Essai moto sportive Elf 500
Le proto européen des Grands Prix
V4 à 108°, 499 cm3, 192 ch à 12.500 tr/min, 129 kg
On trouve normal de voir Ducati, KTM et Aprilia concourir actuellement en MotoGP pour contester la suprématie des trois écuries japonaises du MotoGP. Et pourtant, il faut revenir 25 ans en arrière pour voir la dernière moto européenne à 4 cylindres luttant pour la victoire, à l'ère des GP 500 2-temps. Une bonne occasion de célébrer ce 25e anniversaire avec l'Elf 500 !
Rebaptisée par la suite Suissauto, MuZ puis Pulse en changeant de sponsoring, l'ELF 500 de 1996 a en effet marqué le retour en Grand Prix moto du géant français du pétrole, au moment même où il annonçait son retrait de la Formule 1 après 29 ans, 128 victoires et sept titres mondiaux acquis avec Williams, Benetton & co.
Lorsque l'Italien Cagiva, à court d'argent, a quitté les GP 500 à la fin de la saison 1994, un grand vide s'est formé. Mêmes les constructeurs japonais étaient convaincus que la catégorie avait cruellement besoin d'un concurrent compétitif à 4 cylindres Made in Europe pour ajouter une dimension vitale à la grille, tout comme Ferrari l'a toujours fait en Formule 1 contre les équipes britanniques. Mais en 1996, la moto est enfin apparue, grâce à un triumvirat franco-suisse comprenant ELF (qui payait les factures contre l'affichage de son nom sur le carénage), ROC (en charge du châssis) et Swissauto (pour le moteur V4). A son guidon, on a retrouvé le pilote espagnol Juan Bautista Borja et le Suisse Adrian Bosshard débutant la saison à son guidon, ce dernier étant ensuite remplacé par l'ancien crossmen britannique Chris Walker, seulement trois ans après ses débuts sur circuit. L'ELF 500 était ainsi l'Euro-racer par excellence. Seuls les pistons et les freins étaient fabriqués au Japon !
Découverte
Le coeur de toute moto est son moteur. Et c'est encore plus vrai dans le cas de l'ELF 500, dont le V4 Swissauto à grand angle a été à la base du reste de la conception. Pourtant, alors que le moteur semblait suivre la route conventionnelle des productions japonaises, il était très loin d'être un clone de Yamaha (comme l'était celui de Cagiva). Le V4 ELF représentait en effet la méthode européenne des Grands Prix 500, innovant avec sa technique unique, bien que loin d'être aussi radicale que la série de sportives ELF à moyeu directeur et moteur Honda de la décennie précédente.
Le V4 à soupapes à clapets et simple vilebrequin, fabriqué en Suisse, était extrêmement léger et compact. Il pesait pas moins de 7 kg de moins qu'un moteur de Yamaha YZR500 de 37 kg et était 130 mm plus étroit que celui de la Honda NSR500 et 100 mm plus bas que le Yam. Contrairement à tous les autres quatre cylindres 2-temps, les carters de l'ELF étaient divisés verticalement afin d'améliorer la rigidité et surtout de faciliter l'accès au moteur. C'était d'ailleurs un facteur clé pour déterminer cette ouverture des cylindres à 108° pour laisser suffisamment de place pour les quatre carburateurs Dell'Orto.
Alors que tout le monde qualifie ce moteur de V4, Urs Wenger le patron de Swissauto insistait pour le qualifier de "boxer déformé", du fait du fonctionnement simultané des cylindres opposés. Une version Bigbang du moteur, à 90° a ensuite été réalisée en développant plus de puissance. Les vibrations supplémentaires de cette configuration ont toutefois nécessité l'intégration d'un arbre d'équilibrage. La configuration interne, plus légère et plus compacte que celle des moteurs japonais, permettait aussi de délivrer une puissance alors impressionnante de 192 chevaux à 12.500 tr/min.
Par-dessus ça, la 500 avait une courbe d'allumage et une courbe de puissance différente pour chaque rapport, ce qui impliquait plus d'un millier de réglages à effectuer chaque week-end pour optimiser la performance à chaque circuit.
J'ai eu la change de piloter l'ELF 500 au lendemain du Grand Prix de République Tchèque à Brno, au cours de la première saison de GP de la moto, en 1996. Étant déjà monté dans le sidecar d'Alain Michel avec son moteur Krauser de 500 cm3, je savais que ce "V4" avait beaucoup de puissance, mais sur une plage très limitée. Et comme les cyniques du paddock avaient déjà catalogué le moteur ELF comme un simple moteur de side modifié avec une plage de puissance ultra faible, je ne peux pas nier que l'impatience me guettait de vérifier cela par moi-même. Surtout lorsque Chris Walker m'a assuré que son comportement était au moins aussi différent que l'était celui d'un V-Twin Ducati qu'il avait piloté plus tôt cette année en British Superbike.
