Ducati Hyperstrada
Un savoureux mélange des genres
Ducati vient à peine de dévoiler son tout nouvel Hypermotard que sort dans la foulée l’Hyperstrada, version GTisée plus polyvalente affublée d’un pare-brise, de valises latérales et d’une béquille centrale. Le mariage de genres diamétralement opposés aurait pu laisser augurer d’une catastrophe, fort heureusement il n’en est rien même si la formule demandera à être peaufiné pour être totalement homogène.
Introduction
Les têtes pensantes de chez Ducati, probablement en provenance du département marketing, ont eu l’idée sulfureuse de créer des déclinaisons GT de plusieurs modèles de leur gamme, rassemblées sous l’appellation Strada. On retrouve donc au catalogue 2013 une Multistrada Granturismo, un Diavel Strada, et… une Hyperstrada ! Pour la première, parfait ! Une version ultra accessoirisée capable de s’affranchir d’un tour du monde sans crampe ni mal au fesses, c’est parfait. Pour la deuxième, pourquoi pas. Un Power Cruiser capable de bouffer de la borne devrait au moins séduire une frange non négligeable de la population motarde américaine. En revanche, on se dit au premier abord qu’il faut sérieusement abuser de substances illicites pour avoir l’idée de greffer valises et pare-brise sur un supermotard… C’est mal connaître Ducati, surtout en regardant la liste de modifications apportées à l’Hyperstrada, les deux éléments cités plus haut n’étant que la pointe de l’iceberg !
Présentation
Vous connaissez l’Hypermotard ? Lancé en 2007, ce supermotard bicylindre à la plastique avantageuse n’a connu qu’une distribution confidentielle malgré d’indéniables qualités : moteur coupleux et expressif, partie-cycle alliant vivacité et précision… Sauf que la belle a hérité au passage de tous les défauts inhérents au genre à commencer par une selle haut perchée et une autonomie ridicule. L’évolution suivante, baptisée EVO (logique…) améliore les performances et l’homogénéité sans pour autant gommer ses défauts initiaux. Pire, la partie-cycle rehaussée pour gagner en prise d’angle sur la version SP (875 mm) faisait culminer la selle à des hauteurs Hymalaïesques.
Du coup, Ducati a presque intégralement revu sa copie cette année avec un modèle 100 % inédit. Le moteur est un Testastretta 11° de 821 cm3 à refroidissement liquide développant 110 cv à 9.250 tr/min (106 chez nous) pour un couple de 89 Nm à 7.750 tr/min. Ce bicylindre à 4 soupapes par cylindres est dérivé du bloc 848 mais adopte des cotes moins super carrée afin de favoriser le couple. Son rendement inférieur a également permis de repousser les intervalles de révision à 15 000 km/12 mois et le contrôle du jeu aux soupapes à 30 000 km. Côté partie-cycle, le cadre mixte est également inédit, mariant treillis tubulaire à l’avant et boucle démontable en aluminium et polymères à l’arrière. Parmi les autres changements notables, il faut aussi signaler l’adoption d’une fourche inversée de 43 mm non réglable d’origine Kayaba et d’un amortisseur Sachs réglable en précontrainte et en hydraulique et un nouveau réservoir de 16 litres de contenance contre 12,5 précédemment. Voilà pour la version standard.
Après cette longue description, je vous invite à prendre une aspirine avant d’attaquer les spécificités de l’Hyperstrada… Sur cette base, Ducati a greffé une selle touring à la fois plus large et plus confortable pour le conducteur et son passager. Ce dernier a également le droit à une poignée de maintien à l’ergonomie modifiée pour supporter les longs trajets. Le pilote n’est pas en reste avec un pontet relevant le guidon de 20 mm et une bulle haute surplombant le tableau de bord. Vocation GT oblige, l’Hyperstrada a également droit à une paire de valises latérales semi-rigides cubant 25 litres chacune et une béquille centrale pour faciliter l’entretien de la transmission par chaîne. Une molette d’ajustement de la précharge de l’amortisseur, deux prises 12 V logées sous la selle et des léche-roues avant et arrière font également partie de la dotation d’origine. Quant aux pneus Pirelli Diablo Rosso II, il sont replacés ici par des Scorpion Trail, comme la Multistrada 1200. Enfin, signalons que Ducati a pensé aux petits gabarits avec une hauteur de selle abaissée de 870 à 850 mm. Si cela ne suffit pas une option selle basse (830 mm) ou ultra-basse (810 mm) est également disponible pour les vraiment "tout petits".
