déclinaisons dont la Scrambler qui, comme le duo de Corsaro, est aujourd'hui accessible et compatible avec Euro4.
Mais dans le cadre de son plan de relance de Moto Morini, Jannuzzelli a investi des sommes considérables dans la production de motos qu'il aurait aimé acheter. C'est le cas de la Milano qui, avec un soupçon d'ironie, appartient désormais à la Chine alors que la production a débuté. Jannuzzelli voulait concevoir une moto performante sur route, mais aussi facile en ville. Le fait que celui-ci partage sa vie entre son rooftop milanais et un château fortifié au coeur de la campagne n'y est pas étranger.
Découverte
L'homme en charge de créer cette association parfaite est le responsable technique Massimo Gustato qui avait rejoint la direction du R&D en 2015. Ce rôle, Gustato l'avait déjà occupé chez Bimota, où il était responsable de la production des modèles, du supermot DBX à la superbike BB3. Il avait auparavant travaillé pour Aprilia Racing avec RSW 125 et 250 de Grand Prix et la RSV4 de Superbike. C'est donc un homme qui sait comment développer des modèles de petite série de manière rentable, sans sacrifier ni la qualité ni l'individualité d'un petit constructeur.
Gustato a commencé à travailler sur le développement de la Milano en janvier 2017 et cela impliquait bien plus que simplement réduire la puissance du moteur de la Corsaro en collant un siège passager sur le châssis de la Streetfighter.
Personne d'autre ne fabrique une moto comme celle-ci. Une Monster ou une Tuono ont des performances beaucoup plus extrêmes et un style plus agressif, alors que la Milano est une moto ordinaire adaptée à la vie de tous les jours en ville tout en offrant des performances stimulantes sur route. Ce n'est pas non plus une néo-rétro comme les Bonneville ou Ducati Scrambler, leur look est trop rétro et leurs performances trop douces.
Le look classique de la Milano (mais pas rétro !) est l'oeuvre du styliste turinois Angel Lussiana qui réalise ici sa première conception passant en production.
Pour créer la Milano, Massimo et son équipe d'ingénieurs ont conçu un tout nouveau cadre tubulaire en acier Cr-Mo plus long que celui de la Corsaro. Il en résulte une hauteur d'assise inférieure de 55 mm et un centre de gravité également abaissé, avec un nouveau bras oscillant en fonte d'aluminium allongé de 30 mm pour un empattement plus long de 1.490 mm.
La géométrie de la direction est également plus détendue avec la fourche inversée Mupo de 46 mm entièrement réglable et débattant sur 120 mm dont l'ouverture est un peu plus large (25°) et la traînée accrue de 5 mm. A l'arrière, l'amortisseur Mupo réglable en détente et en précharge grâce à une molette déportée travaille sur 110 mm et a été revu pour plus de progressivité.
En ce qui concerne la partie cycle, seuls le système de freinage Brembo et les jantes en aluminium forgé sont communs à la Corsaro, avec deux disques avant de 320 mm pincés par des étriers radiaux à 4 pistons et un maître-cylindre radial, ainsi qu'un disque arrière de 220 mm avec son étrier à double piston. L'ABS Bosch MP9.1 à deux canaux vient compléter la liste.
Les roues forgées sont quant à elles chaussées de pneus Pirelli Angel GT avec à l'arrière un 190/55-17 au profil assez plat grâce à la jante large de 6" sur laquelle il est monté. Avec les pleins d'huile et d'eau mais sans le carburant, la Milano affiche 191 kg, soit seulement 500 g de moins que la Corsaro ZT. Pourtant, j'aurais juré qu'elle était plus légère, peut-être à cause de ses masses placées plus bas.
