Histoire constructeur : Elf
Une décennie d'expérimentations
Entre 1978 et 1988, le nom ELF était devenu synonyme, pas seulement de carburant de course ou de stations-services, mais de tentatives déterminées pour repousser les frontières du design moto avec la création d'une série de châssis alternatifs de deux-roues prouvant leur valeur sur le terrain d'essai le plus rigoureux au monde : les circuits.
Cette décennie d'expérimentation technique a pris fin il y a 30 ans, lorsque l'ultime lignée de sportives ELF a participé à son dernier Grand Prix, à Goiania au Brésil.
ELF n'a pas été le premier ni le dernier à expérimenter des designs alternatifs de deux-roues contrastant avec la disposition conventionnelle d'un châssis dans lequel est monté le moteur avec une paire de fourches télescopiques pour assurer la suspension et la direction à l'avant ainsi que deux amortisseurs arrières pour tenir la roue arrière. Mais ce fut sans aucun doute le plus médiatisé et, grâce aux énormes ressources du pétrolier français, le mieux financé.
Grâce à ELF, des dizaines d'autres concepteurs du monde entier ont été encouragés à essayer de produire leur propre idée de la moto du futur, sans être considérés comme excentriques ou attirer la condescendance de modestes observateurs sur les travaux de visionnaires comme Jack Difazio, Eric Offenstadt ou Claude Fior qui avaient précédés l'arrivée d'ELF. ELF a rendu l'idée de l'expérimentation respectable : il n'a peut-être pas été la premier à imaginer certaines des idées pour lesquelles il a ensuite revendiqué la paternité et qu'il a même breveté afin de pouvoir récupérer une partie de ses coûts de développement en les revendant à Honda, comme le monobras oscillant Pro-Arm, mais il a certainement légitimé les efforts de ceux qui ont travaillé simultanément avec eux sur des solutions alternatives de conception. BMW, Britten, Fior, Bakker, Saxon, RB-Projects, Yamaha, JBB, Bimota et bien d'autres allant des passionnés aux constructeurs établis, ont des raisons d'être reconnaissants envers ELF pour les avoir encouragés à oser être différents en repensant complètement la conception d'un châssis de moto.
Car ce n'est pas pour autant que les concepts réels qu'ELF a fait évoluer au cours de cette décennie de libre pensée sont devenus vitaux dans ce contexte historique. Mais l'influence de la société française a été importante sur tout le design des motos. Grâce à son implication dans les championnats du monde sur circuit avec des motos qui présentaient une solution différente pour atteindre le même objectif de victoire, la moto alternative est devenue plus une réalité qu'un simple rêve d'ingénieur fou.
La F1 adaptée à la moto
ELF s'était fait une spécialité, comme argument marketing, de soutenir l'évolution des nouvelles technologies dans les sports mécaniques, que ce soit sur deux ou quatre roues, dans l'eau ou dans les airs.
Le pétrolier a ainsi été le principal sponsor de Renault dans les années 1970 au cours desquelles le constructeur français a introduit le moteur turbo pour les course d'endurance d'abord, puis en Formule 1. André de Cortanze était le premier concepteur de voitures de course de Renault pendant cette période, menant l'équipe qui a créé l'Alpine-Renault V6 A442 turbo à la victoire aux 24 Heures du Mans 1978 et la série de F1 turbo qui fit ses débuts en 1977. Motard passionné et expert d'Enduro, de Cortanze avait développé plusieurs idées avant-gardistes sur la conception de motos en intégrant les leçons tirées du monde de la course automobile. Partageant ces dernières avec le chef du marketing d'ELF, François Guiter, durant les pauses lors des essais de la Renault F1, de Cortanze s'est vu confier un petit budget pour construire un premier prototype pour voir si ses idées fonctionnaient. C'est ainsi que le projet de moto ELF est né.
La ELF X (pour eXpérimental), propulsée par un moteur de Yamaha TZ750 et une direction à moyeu, fit ses débuts au salon de Paris en février 1978, intégrant de nombreux design de de Cortanze :
Je voulais me débarrasser de toutes les idées préconçues que j'avais sur ce à quoi devrait ressembler une moto. J'avais quatre objectifs principaux : abaisser le centre de gravité, réduire les effets du transfert de masses en incorporant une suspension à l'antiplongée "naturelle", réduire le poids et éliminer complètement le châssis comme élément distinct. Il y avait d'autres objectifs secondaires : atteindre une répartition idéale du poids 50/50, abaisser l'avant, réduire le coefficient de traînée (Cx) et pouvoir changer rapidement les roues. J'espérais également améliorer le flux d'air vers le radiateur pour un refroidissement plus efficace et rendre la géométrie de la suspension et de la direction réglable à la fois rapidement et facilement, d'une manière que l'on commençait à considérer comme normale sur les voitures de course, mais qui était alors inexistante sur les motos.