En selle
Quand j'ai pu prendre le guidon de la moto le lendemain de la course, j'ai pu constater par moi-même qu'elle n'était pas ce qu'on pensait d'elle. Tout le travail acharné de Swissauto pour lisser la puissance de son moteur pour une utilisation en solo avait bien porté ses fruits. Elle n'était pas docile - aucune moto aussi puissante taillée pour battre les machines de 130 kg ne l'était - mais ce n'était pas non plus la faiseuse d'accidents à laquelle je m'attendais. L'ELF était même beaucoup plus progressive que le dernier 4 cylindres dérivé d'un moteur de sidecar que j'avais piloté, la Fior 500 en 1988. C'est marrant d'ailleurs, car elle était française aussi.
Malgré la taille réduite de son moteur, le châssis ROC de l'ELF (assez différent du cadre Yamaha réalisé par la même société) offre une position de conduite rappelant celle de la NSR avec des repose-pieds relativement bas qui la rendent plus confortable pour les grands pilotes. Le résultat est que l'on se sent comme faisant partie de la moto et que l'on peut se déplacer très facilement.
Faire glisser le poids de son corps vers l'avant pour empêcher le wheeling sous les fortes accélérations en sorti d'un virage pris à vitesse moyenne, se replier derrière la bulle pour attaquer une ligne droite, revenir sur la selle bras tendus sur les freinages puissants pour minimiser le transfert de poids... Tout ça est très facile sur l'ELF.
Essai
L'Elf est beaucoup plus maniable grâce à sa gestion électronique. Il faut simplement se tenir prêt pour le déferlement de puissance qui se produit dès qu'on tord la poignée au-dessus de 10.000 tours. C'est simplement le fait d'avoir autant de puissance disponible qui rend la moto intimidante et non pas sa manière de la délivrer. La Honda NSR500 est tout aussi difficile à maîtriser et, bien que je n'ai pas piloté la Suzuki RGV500 depuis quelques années, j'ai le souvenir qu'elle était plus difficile. En fait, l'Elf m'a plus rappelé une Yamaha YZR500. Elle ne monte pas aussi haut dans les tours que la Suzuki, mais elle a un couple vraiment énorme et une puissance étonnante à mi-régime, avec une transition relativement progressive vers la zone de puissance maximale.
L'ELF commence à délivrer une bonne puissance à partir d'un peu plus de 8.000 tr/min, mais ce n'est que lorsque la soupape d'échappement est complètement ouverte juste en dessous des 10.000 tours qu'elle envoie du lourd. La plage de puissance reste donc limitée à environ 3.000 tours, un peu comme les side. Mais la façon dont l'électronique a rationalisé l'arrivée des chevaux la rend plus pilotable.
La courbe s'aplatit autour du pic de puissance de 12.500 tr/min. Mais alors qu'il est normalement possible de la pousser un peu, il n'est apparemment pas conseillé de trop le faire, car le vilebrequin n'aime pas ça d'autant plus qu'il était encore en cours de développement lorsque je l'ai pilotée.
S'il est vrai que la division verticale du carter facilite le changement du vilo, le fait qu'il y ait moins de paliers que sur les autres GP implique aussi une durée de vie réduite à 1000 km, parfois moins. Il était donc courant pour l'équipe ELF de changer le vilebrequin après chaque journée d'essai. D'ailleurs, celui de ma moto a rendu l'âme peu de temps après ma dernière session. Heureusement que ce n'était pas moi à bord quand le moteur s'est bloqué ! C'était le talon d'Achille de la moto à ce stade, pas sa puissance trop brutale.
Quand j'ai vu les freins carbone japonais montés sur la moto au lieu des étriers britanniques ou italiens que Serge Rosset aurait pu choisir, j'avoue que j'ai été surpris. Mais c'était jusqu'à ce que je l'essaie et découvre pourquoi. D'une certaine manière, il s'agit des meilleurs freins en carbone que j'ai testé en une décennie depuis leur introduction sur l'ELFe de 1981. Leur puissance de freinage massive permet d'obtenir des distances de freinage bien plus courtes que ce que j'attendais de disques en carbone. Et cela en offrant un feeling et une sensibilité proche des disques métalliques, permettant de réduire sa vitesse en courbe simplement en touchant légèrement le levier plutôt qu'en serrant fort. Le meilleur des deux mondes, mais on ne parlera pas de leur coût !
La conception à simple vilebrequin m'avait amené à m'attendre au même genre de problèmes que Honda a rencontré sur la maniabilité de la NSR, surtout avec cette puissance. Mais la combinaison du châssis ROC, de la suspension Öhlins et du petit et léger moteur à inertie réduite permet de surmonter cela. En fait, le point fort de l'ELF repose sur l'entrée en courbe, surtout si l'on utilise d'abord le frein arrière pour charger la suspension et minimiser le transfert de masses avant de serrer les freins en carbone. L'Elf reste bien équilibrée et peut être posée sur l'angle presque aussi facilement que la petite Aprilia RSV400.
Elle change également très bien de direction dans les chicanes, en particulier si l'on appuie fort sur le frein arrière au moment où l'on est sur le point de passer d'un angle à l'autre, pour lever la moto.