Côté châssis, la Milano est plus basse et longue que la Corsaro et son moteur a été essentiellement ajusté pour offrir une plus large plage d'utilisation du couple et de la puissance, réduits quant à eux pour que la moto soit plus souple et plus facile à contrôler. Les arbres à cames ont été révisés tout comme les culasses, les soupapes et le calage de ces dernières. La ligne d'échappement a elle aussi été revue, le positionnement sous la selle ayant été troqué par deux silencieux sur le côté droit.
La gestion du moteur de la Milano se fait par un calculateur Athena qui contrôle les corps papillon Magneti Marelli de 54 mm dotés d'un seul injecteur et d'une accélération... par câble. Oui, il s'agit bien d'un gros twin traditionnel qui répond aux exigences d'Euro4 sans bénéficier des avantages d'un accélérateur ride-by-wire, il n'y a donc pas de mode de conduite. La puissance maximale de 115 chevaux est délivrée à 8.000 tours/minute, tandis que les 108 Nm de couple arrivent à 6.250 tr/min. En comparant cela avec les 137 ch à 8.500 tr/min et 125 Nm à 6.250 tr/min des Corsaro, il semble évident que la performance ait été sacrifiée en faveur d'une plus grande polyvalence.
Trop de sacrifices ? La seule façon de le savoir est d'emmener la Milano dans la ville à qui elle doit sa création et son nom. Mais avant d'y parvenir, j'ai d'abord emprunté la route panoramique qui serpente à travers les champs de risotto pour vérifier qu'il restait suffisamment de puissance pour se faire plaisir, mais pas au point de lever la roue avant sur les trois premiers rapports lors des grosses accélérations, comme c'est le cas sur la ZZ.
En selle
Comme le savent déjà ceux qui ont lu mes précédents essais, je suis un Moriniste convaincu et heureux propriétaire d'une Corsaro 1200 que je trouve toujours aussi fun à rouler que depuis le premier jour où je l'ai ramenée de Rome en Grande-Bretagne à l'été 2007. J'étais donc particulièrement intéressé par l'essai de cette Milano qui entend être une version plus maniable des modernes et musculeuses ZT et ZZ. En effet, la Milano offre une expérience de conduite totalement différente. C'est une évidence dès qu'on la chevauche en se retrouvant assis bien plus bas, quasiment dans la moto plutôt que perché comme sur les Corsaro. Cela donne à la Milano une allure plus intuitive et plus relaxante, avec une sensation de calme et de précision dans la direction, probablement grâce à l'empattement plus long et à la géométrie plus conservatrice.
Les changements apportés à la position de conduite et à l'architecture générale de la moto ont permis de concevoir une moto nettement plus accessible et contrôlable que les Corsaros. Cela conduit à créer un V-Twin de 1.200 cm3 qui semble aussi maniable et facile qu'une 500 cm3. Le résultat fait de cette moto l'outil de circulation ultime avec une précision sure et un comportement prévisible qui procure d'excellents retours d'informations.
Un des changements esthétiques les plus notables de la Milano est son plus petit réservoir de 13 litres qui se rétrécit à l'arrière pour permettre aux motard(e)s de presque toutes les tailles de poser leurs pieds plus facilement au sol. Avec sa position basse, la Milano est aussi très adaptée aux femmes. A cela s'ajoute un guidon Accossato monobloc aux poignées plus hautes, plus larges et reculées pour offrir une posture toujours droite et naturelle.
Sur route
Il faut reconnaître que la Milano est un régal sur les petites routes. La fourche Mupo et le pneu avant Pirelli offrent d'excellents retours qui aident à garder sa vitesse en virage en toute confiance tandis que les masses abaissées facilitent les enchaînements de virages.
Il y a un an j'étais monté sur le prototype de la Milano qui avait clairement tendance à sous-virer dans les virages rapides en poussant le train avant d'une manière que la version de série ne fait absolument pas grâce à la nouvelle géométrie de direction. Comme quoi, il y a toujours d'énormes différences entre les protos que l'on peut essayer au Repaire et les versions de série finales.
