Essai Ducati Althea 1098R RS11
La Superbike Championne du Monde 2011 de Carlos Checa
V-Twin de 1.198 cm3, 199 ch, 165 kg, 319 km/h
Aussi improbable que cela puisse paraître à la veille de la saison 2021 et malgré sa précédente domination dans la catégorie, cette année marque le dixième anniversaire du dernier sacre de Ducati en Championnat du Monde Superbike. C'est vrai, la dernière des 14 couronnes mondiales de pilotes et le dernier des 17 titres constructeurs de la marque italienne ont été décrochés il y a exactement dix ans, en 2011, grâce à Carlos Checa au guidon de la version de course du team privé Althea de la sportive de route 1098R. Cela marque un autre repère historique en WorldSBK puisque c'est également la dernière fois qu'une équipe privée remportait le championnat, mais aussi le dernier titre pour une moto bicylindre. Scott Redding et son nouveau coéquipier dans l'équipe usine Ducati, Michael Ruben Rinaldi, ont du travail pour mettre un terme à cette série sur leurs Panigale V4 R.
Pourtant, il y a 10 ans, ce n'est pas tant le fait que Carlos Checa ait remporté son premier championnat du monde à l'âge de 38 ans, ni même qu'il ait remporté le titre trois courses avant la fin après avoir dominé la saison avec 15 victoires en 24 courses qui ont rendu l'exploit de l'Espagnol si remarquable. C'est surtout la moto avec laquelle il l'a fait et les circonstances dans lesquelles il l'a réalisé.
Genèse
Car lorsque le championnat WSBK 2011 a débuté à Phillip Island en février, il y avait un prétendant majeur au titre d'absent sur la grille de départ. Après avoir enduré une mauvaise année 2010, en étant battu pour la première fois par une marque italienne rivale avec Max Biaggi sur l'Aprilia RVS4, le constructeur de Bologne n'était plus officiellement engagé dans la compétition. Une première en 24 ans depuis que Marco Lucchinelli avait remporté la toute première manche de WSBK à Donington Park en 1988 sur le desmoquattro 851. La décision de la direction de Ducati de retirer son équipe factory avait suscité de nombreuses critiques et pouvait alors passer pour beaucoup comme la conséquence de la défaite face à Aprilia et le fossé croissant entre les twins et les 4 cylindres. Mais en réalité, la raison du retrait de Ducati se situe dans la guerre qui se tramait alors entre les promoteurs espagnols du MotoGP, Dorna de Carmelo Ezpeleta et les détenteurs des droits du WSBK en Italie, Infront Motor Sports des frères Flammini.
En 2008, Ducati devient une société privée, détenue à 100% par Performance Motorcycles, dirigée par le fonds d'investissement Investindustrial Holdings (IH). Le constructeur est alors contrôlé par la famille italienne Bonomi, avec un bureau à Barcelone proche du siège de la Dorna. Mais IH, il y avait surtout Carlo Campanini Bonomi, âgé de 70 ans, seul membre de la famille à siéger au conseil d'administration de Ducati. Et avec raison, car il avait été un grand nom des cercles financiers italiens au cours des 40 années précédentes. Grâce aux investissements d'IH en Espagne, les Bonomis sont devenus des amis personnels de Carmelo Ezpeleta. Selon plusieurs sources, en tant qu'amis du boss de Dorna, les Bonomis ont développé un dédain croissant pour l'implication de Ducati en WorldSBK, estimant que la soi-disant Ferrari à deux roues ne devrait pas se préoccuper de ce que l'un d'eux aurait qualifié de "Championnat du Monde du pauvre". Au lieu de ça, ils ont estimé que Ducati devrait plutôt se concentrer exclusivement sur ce qui était pour eux la série la plus prestigieuse, le MotoGP, aidant ainsi leur compagnon Carmelo dans sa bataille avec les Flamminis. C'est donc ce qu'ils ont fait, en mettant fin à l'implication officielle de Ducati dans le championnat 2011, perdant ainsi 2,2 millions d'euros du financement déjà convenu avec son sponsor Xerox, tout en incitant Valentino Rossi à signer un contrat de deux ans pour piloter sa Desmosedici GP en 2011 et 2012.
