Comment franchir un col
Freinage, virages en épingle, trajectoires, trafic, météo : tout prendre en compte
Anticiper les pièges pour mieux apprécier les paysages
D'un point de vue géologique, tout motard normalement constitué préfère le plissé au sédimentaire. Ce dernier, c'est un peu comme un millefeuille : une alternance de couches de roches dures sur des couches de roches tendres. C'est plat et ça donne des paysages de bassin : Paris bercé par la Champagne et la Beauce, ou encore les Landes, bref des endroits où l'on voit loin mais où ça tourne peu. Alors que le plissé, ça, c'est carrément autre chose !
Certes, il faut remonter au temps où les Dieux s'envoyaient des plaques tectoniques à la tronche dans des gestes pleins de fureur et ça a fait un sacré désordre sur les cartes, les routes, les frontières ! Mais depuis, de l'eau a coulé sous les ponts ; mais pas que, dans les vallées aussi, grâce à l'érosion. Et outre le tunnel, le moyen le plus agréable de passer de l'autre côté de la montagne reste donc le col, sur ce petit serpentin bitumé qui grimpe fébrilement et courageusement à l'assaut de l'horizon. A moto, le col est source de plaisirs intenses mais comporte aussi quelques risques. Revue de détails.
Première caractéristique : l'absence de dégagements
Franchir un col, c'est, dans la plupart des cas, entrer sur une voie de circulation qui ne possède quasiment aucun dégagement. Si tout va bien, alors tout va bien (!), mais il faut quand même prendre cette considération en compte : non seulement toute sortie de route est interdite, mais tout écart également. Entre la roche et le précipice, le choix est peut-être cornélien mais les conséquences quasiment identiques. Toute erreur est donc prohibée et, plus que jamais, il va falloir lire la route avec une réelle acuité. Et en cas de (mauvaise) surprise, le rôle du regard redevient crucial. L'échappatoire, s'il existe, demande précision et finesse d'exécution.
Attention au trafic !
Tous les véhicules de grandes dimensions (camions, autocars, caravanes, engins de fête foraine, camping-car, engins de déforestation ou d'entretien) doivent prendre les virages en empiétant carrément sur la voie opposée. Il est donc plus que nécessaire de ne pas conduire le nez dans le guidon et d'anticiper au mieux le trafic que vous risquez de rencontrer, afin d'anticiper votre vitesse, votre positionnement sur la chaussée et votre capacité à éviter un obstacle au dernier moment. Parfois, vous devrez même devoir vous arrêter pour laisser passer l'un de ces véhicules.
Attention également lors des dépassements : un de ces véhicules peut vous serrer sur la voie de gauche (que vous pensiez libre !) simplement parce qu'il doit contourner un muret ou une anfractuosité rocheuse.
Autre catégorie d'utilisateurs à prendre en compte : les cyclistes. Le cycliste aime à s'habiller de vêtements moulants de couleurs criardes, mais pas seulement. Le cycliste est aussi un animal grégaire. Comme le motard, il aime trajecter et, parfois, en vient à couper les virages. A plusieurs. Enfin, dans les descentes et notamment dans les parties les plus sinueuses, les plus adroits d'entre eux seront plus rapides que les motos. Du coup, les accidents motard contre cycliste se multiplient et pas uniquement lors du Tour de France.
Enfin, parce que depuis Jésus, l'on n'est jamais mieux trahi que par les siens, on se méfiera éventuellement d'une horde de motards arrivant en face à un rythme digne de la North West 200...
Ainsi, la notion de trajectoire sera surtout définie par la visibilité et le trafic.
Si la voie est libre...
Montée ou descente ? Dans un cas ou dans l'autre, les grandes règles de prudence s'appliquent mais connaissent quelques nuances.
Notamment en descente où les freinages répétés peuvent conduire à un échauffement de tout le système et aboutir à un phénomène que l'on appelle le fading (sans rapport avec le Fado) c'est à dire une perte d'efficacité temporaire (mais qui peut être assez sévère) du freinage, avec un levier de frein qui devient tout mou, voire qui peut venir en butée contre le guidon. C'est plus risqué sur des motos anciennes qui ont de vieilles durits et où le liquide de frein n'a pas été changé depuis longtemps, mais certaines machines modernes pourront ne pas être épargnées. Nous avons déjà détaillé tous les conseils pour savoir freiner.