Avec sa large plage d'utilisation, le couple de ce moteur est disponible sans devoir changer de rapport en permanence. Notons que ce dernier a également très bien progressé puisque le passage des vitesses est plus simple que sur n'importe quelle Morini avec laquelle j'ai pu rouler, y compris la mienne.
Sur la Milano, la transmission est exactement la même que sur les Morini à moteur CorsaCorta, mais les changements de rapports s'effectuent désormais de manière transparente. Il est toutefois dommage qu'il n'y ait pas de shifter monté en série sur ce modèle comme sur la ZZ, celui-ci étant uniquement disponible en option. Il n'est d'ailleurs pas possible d'avoir un shifter sur la descente des rapports, même en option.
En ville
L'amélioration de la boite de vitesse s'avère très utile une fois arrivé dans le centre de Milan d'autant que le levier de l'embrayage anti-dribble ne demande qu'une pression modérée pour opérer. Voilà qui m'évite de souffrir de la main gauche avec les inévitables arrêts aux feux tricolores qui se succèdent.
La répartition beaucoup plus large du couple de la Milano permet également de se faufiler dans le trafic entre deux feux rouges sans devoir constamment changer de rapport, que ce soit en interfile avec les taxis impatients, les tramways ou en se glissant derrière une de ces reliques des années 30 qui sert encore de transport public dans les ruelles étroites qui longent La Scala et la Borsa Italiana. Il est même possible de se débarrasser des maxi-scooters sur les grandes avenues en montant dans les tours, la Morini répond avec fermeté et permet en un tour de poignet de laisser les Tmax dans son sillage. Appelez-la anti-scooter.
On se rend rapidement compte à quel point le moteur CorsaCorta est souple et indulgent lorsque l'on ouvre en grand en 4e à 2000 tr/min en sortie d'un virage normalement pris en seconde et que l'on savoure alors le couple qui tire de plus en plus fort de manière très linéaire jusqu'à l'actionnement du rupteur à 9.300 tr/min, sans que celui-ci ne laisse apparaître un arrêt brutal de la puissance. Ceci pourrait être surprenant de la part d'un moteur à course courte qui demande normalement à monter dans les tours, mais alors que le moteur aime les montées en régime (Lambertini assure qu'il fonctionne sans soucis à 13.000 tr/min), il prouve qu'il sait aussi très bien s'adapter aux bas régimes dans le trafic. Ensuite, dès qu'une place se libère, un simple mouvement de poignée et le moteur à la sonorité ultra distinctive répond présent alors que le Pirelli Angel arrière s'accroche et propulse la moto loin de ce SUV à la conduite brusque et arrogante. Les corps papillons du CorsaCorta offrent une reprise nette et contrôlable à tout régime, mais c'est bien sur la plage 2.500 - 6.500 tr/min que vous vous régalez le plus.
La Milano procure une grande sensation de connexion entre ce que fait votre main droite et la façon dont la moto l'applique sur l'asphalte. Il n'y a pas de filtre numérique pour diluer vos désirs, juste un lien analogique entre le papillon des gaz et le pneu arrière qui donne une bouffée d'air frais à l'ancienne. Le contrôle de traction s'est quant à lui avéré très utile pour aborder les pavés milanais où les glissades sont une réalité quotidienne.
Freinage
L'ABS Bosch, nécessaire à l'homologation Euro4, est également le bienvenu sur ce sol glissant. Le freinage Brembo est fidèle à ses habitudes : efficace sans prendre au dépourvu, les deux disques avant permettant de freiner la Milano depuis les hautes vitesses s'associent parfaitement à la bonne réserve de frein moteur disponible. L'arrière manque en revanche de mordant.
