Savoir freiner
Adhérence, transfert de masse, séquençage, rétrogradage : ce qu'il faut faire pour bien s'arrêter
A lire, même si vous avez une machine équipée de l'ABS !
La récente compagne de la Sécurité Routière met l'accent sur le fait qu'une moto freine moins bien qu'une voiture (à 50 km/h, une moto s'arrête en 20 mètres, contre 17 pour une voiture, tandis qu'à 90 km/h, une moto s'arrête en 51 mètres, quand une voiture n'a besoin que de 43,3 mètres). Et encore ces chiffres sont encore allongés par d'autres études.
Une affirmation qui étonne nombre de motards, souvent fiers du mordant immédiat de leurs étriers radiaux. Elle est cependant plutôt vraie, ne serait-ce que par les lois de la physique. Car au bout de la chaîne dynamique du freinage, on retrouve tout simplement un pneumatique que l'on appuie (très) fortement sur le sol... Explications.
Un pneu compressé au sol
Posé sur le bitume, un pneumatique subit une résistance lorsqu'on lui demande de se déplacer : c'est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle, puisque cette adhérence garantit la tenue de route, mais en même temps, elle demande de l'énergie fossile (ou électrique) pour avancer. Bien entendu, le niveau d'adhérence est variable selon le type de revêtement et les conditions météorologiques, mais cet aspect des choses a déjà été abordé dans nos conseils pour rouler sous la pluie.
Pour ralentir, donc, il faut exercer un effort sur le pneumatique. La carcasse d'un pneumatique est conçue pour subir une légère déformation quand elle est soumises à certaines forces, en l'occurrence ici une force longitudinale. Afin que la carcasse puisse fonctionner de manière optimale, on veillera donc à ce que le pneumatique soit gonflé selon les préconisations du constructeur. Au fait, à quand remonte la dernière vérification de la pression de vos pneus ?
Avant ou arrière ?
Sous l’effet de la décélération, un transfert de charge va se produire dans le sens inverse de l’effort, soit logiquement vers l'avant. Ainsi, la répartition des masses qui est de l'ordre de 50/50 en statique sur la plupart des motos, va changer et l'assiette de la moto va fortement basculer sur l'avant, dans des proportions de 70/30 voire de 80/20.
Sachez qu'en MotoGP, on enregistre jusqu'à 1,4 G lors des gros freinages ! On n'en est pas là sur la route, mais cela illustre à quel point l’effort exercée conditionne le freinage et démontre aussi qu'un pneu faiblement chargé n'aura pas d'adhérence et donc peu de capacités de ralentissement, d'où des blocages faciles de la roue arrière. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas utiliser le frein arrière : il faut juste l'utiliser à bon escient et bien comprendre son rôle.
La séquence de freinage idéale
La séquence de freinage optimale se déroule de la manière suivante :
- d'abord, commencer gentiment avec le frein arrière : comme la moto va exercer son effort principalement sur le train avant, commencer par l'arrière permet de stabiliser la moto en comprimant un peu l'amortisseur arrière. Ceci est encore plus important si vous avez un passager ou des bagages.
- une fraction de seconde plus tard, prendre le frein avant : l'action sur l'arrière ayant mis un peu plus de pression sur toute la moto sur le sol, le niveau d'adhérence global aura sensiblement augmenté, ce qui permet de débuter ce grand mouvement de transfert de charge sur le pneu avant.
- une fraction de seconde plus tard, exercer plus de pression sur le frein avant : le pneu avant étant désormais chargé, il est capable d'être mis en contrainte et d'encaisser tout l'effort maximal de décélération et à ce moment, le frein arrière devient inutile. C'est quand le transfert de charge est effectué que la puissance de freinage peut être sollicitée à son optimum. À l'inverse, prendre brutalement le frein avant sans avoir au préalable effectué ce transfert de charge présente de forts risques de blocage, puisque l'on va durement solliciter un pneumatique qui n'est pas chargé de manière optimale.
Évidemment, les motards qui disposent d'une machine avec freinage couplé, ABS et répartiteur ne connaîtront jamais ce sentiment de plénitude issu de la maîtrise parfaite du freinage, qui constitue une forme d'art. D'un autre côté, ils auront aussi moins de chances de se bourrer bêtement sur un freinage raté.