Elle est vraiment bien équilibrée, réactive sans être nerveuse et redresser l'Elf plus tôt à la sortie d'un virage permet d'y aller plus fort sur l'accélérateur en toute sécurité, pour pouvoir utiliser l'épaisse bande de roulement du pneu pour transmettre toute cette puissance au sol. Quand après une douzaine de tours à BRno, le pneu arrière de 17 pouces commence à s'user, on peut sentir le pneu partir sous les fortes accélérations en sortie de courbe, il est donc important de redresser la moto avant d'essorer la poignée.
J'ai remarqué que redresser l'Elf avec le frein arrière en sortie de virage lui permettait de mieux encaisser l'accélération et d'y aller plus fort. Ce n'était pas seulement pour la raison évidente d'éviter un highside en appliquant trop de contrainte au pneu arrière, mais aussi parce qu'en accélérant trop fort sur l'angle cela pousse l'avant et fait sous-virer vers l'extérieur de la piste. Au début je pensais que c'était à cause de mon poids supplémentaire par rapport à Chris; j'ai donc demandé à l'équipe de durcir l'amortisseur arrière. L'Elf s'est alors mieux comportée, mais avec tout même un léger sous-virage.
Ce qui semblait manquer à l'ELF à ce stade, c'était l'accélération explosive que j'attendais d'une 500 V4- en particulier sur une moto d'usine. Les chronos ont montré que la vitesse de pointe n'était pas un problème, même par rapport aux Japonaises factory, mais l'enchaînement vif d'un virage lent à un moyen à Brno était absent. Bien sûr, l'Elf 500 sort correctement de courbe, mais ce n'est que lorsque l'on est à mi-chemin de l'une des lignes droites de Brno que l'on acquiert vraiment une idée de la vitesse disponible, alors que celle-ci est omniprésente sur la Honda.
La tentation pour contourner le problème est de la piloter comme une 250, en utilisant un rapport plus bas et en faisant gronder le moteur, mais ça entraîne des problèmes d'adhérence. A cette époque, il n'y avait pas de contrôle de traction et cela faisait sauter la roue avant, faisant alors perdre du temps. Le problème ne venait pas de la nature du moteur, mais était probablement lié au flux d'air. Personnellement, je suis convaincu que les gros carburateurs de 39 mm étaient en cause. De la même manière que la Cagiva de l'époque, l'Elf était suralimentée pour atteindre toute cette puissance dans les tours. Ce n'est pas un hasard si la Honda NSR n'utilisait que des carbus de 36 mm. Et je suis sûr que l'Elf aurait gagné en propulsion avec de plus petits carburateurs.
Par ailleurs, je n'ai vraiment pas aimé la boite de vitesse, offrant une sensation de lourdeur et un manque de précision certain. Les changements de vitesse de la Cagiva 500 me semblaient tout aussi durs à chaque fois que je la conduisais, mais au moins un levier d'embrayage y était installé pour aider à contrer ça. L'Elf n'en avait pas encore, durant le débriefing j'ai dit à Rosset que ce devrait être une priorité, car ça permettrait de faire baisser les chronos. Devinez quoi, il l'a fait !
Conclusion
L'essentiel, après avoir piloté l'Elf 500 vers la fin de sa première saison en Championnat du Monde, était qu'il s'agissait d'un projet avec un véritable avenir qui récompensait déjà le travail acharné qui y était consacré. Grâce au soutien de la compagnie pétrolière française, la dimension européenne a été restaurée en 500 GP, apportant avec elle une bouffée d'air frais technique. Ce n'était pas un exercice de technologie alternative dans le but d'être différent, mais une vraie prétendante pour les places d'honneur de GP qui était en train de progresser pour venir jouer aux avant-postes. Avoir accompli tant de choses dès la première saison de la moto a dû être très gratifiant pour l'équipe. Mon roulage à Brno sur leur nouvelle 500 a montré qu'ils avaient une vraie concurrente sur la grille et les événements ultérieurs ont prouvé que c'était le cas, bien qu'avec un autre nom sur le carénage !
Points forts
- Freinage
- Puissance maximale
- Maniabilité
Points faibles
- Boite de vitesse
- Accélération en retrait
- Plage de puissance courte
Commentaires
384cv au litre de cylindrée, et sans suralimentation!
28-05-2021 08:04un 50cm3 me suffirait, en fait.
bon c'est peut-être un peu trop pointu pour y mettre un vario, ou peut-être avec une boîte 18 vitesses?
C'est dingue comme ce style de pilotage, avec les épaules toujours au dessus du réservoir, paraît "old school" de nos jours, alors que c'était la norme à l'époque. On s'est tellement habitué à voir les pilotes modernes caresser les vibreur avec leurs épaules, qu'on a l'impression que ça a toujours été comme ça.
28-05-2021 09:01Pour en revenir à cette sublime Elf, je ne sais pas si c'est parce que ce sont les premières motos qui m'ont fait rêver quand j'étais gamin, mais je trouve que les pistardes des années 90 ont vraiment un truc en plus.
Leur design déclenche immédiatement quelque chose dans mon cerveau, alors que j'ai du mal à m'extasier autant devant un modèle plus moderne.
La Cagiva V593 en particulier, est absolument sublime.