L'ELF X, créée en grande partie sur le temps libre de de Cortanze lorsqu'il travaillait chez Renault, a établi de nombreuses caractéristiques qui deviendront sa marque de fabrique dans les années à venir. Michel Rougerie a entrepris les premiers essais sur piste avec la moto en 1978, puis l'a faite rouler à Nogaro en F750 plus tard cette année là pour ses grands débuts. Mais le développement a été lent, entravé par des problèmes avec le moteur Yamaha deux temps et surtout l'installation de celui-ci, mais aussi la présence de son concepteur à temps partiel. Mais on avait suffisamment vu l'ELF-X en public pour que Honda s'y intéresse en personne : une séance d'essais privés en 1979 avec un pilote d'essai du constructeur a confirmé cet intérêt. Et alors que la catégorie F750 prenait fin à l'issue de la saison, la collaboration entre le constructeur japonais et le sponsor pétrolier français était ouverte.
Honda entre dans la course
Honda a accepté de fournir à ELF des moteurs factory d'endurance RSC de 1.000 cm3 pour la saison 1980 afin que de Cortanze puisse construire une nouvelle moto en tirant les leçons apprises sur l'ELF X. Le résultat fut l'ELFe (pour Endurance) qui débuta au Bol d'Or 1981 avec un soutien considérablement accru d'ELF, ce qui lui permis de rouler souvent avec un team à deux motos dans toutes les épreuves du Championnat du Monde d'Endurance jusqu'à la fin 1983. Elle se retrouva aux mains de pilotes comme Didier de Radiguès, Dave Aldana, Walter Villa et Christian Le Liard.
Encore une fois, avec le moteur à quatre temps utilisé comme élément central du châssis, le réservoir de carburant sous le moteur et les échappements courant au dessus, la conception à direction à moyeu comprenait un monobras oscillant en magnésium coulé et un disque de frein en carbone utilisé pour la première fois sur une moto. Bien que la moto soit très rapide, se qualifiant souvent en pole position et menant les premiers tours des courses, elle souffrait d'un manque de fiabilité mécanique généralement sans rapport avec la configuration du châssis. L'ELFe a été progressivement affinée, parvenant à atteindre la troisième place en Endurance au Mugello en 1983 et prenant ensuite la forme de l'ELF R (pour Record) avec un carénage intégral développé en soufflerie qui lui permettra de décrocher six records du monde de vitesse à Nardo en 1986 avec Christian Le Liard, Hubert Auriol et Eric Courley.
La fin de catégorie d'endurance de 1.000 cm3 permis à ELF de basculer dans le monde des Grands Prix, où son investissement dans la conception alternative pourrait générer de meilleurs retours sur les ventes. Honda a accepté de soutenir cette étape en fournissant des moteurs trois cylindres RS500. C'est ainsi qu'en juin 1984, l'ELF2 débutait ses essais entre les mains du pilote préféré de de Cortanze, Christian Le Liard. Intégrant un système direction plus révolutionnaire que pratique, elle progressa lentement. Et au moment où elle fit ses débuts en course lors du Grand Prix de France 1985 au Mans, elle avait été largement modifié avec l'un peu moins inhabituelle ELF2A, qui conservait encore beaucoup d'innovations, à commencer par la liaison des suspensions avant et arrière.
L'après de Cortanze
A ce stade, de Cortanze a été contraint de renoncer à son implication dans le projet ELF qui s'était réduite progressivement en raison de la pression de son nouvel emploi chez Peugeot. Guiter a donc confié la prochaine étape de développement au directeur de course de l'équipe existante Serge Rosset, qui dirigeait alors deux Honda RS500 aux couleurs d'ELF en attendant l'arrivée de l'ELF2 et à l'ingénieur Dan Trema, qui deviendra plus tard le patron de la division sports mécaniques du géant industriel français. Alors que Guiter et le reste de la direction d'ELF attendaient plus de résultats que de nouvelles expérimentations, Rosset et Tremo ont complètement repensé la moto avec l'ELF3, désormais propulsée par des moteurs d'usine NS500 plutôt que par les moteurs de série. Ils ont engagé le pilote britannique Ron Haslam, 5e des GP 500 en 1985, pour la piloter. Ils ont poursuivi avec deux évolutions des idées de de Cortanze. Mais les résultats (les ELF2B et ELF2C) n'ont pas connu le succès et ont finalement disparu après la fin 1986 lorsque Le Liard a quitté l'équipe.