Cela signifiait confier au Team Althea du riche sportif italien Genesio Bevilacqua, alors la principale équipe privée Ducati, la tâche de représenter la marque en utilisant les compé-clients RS11 déjà prévues, avec le soutien des ingénieurs Ducati. Le fait que tout ait fonctionné si positivement, avec le vétéran Carlos Checa, a permis à la stratégie des Bonomi de se dérouler comme prévu. CQFD !
La chance de piloter la future machine championne du monde à Misano au début de septembre, alors que Carlos Checa préparait sa dernière accélération vers le titre, m'a donné l'occasion d'évaluer comment lui et les hommes de l'équipe Althea y étaient parvenus. Enfin, avec juste un peu d'aide de Ducati, dont une multitude d'ingénieurs étaient constamment présents à chaque course. Malgré ça, le patron de Ducati Superbike, Ernesto Marinelli, insistait sur le fait que la victoire de Checa avait été glanée avec une moto que tout le monde pouvait acheter pour 135.000 euros HT, le prix d'une RS11 client, comme l'était en effet celle du champion en titre.
Pour 2011, après l'arrêt de l'équipe factory de Superbike, nous avons vendu les quatre motos F10 de Haga et Fabrizio au Team Liberty et avons construit une poignée de nouvelles compé-clients, dont deux sont allées chez Althea pour Checa. Celles-ci avaient un logiciel ECU Marelli amélioré avec des cartographies révisées, un nouveau design d'arbre à cames au profil différent donnant 2/3 ch supplémentaires, de nouveaux étriers monoblocs avant Brembo légers, une nouvelle fourche Öhlins TRVP25. Tout le reste de la moto était inchangé par rapport à la saison précédente, mais l'énorme attention portée aux détails que Carlos a investi et son talent sur la piste ont fait la différence.
Cela comprenait le vaste différentiel de vitesse de pointe entre le V-Twin desmo et ses rivales à 4 cylindres, comme l'a démontré la vitesse de pointe de Checa de 319 km/h atteinte à Monza en mai, loin derrière les 333 km/h des RSV4 factory de Biaggi et Camier. Ce gouffre dans les performances met en perspective la réussite de Checa à remporter autant de courses et pas forcément sur les pistes lentes où la maniabilité prime sur les performances du moteur.
En selle
Entre les mains de Carlos Checas, la 1098R RS11 a continué à performer. Le simple fait de monter à bord de sa Ducati à Misano a immédiatement révélé une des raisons pour laquelle c'était le cas, car la position de conduite semblait très équilibrée, rationnelle, beaucoup moins fatigante par rapport aux positions plus extrêmes que j'avais pu expérimenter sur d'autres Ducati Factory. La selle est relativement spacieuse et permet de se déplacer derrière le large réservoir de 23,9 litres lui permettant de finir une course de Superbike par rapport aux 15,5 litres de série.
Comme toujours sur une Ducati avec son empattement assez long de 1.435 mm en raison de l'architecture en L du moteur, on garde suffisamment d'espace pour avancer et charger la roue avant avec son poids dans les virages, puis pour se reculer pour se caler derrière l'étroite bulle dans les lignes droites de Misano, sans aucune instabilité de l'avant, grâce à un angle de chasse à 24,5° et aux côtes assez classiques que Carlos faisaient varier d'un circuit à l'autre en jouant sur le déport. Cette géométrie rationnelle du châssis a cependant un défaut : c'est l'effort physique supplémentaire nécessaire pour emmener la Ducati d'un angle à l'autre dans une série de virages lents, comme le premier enchaînement serré à Misano, en particulier par rapport aux quatre pattes plus vifs, surtout l'Aprilia qui s'emmène presque aussi facilement qu'une 250.