Autonomie
Le petit réservoir permet de rendre son importance à l'esthétique réussie du moteur CorsaCorta, ou plutôt aurait permis si ce dernier n'avait pas été recouvert d'une peinture noire qui le fait disparaître, d'autant plus que le cadre fabriqué par Verlicchi arbore la même couleur. Franchement, c'est contreproductif sur le plan esthétique, Morini aurait laissé le moteur brut ou peint en argent et le résultat aurait été bien meilleur. De même, le réservoir est trop petit, même pour une moto essentiellement urbaine. L'indicateur de carburant s'est allumé après à peine une centaine de kilomètres ! Ce qui conforte l'appétit des CorsaCorta, qui consomme toujours autant.
Confort/Duo
J'ai pu passer une bonne partie de l'excursion urbaine en compagnie de la directrice de Morini Cristina Fagioli qui a démontré qu'il y a beaucoup d'espace pour le passager et qu'avec ses réserves de couple, la Milano ne tient pas rigueur de ce poids supplémentaire, surtout avec un gabarit aussi petit que celui de Cristina.
Conclusion
Difficile de ne pas être impressionné par l'héritage légué par Ruggero Jannuzelli à Moto Morini sous la forme de cette nouvelle Milano, qui devrait recevoir à l'avenir un accélérateur ride-by-wire, les modes de conduite qui vont avec et ce shifter up/down qui lui fait pour l'instant défaut.
L'équipe de Gustato a merveilleusement adapté ce moteur CorsaCorta coupleux pour qu'il soit à la fois souple et indulgent, une vraie machine facile à conduire en ville comme sur les petites routes. Avec son excellente maniabilité, sa précision, ses performances décentes et sa position de conduite droite, la Milano est une vraie moto à l'ancienne où il n'appartient qu'à vous d'exploiter les réserves de performances de ce moteur grâce une utilisation judicieuse de la main droite avec pour seule aide le contrôle traction. La Milano est véritablement plaisante dans le trafic grâce à ses franches accélérations et son excellente réactivité sur une large plage de régime, mais toujours contrôlable et contrôlée, même avec un minimum d'intervention électronique. Déclinée en rouge et en bleu, la Milano s'affiche à 15.000 €, soit 900 de moins que la ZT de laquelle elle est issue.
L'an dernier, lorsque j'ai piloté la Corsaro ZT j'expliquais qu'elle était l'exact opposé de ces motos qui vous assistent sur tout, quelque chose avec deux roues et un moteur tellement loin de l'électronique que l'on est presque surpris que quelqu'un soit encore autorisé à construire et vendre ce genre de moto aujourd'hui. Moto Morini le fait et ils viennent juste de doubler la mise avec la Milano.
Points forts
- Une moto à l'ancienne
- Souplesse et disponibilité
- Maniabilité
- Look
- Freinage
Points faibles
- Autonomie limitée
- Pas de shifter pour la descente de rapport
Commentaires
"Pas de shifter pour la descente de rapport"
12-07-2019 12:31Pourquoi, c'est si compliqué de descendre un rapport?
Bref, belle moto, sans aucune faute de goût, même pour les silencieux.
Pas de fioriture ni de technologie inutile, et une ligne qui rappelle fortement une évolution de la mostro d'origine, ce qui est très bien.
Je trouve juste le cintre un poil haut. Un drag bar aurait été plus approprié.
Belle moto qui mérite le succès .mais
13-07-2019 23:57Pourquoi avoir diminué la capacité du réservoir?
J'ai moi-même une Corsaro Veloce : une moto de sensations et d'émotions!
15-07-2019 11:01On admirera le souci du détail de l'essayeur ou de moto morini. La couleur de la combinaison est assortie à la livrée de la belle. C'est qui le fabricant?
La déco de la moto qui fait penser aux anciennes c'est assez joli je trouve.
16-07-2019 00:23Dire que je pensais prendre une des premières 1200 Corsaro... Pour tous les jours....
Je pense à rien des fois.
ça fait 1 An qu'elle est importée et toujours aucun essai à part un comparo récent dans moto journal !
30-10-2021 09:56