L'engagement de Rosset à produire des résultats eu un effet immédiat, Haslam inscrivant avec l'ELF3 le premier point en Championnat du Monde 500 pour ELF lors de la première course de la moto à Jarama en 1986. Haslam s'est avéré être un superbe pilote d'essai (ce que la direction de Honda avait évidemment oublié quand ils l'ont viré de leur équipe GP) et a rapidement noué une étroite relation avec Rosset, qui a même appris à parler l'anglais du Derbyshire. Entre les mains de cette alliance anglo-française, l'ELF3 progresse rapidement, se classant neuvième à la fin de la saison, devant l'ensemble des Suzuki. La percée semblait avoir été faite : voilà une moto alternative qui fonctionnait aussi bien qu'une moto conventionnelle, mais avec encore de nombreux développements possibles.
Honda le pensait également car après avoir signé un accord avec ELF en 1985 pour évaluer les conceptions brevetés d'ELF en vue d'une production à grande échelle, ils ont entamé des négociations commerciales pour la location desdits brevets, accord qui fut finalement signé en septembre 1987. Cette signature n'est cependant survenue qu'après que la VFR400R, la première Honda à intégrer le monobras arrière ELF désormais baptisée Pro-Arm, soit lancée. Une autre preuve de la collaboration entre les deux sociétés est la présence de Trema durant quinze jours au sein du HRC à la fin de la saison 1986 pour concevoir des pièces pour la nouvelle ELF4 autour du moteur NSR500C encore inachevé et ainsi créer le premier V4 500 d'ELF. Le retard du nouveau moteur a cependant poussé Haslam à commencer la saison avec une Honda NSR500 standard prêtée sur laquelle il a si bien roulé qu'il a terminé la saison à la quatrième place avec l'équipe ELF-Honda, malgré un changement de moto pour la nouvelle ELF4 dans les dernières courses. De graves problèmes de freinage avaient retardé les débuts de la moto en course, tandis qu'un projet de châssis en fibres de carbone a été abandonné après que des tests en laboratoire ont montré qu'il ne répondait pas aux normes de sécurité.
Rosset et Trema ont finalement complètement repensé l'ELF à moteur V4 en ELF5 en 1988, saison qui était déjà définie comme étant la dernière pour le projet de motos ELF, notamment en raison du départ imminent de François Guiter. L'ELF5 utilisait un châssis en magnésium moulé pour remplacer le prototype défectueux en carbone et des freins avant Nissin fournis par Honda et conçus spécialement pour résoudre les problèmes de l'ELF4. Même si la nouvelle moto fonctionnait assez bien, l'opposition conventionnelle était devenue plus performante et plus sophistiquée entre-temps et la saison finale se révéla décevante avec une 11e place finale. Le projet qui avait tant fait espéré semblait s'essouffler plutôt que de finir sur un coup d'éclat. Mais au moins, ELF avait obtenu une victoire méritée en course, en 1986 au GP de Macao sur un circuit duquel Ron Haslam était le maître incontesté, pour prouver que leur moto non conventionnelle fonctionnait vraiment.
Retour à la compétition
En 1995, la société R.O.C de Serge Rosset qui fait alors courir des Yamaha semi-officielles se rapproche d’Elf pour la conception d’une nouvelle machine de course. C’est la naissance de l’Elf 500 qui est conçue dans les locaux de ROC avec l’aide des ingénieurs Elf. Dès les premières courses, l’Elf 500, sponsorisée par Pepsi, connait quelques ennuis mécaniques et l’équipe doit retravailler la machine en vue de la saison 1997.
Avec une sixième place au classement, l’année 1997 marque une nette amélioration mais Elf décide de cesser le développement de ses motos. La société revend son projet à Kenny Roberts qui fait courir l’Elf 500 deux autres saisons sous le nom de Muz. Les résultats sont plutôt bons mais la machine commence à être obsolète et sa carrière cesse définitivement en 2001.
Les motos de course ELF
- ELF X - 1978/79
- ELFe - 1980/83
- ELF2 - 1984/85
- ELF2A - 1985
- ELF2B et ELF2C - 1986
- ELF3 - 1986
- ELF4 - 1987
- ELF5 - 1988
Commentaires
Il me semble que les débuts de la "carrière" de Ron Haslam sur la Elf ne sont pas entièrement mentionnés, tout comme l'excellent potentiel de cette moto en Endurance.
26-10-2013 17:03