Ça a toujours été un inconvénient de l'architecture des Ducati. Et c'est ce que Carlos m'a confié avoir remarqué en premier lors de ses débuts sur la Desmo à Portimao en octobre 2009.
Essai
Cependant, ce merveilleux moteur coupleux avec sa note d'échappement caractéristique et décalé fait plus que compenser cette carence. Et piloter la championne du monde de Checa sur une piste comme Misano avec tant de virages lents souligne les avantages du twin en termes de maniabilité et d'indulgence. La moto pardonne les erreurs (et j'en ai fait beaucoup!) d'une manière que la Yamaha YZF-R1 de Melandri, plus rapide et plus exigeante, ne ferait jamais. Cela fait de la Ducati une potentielle excellente moto dans la circulation, où on peut tenir une vitesse, modifier sa trajectoire ou enrouler le poignet pour avoir une poussée supplémentaire pour gagner une position dès que nécessaire. Faites ça avec la Yamaha et vous venez de manquer le point de corde et vous commencez à tirer large, perdant un temps précieux dans la manoeuvre.
J'ai immédiatement remarqué que Checa utilisait une première vitesse très longue sur la boîte à six rapports de la Ducati. Il avait aussi adapté la moto pour n'utiliser que les 5 rapports inférieurs pour la piste de Misano. "J'ai essayé de n'en utiliser que 4, mais 5 c'est mieux !" m'a-t-il confié en révélant qu'il utilisait la vitesse inférieure quatre fois par tour. "Je la mets en première pour obtenir plus de frein moteur ainsi que pour maintenir une trajectoire serrée dans les virages serrés, mais aussi parce que lorsqu'on ouvre les gaz la réponse est plus directe, la seconde est trop longue avec des régimes trop bas". Checa a également installé l'embrayage à glissement réglable pour avoir plus de freinage moteur que les autres Ducati et il l'utilisait pour assister la moto dans les freinages, le laissant atténuer les mouvements de la roue arrière en tapotant le levier d'embrayage du doigt, la Ducati est tout simplement géniale sur les freinages.
En utilisant le rapport inférieur pendant que l'on exploite la puissance fournie par le package radial Brembo de la RS11, on gagne en puissance de freinage et en contrôle lorsque l'on arrive au point de corde, à condition de ne pas oublier de jouer de l'embrayage pour éviter le dribble. Cela permet également de tourner plus serré comme dans le virage menant à la ligne droite principale de Misano, où maintenir une ligne serrée avant de se redresser plus rapidement permet d'ouvrir les gaz beaucoup plus tôt.
J'ai eu une excellente démonstration de la forte reprise de la Ducati en sortant du virage final en seconde vers la ligne droite des stands, lorsque Marco Melandri m'a fait l'intérieur au freinage et que son coéquipier Eugene Laverty a tenté de me faire l'extérieur. Je ne suis pas en train d'inventer, c'était une journée d'essais Yamaha à laquelle participaient les meilleures équipes. Cependant, une fois plus ou moins redressé, j'ai pu ouvrir en grand aussi facilement qu'un ancien Champion du Monde 250 GP et propulsé la Ducati à la poursuite de Marco. J'ai alors remarqué à quel point elle accélère bien depuis les bas régimes en deuxième vitesse aux alentours de 7.500 tr/min, en soulevant la roue avant en deuxième puis en troisième avant d'appuyer sur le frein arrière à chaque fois pour la maintenir au sol, avant de finalement de le perdre sur la 4e à mesure que les régimes grimpent. Mais bien que Marco fut trop rapide, j'ai réussi à tenir le rythme d'Eugene le long de la ligne droite en 4e, voyant au passage les gars du Team Althea sur le mur de la pitlane m'encourageant les bras levés ! Désolé, les gars, pas assez courageux : Eugene m'est passé devant dans le virage deux, suivi aussitôt par Jonathan Rea sur la Castrol Honda. Mais j'ai eu une bonne illustration des performances du moteur bicylindre en V par rapport aux quatre cylindres et il est évident que Carlos a remporté son titre mondial en pilotant intelligemment et en compensant les carences en puissance de la Ducati par un freinage tardif et une entrée plus rapide dans les virages. Oh et faire durer ses pneus Pirelli plus longtemps aussi...