Si vous roulez sur une de ces machines, il faudra freiner plus tôt et plus doucement et surtout ne pas négliger l'apport du frein moteur. Si, de plus, vous chevauchez une machine à fort frein moteur (mono ou bicylindre), alors il sera préférable de s'entraîner un peu avant pour bien comprendre son fonctionnement (et mettre un coup de gaz au rétrogradage, avec un relâché doux de l'embrayage).
Toujours à propos du freinage : vous risquez à un moment où un autre de rencontrer des épingles serrées où, cerise sur le gâteau, le bitume sera un peu incurvé vers l'intérieur, façon banking d'ovale de vitesse, pour mieux épouser le relief.
Là, le scénario est compliqué : vous allez devoir ralentir pour prendre un virage en épingle au rayon extrêmement refermé, tout en conservant un minimum de vitesse, synonyme d'équilibre. Le moment est critique, encore plus avec passager et bagages, car si vous calez, vous aurez le plus grand mal à récupérer votre équilibre et à reprendre le contrôle de la moto sans dommage.
Ici, le frein arrière va devenir votre allié, non seulement lors de la phase de freinage mais aussi pendant tout le déroulé du virage. Le frein arrière va stabiliser la moto et resserrer un peu l'empattement, ce qui aide à tourner. À cette condition et sur les machines à forte inertie mécanique, on peut même reprendre l'embrayage sur le segment le plus fermé du virage, pour se relancer ensuite en douceur... Les pilotes confirmés gardent même du frein arrière, à l'accélération en sortie d'une épingle serrée, pour remettre du gaz plus tôt tout en tournant plus court. Ça a l'air shadok, mais ça marche !
Les joies de la nature !
On aime la montagne parce qu'une nature brute et minérale peut s'y épanouir. Mais en altitude, la montagne peut être violente. Même sans aborder le cas de l'Himalaya où, chaque année, l'hiver défonce les routes que des hordes de travailleurs s'efforcent ensuite de remettre en état pour les quelques mois de l'année où l'itinéraire est praticable, les premiers roulages au printemps devront être particulièrement prudents.
Le gel a pu en effet créer des ornières et des nids de poule, que les travaux publics du coin ont éventuellement comblé avec un beau tas de gravillon. De quoi se faire de belles chaleurs au détour d'une épingle.
Les pièges ne disparaissent pas avec l'arrivée des beaux jours. Lors des transhumances, de nombreux troupeaux peuvent passer sur les routes et, d'une manière générale, le coefficient d'adhérence de la bouse de vache est assez faible.
Ne pas sous-estimer la météo, dont les changements peuvent être brutaux. La température baisse avec l'altitude et on perd 0,5 °C tous les 100 mètres, il fait donc 10 °C de moins en haut d'un col à 2000 mètres d'altitude que dans la plaine au niveau de la mer. Anticiper ce phénomène implique d'avoir des vêtements chauds dans ses bagages.
Et une fois arrivé en haut du col...
Vous avez déjà remarqué qu'au ski, il y a des pistes sympas où la neige est fraîche et le soleil radieux et d'autres toutes sombres et verglacées. Avec l'altitude et la baisse de la température afférente, les effets de l'ensoleillement sont encore plus marqués. Eh bien, ce que vous vivez au ski, vous pouvez aussi le vivre sur la route.
C'est encore plus critique dans le cas où la dernière partie du col se passe dans un tunnel qui supprime, de fait, toute notion de transition entre l'adret (le versant exposé au soleil) et l'ubac (celui à l'ombre). Attention aussi aux changements de luminosité engendrés par les passages dans les tunnels. Certains ferment ainsi un oeil en apercevant un tunnel au loin, afin qu'en l'ouvrant dès l'entrée dans le tunnel, cet oeil là soit déjà acclimaté à la pénombre et voit donc mieux.
Car d'un côté à l'autre, tout change ! Température, humidité, adhérence : l'expérience de conduite ne sera pas la même.
Et une fois en haut du col, vous serez pris d'un puissant sentiment de liberté, seul et tout petit face à l'immensité des roches pluri-millénaires, contemplant ces successions de virages, là-bas, où vous et votre machine ne ferez qu'un dans des trajectoires d'une pureté absolue.
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