En selle
Première satisfaction, s’installer sur une Hypermotard ne ressemble plus à une séance d’escalade. Du haut de mon mètre soixante-dix, tous mes orteils touchent par terre. Il faut toutefois avoir des adducteurs souples au moment de lever la jambe pour ne pas venir griffer les valises latérales. L’assise est confortable et le guidon tombe plus naturellement sous les mains que l’Hypermotard, même si sa position très rapprochée pourra dérouter les propriétaires de roadsters sur les premiers kilomètres. Les commandes sont douces mais les rétroviseurs mériteraient d’être plus écartés pour remplir parfaitement leur office. La finition générale est de très bonne facture avec une mention spéciale pour le monobras. Le tableau est ultra complet malgré sa petite taille et peut afficher le kilométrage total, deux partiels, l’heure, la température moteur ou ambiante, la consommation instantané ou moyenne, la vitesse moyenne et même la durée de roulage via les boutons du commodo gauche. C’est par ses mêmes boutons que l’on accède aux différents “Riding Modes” qui permettent d’ajuster le niveau des aides à la conduite (ABS + antipatinage) et la réponse de l’accélérateur Ride by Wire mais nous y reviendrons un peu plus loin.
C’est d’autant plus le moment de démarrer que notre programme de roulage est des plus alléchants : la Corse, du soleil et pleins de virages…
En ville
L’Ile de Beauté n’a rien à votre avec une métropole embouteillée mais les rares villes traversées, à allure d’escargot, ont mis en avant la progressivité du Ride by Wire et la souplesse surprenante du Testastretta 11°, capable de reprendre sur un filet de gaz dès 2 000 tr/min sur les trois premiers rapports malgré un transmission finale trop longue (une habitude chez Ducati). Le gain est d’autant plus sensible face à un “2 soupapes” que l’arrivée nettement plus progressive du couple permet de doser son allure au km/h près. Très pratique, surtout au moment de passer devant un radar automatique… Et le rayon de braquage laisse augurer d’un excellent potentiel en mode gymkhana entre les voitures. La boite est bien un peu rugueuse, notamment au rétrogradage, mais la consistance variable entre nos machines d’essais, faiblement kilométrées, laisse à penser que c’est le rodage qui conditionnera la douceur de l’ensemble. Seul le freinage demandera une période d’accoutumance, la faute à un mordant très - trop - prononcé. Avec une garde réglée pile-poil et un peu d’habitude, on arrive à juguler le phénomène mais on bénit tout de même la présence de l’ABS en imaginant un freinage réflexe un jour de pluie. Bref, jusque là, l’Hyperstrada a presque tout bon.
Autoroute et voies rapides
Les occasions de dépasser les 120 km/h durant notre périple furent plutôt rares. Pour autant, la stabilité de l’Hyperstrada n’a jamais été prise en défaut malgré une géométrie favorisant fortement la maniabilité. A condition bien sûr de ne pas s’accrocher au guidon lors des phases d’accélérations mais la selle creusée qui vient caler les reins, contrairement à la plupart des supermotards de la concurrence, rend le phénomène anecdotique.
La bagagerie ne semble pas non plus perturber l’aérodynamique, du moins à des allures légales. Quant à la bulle, haute et étroite, elle vient soulager le buste et le casque d’une bonne partie de la pression du vent mais laisse les bras et les épaules trop exposés pour réellement protéger en cas d’averse.
Départementales
Toute pseudo-GT qu’elle est, l’Hyperstrada trouve son terrain de prédilection sur le réseau secondaire. Plus ça tourne, plus elle aime ça. Le nouveau twin est certes moins coupleux et caractériel à bas régime que l’ancien modèle mais les 110 chevaux annoncés sont bien là et l’avant lève naturellement sur le premier rapport et même en deuxième avec un peu d’aide de l’embrayage.
La poussée débute réellement à 4.000 tr/min et grimpe sans faiblir jusqu’à 8.500 tr/min, seuil où la puissance commence à réguler. Pour une efficacité optimale, le mieux reste de maintenir l’aiguille au-dessus de 6.000 tours. Les vocalises de l’Hyperstrada sont discrètes à bas régimes (pour une Ducati) mais on retrouve ensuite le timbre métallique typique de tous les Testastretta. Plaisant. La partie-cycle est au diapason mais demande un mode d’emploi différent des roadsters. L’avant très léger offre une vivacité déroutante tandis que l’arrière suit sans sourciller. Une fois compris qu’il ne faut que trois grammes de pression sur le guidon pour tourner, on peut rouler à un rythme infernal avec la tranquillité d’esprit offerte par les aides à la conduite. L’ABS et l’antipatinage veillent au grain ! Et l’état du bitume n’a que peu d’influence sur la tenue de route, grâce à des suspensions souples et bien accordées malgré un manque de finesse de l’hydraulique. Reste malheureusement quelques fusibles à contourner. La fourche, trop souple en début de course (et non réglable), a tendance à plonger exagérément sur les très gros freinages sans pour autant entamer la stabilité. Et puis il y a la garde au sol… Dans les innombrables virages sillonnant l’arrière-pays corse, la béquille centrale puis le sélecteur sont venus frotter plus d’une fois le bitume en adoptant le style de conduite typique des supermotards. Dans les virages serrés, mieux vaut donc se rabattre sur un pilotage plus académique, droit ou déhanché, pour exploiter pleinement la garde au sol. Rajouter quelques tours sur la molette de précharge devrait aussi permettre de gagner quelques degrés d’angle mais l’assiette relevée risque alors de rendre le train avant trop vif. Reste la solution de démonter la béquille centrale et de relever le sélecteur mais si vous pensez en arriver à cette extrémité, mieux vaut vous rabattre sur le modèle SP. Menée tambour battant, les Scorpion Trail tiennent parfaitement la cadence et n’ont jamais montré de velléité de décrochages.