Bien que la Ducati reprenne à partir de 5.000 tours à la sortie d'un virage lent, il faut attendre que le compteur affiche 7.000 tours pour obtenir une accélération sérieuse. Mais en le poussant au-delà, la Ducati sort alors avec une accélération impressionnante, jusqu'à ce que les trois voyants verts du levier d'embrayage au-dessus du tableau de bord comment à clignoter à 11.800 tours et qu'il faille passer au rapport supérieur. Il y a aussi une lumière rouge, plus grande, installée sur la droite, mais Carlos ne l'avait pas connectée, je l'ai découvert en déclenchant le rupteur à 12.400 tours.
J'ai trouvé la boite de vitesse de course un peu "collante" dans les descentes de rapports et il fallait beaucoup de pression du pied pour changer de vitesse dans les deux sens. De plus, je devais toujours utiliser l'embrayage pour rétrograder ce qui, après deux sessions sur des Superbikes à quatre cylindres équipées de shifter, signifiait que je devais reconnecter mon cerveau pour cette manip'. Heureusement avec l'embrayage à glissement, pas besoin de fermer les gaz en descendant dans la boite de vitesse de la Ducati...
Le transfert de poids réduit et la géométrie de direction plus rationnelle du châssis de Checa donnent à la Ducati 1098R une sensation de confiance sur les freins, aidée par le freinage moteur supplémentaire de l'embrayage à glissement. On a donc toujours la sensation traditionnelle d'un bicylindre V desmo qui s'arrête durement.
À l'autre bout du virage, le contrôle de traction semble vraiment discret, mais doit fonctionner, car je n'ai pas décroché la roue arrière même en suivant les Yamaha d'usine. J'entendais juste de temps en temps un léger battement du moteur en sortie de courbe, mais sans que cela affecte la reprise du moteur. L'accélérateur throttle by wire a une réponde fluide et douce, offrant une forte accélération. L'ensemble de l'électronique semble vraiment conciliant et donne suffisamment de confiance pour ouvrir sur l'angle, sans ressentir le besoin de redresser la moto avant d'oser accélérer fort, comme en sortant du dernier sur la seconde. Je pouvais alors y aller plus fort sur la poignée de gaz, plus tôt, sachant que je n'allais pas perdre l'arrière en le faisant. Travail accompli.
Conclusion
Ducati doit adresser un grand merci à Señor Checa, ainsi qu'au propriétaire du Team Althea Genesio Bvilacqua et à son équipe de mécaniciens pour avoir fait en sorte que la stratégie controversée de la société italienne de supprimer son équipe usine de Superbike en 2011 fonctionne tout en donnant une seconde vie à la vieillissante 1098R.
En plus de remporter la couronne WorldSBK et le titre constructeur, Althea a ajouté la cerise sur le gâteau en emmenant le jeune Romain Davide Giugliano, 22 ans alors, au titre de Champion du Monde Superstock 1000 cette même année, là aussi avec la 1098R. Genesio et le Team Althea ont non seulement remis Ducati au sommet des deux catégories dérivées des motos de série, mais en remportant le 14e titre WSBK du constructeur, Carlos Checa a également aidé à épargner les rougeurs de Ducati en compensant l'embarras de sa très médiatisée, mais finalement désastreuse, campagne de MotoGP avec Valentino Rossi...
Points forts
- Reprise moteur
- Freinage
- Maniabilité
- Electronique
Points faibles
- Vitesse de pointe
- Moins vive que les 4 cylindres
- Embrayage dur
Commentaires
c'est euro 5? si oui je la veux x)
18-06-2021 11:08