Freinage
Le freinage chez Ducati, c’est un peu comme chez Porsche, leurs systèmes sont difficilement critiquables. Puissance et feeling sont ici irréprochables, et le mordant un peu trop présent n’est gênant que parce que la fourche est un peu trop molle. Même constat pour l’ABS, transparent dans tous les modes disponibles. Dans le réglage le plus permissif, il est même possible de lever la roue arrière…
Confort et duo
Les conditions de l’essai n’ont pas permis de tester le duo mais le confort de la portion avant est avéré. En revanche, l’assise creusée limite la mobilité et risque à la longue d’ankyloser le fondement sur longs trajets autoroutiers. Les (futurs) propriétaires sont bien évidemment invités à donner leur avis ici.
Les aides à la conduite
L’Hyperstrada offrent 3 modes de conduite préprogrammés pour varier instantanément, même durant la conduite, la puissance délivrée par le moteur et les niveaux d'intervention des systèmes ABS et Ducati Traction Control. En accédant aux sous menus, il est possible de déconnecter les deux systèmes ou de personnaliser le niveau d’intervention des DTC et ABS pour chaque mode…
SPORT : le Riding Mode Sport délivre une puissance de 110 ch. avec une réponse directe du Ride by Wire à l'ouverture des gaz, une intervention réduite du système DTC (niveau 3 sur 8) et niveau 1 (le plus permissif) du système ABS avec contrôle réduit du levage de l'arrière.
TOURING : Toujours 110 ch. mais avec une réponse plus progressive du Ride by Wire à l'ouverture des gaz, une intervention plus importante du système DTC (niveau 4 sur 8) et niveau 2 (sur 2) du système ABS avec le maximum de stabilité en cours de freinage.
URBAN : le Riding Mode Urban bride la puissance à 75 CV avec une réponse encore plus progressive à l'ouverture des gaz, le système DTC se règle sur le niveau 6 et l’ABS sur le niveau 2.
Aspects pratiques et accessoires
Chaque valise latérale (25 litres) est capable d’accueillir un casque intégral et peut être agrémentée d’un sac étanche. Outre le fait que le déverrouillage se fait avec la clef de contact, les platines de fixation très discrètes ne viennent pas défigurer le profil une fois les éléments déposés. L’ensemble poignées passager/porte paquet est prédisposé pour accueillir un top case additionnel. La béquille centrale est très facile à actionner (contrairement à la latérale) et demande peu d’effort. Seul petit point noir, la bulle haute ne dispose d’aucun réglage en hauteur.
Consommation
Côté autonomie, cela dépendra du rythme de conduite. De 4 litres en rodage à 8 voire 9 litres à l’attaque, l’autonomie moyenne devrait se situer un peu au-dessus de la barre des 220 km avant d’attaquer la réserve de 3,5 L et les très calmes pourront même envisager de dépasser le cap des 300 km avant de mettre à sec les 16 litres du réservoir. Enfin un SM avec de l’autonomie !
Conclusion
Ne vous laissez pas tromper par l’appellation, cette Hyperstrada n’est pas une GT. En revanche, elle s’affiche ainsi gréée comme une machine remarquablement polyvalente et parfaitement utilisable au quotidien en gommant les deux plus gros défauts du genre SM à savoir l’autonomie et la hauteur de selle. Reste à Ducati à améliorer la garde au sol et doter sa fourche de réglages pour en faire une machine parfaitement homogène et débloquer pleinement tout son potentiel sportif. Certes, avec un tarif de 12.790 €, son prix est élevé. Mais hormis la KTM SMT 990 qui punche exactement dans la même catégorie, elle n’a aucune concurrente directe. On trouvera une alternative plus sage chez Honda avec son " trail" Crossrunner et une autre moins efficace à l’attaque et plus voyageuse (mais pas moins fun) chez Triumph avec la Tiger 800.
Points forts
- Vraie polyvalence
- Vivacité de la partie-cycle
- Moteur
- Les aides à la conduite
- L’autonomie
Points faibles
- Style Supermotard à proscrire à l’attaque
- Fourche non réglable et un poil trop souple
- Garde au sol à améliorer
- Attaque brutale du freinage
Concurrentes : Aprilia Dorsoduro 750, KTM SMT 990
Aptitudes
La fiche technique Ducati Hyperstrada
Tous nos remerciements à Moto Prestige d’Ajaccio, première concession Ducati ouverte sur l’Ile de Beauté pour leur encadrement et leur aide dans l’organisation de notre virée.
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