De la théorie à la pratique
Si la théorie est universelle, la poésie et la beauté du monde de la moto tient à la variété de ses représentants. Chaque machine aura donc un optimum de freinage, dans les limites des éléments de la partie-cycle, qui tiennent à la capacité d'adhérence intrinsèque d'un pneumatique (l'effort maximal que peuvent encaisser la carcasse et la gomme), mais aussi surtout à la capacité du châssis (cadre et suspensions) à retransmettre fidèlement les efforts de freinage, sans se disperser dans des effets parasites
Ainsi, une moto avec une mauvaise fourche ou avec des suspensions fatiguées (, hydraulique ayant perdu de ses capacités visqueuses) n'est pas seulement inconfortable : elle est également moins sécurisante à cause de ses capacités de freinage dégradées, puisque ses roues n’auront pas constamment avec un bon contact avec le sol, Elles ne pourront donc pas transmettre un effort de freinage important.
À titre d'illustration, une sportive, avec son empattement court et sa solide fourche inversée dont les éléments les plus rigides sont fixés sur d'autres éléments tout aussi rigides (un solide cadre en aluminium) et posée sur des pneumatiques à gomme tendre (donc chauffant plus vite au profit de l'adhérence), met du bon côté tous les curseurs des grandes lois de la physique. Cependant, l’empattement court et le centre de gravité haut provoquent facilement le délestage du train arrière (ce que le pilote peut contrer en se déplaçant un peu sur l'arrière de la selle). C’est donc ce point de basculement qui constitue la limite de décélération possible et non l’adhérence du pneu avant qui sera tout juste mise en défaut avec un mauvais bitume sous la pluie. (une sportive peut faire un stoppie sur route mouillée !)
A contrario, un custom, avec son empattement long son centre de gravité bas, ne basculera pas facilement. Il pourrait même freiner plus fort qu’une sportive, à condition d’avoir de bons freins et des pneus performants. Mais avec sa petite fourche traditionnelle, son frein avant médiocre et son poids principalement posé sur l'arrière, il n'est pas armé pour envoyer de fortes contraintes sur le pneu avant en gommes dures. Sa capacité de freinage dépendra beaucoup du frein arrière, avec moins de risques de blocages que sur une moto plus conventionnelle, puisque le train arrière est plus lourdement chargé.Et dans l'idée de mieux résister aux efforts de freinage, le pilote aura les bras tendus et non pliés. Quand on fait des pompes, le passage difficile, c’est quand les bras sont pliés, pas quand ils sont tendus !
Et l'ABS dans tout cela ?
L'ABS a ceci de sécurisant qu'il limite le risque principal du freinage : le blocage de la roue, source accrue de risque de chute et de moment de disgrâce où l'on va terminer sa trajectoire sur le ventre (ou le dos) dans l'hilarité générale. Mais ce n'est pas parce que l'on dispose d'un ABS que la confiance dispensée par cet appendice conduise à avoir pour le freinage le même intérêt qu'une poule face à un Rubik's Cube et que l'on ne doive pas apprendre à freiner, car l'ABS ne réduit pas les distances de freinage. Il peut même dans certains cas la rallonger. Il aide à garder le contrôle.
Bardée de puces électroniques ou pas, une moto répond à des lois physiques et respecter les règles permettra d'optimiser le fonctionnement de l'ensemble.
De même, disposer de l'ABS ne dispense pas de savoir "lire la route", un réflexe vital pour tout motard. Certaines générations d'ABS n'aiment pas les bosses (la centrale n'est pas assez sophistiquée pour intégrer les mouvements de châssis) et auront tendance à "relâcher les freins" et faire vivre à son pilote un grand moment de solitude, tandis que sur certaines routes départementales, des raccords de bitume peuvent présenter des niveaux d'adhérence variables. Un motard expérimenté doit donc avoir une bonne lecture de la route (ou de la piste).
Certes, les dernières générations d'ABS deviennent de plus en plus performantes et aujourd'hui, certains systèmes (et certaines marques de motos) proposent des systèmes carrément bluffants d'efficacité et sont même devenus programmables en fonction du style de conduite. Mais les ABS proposés sur les roadsters d'entrée de gamme il y a quelques années étaient perfectibles, sans parler des ABS du début des années 1990 avec lesquels il était déconseillé de tenter de s'arrêter vigoureusement à l'approche d'un passage à niveau bosselé sous peine d'aller s'encastrer dans la Micheline !
Avoir un ABS ne dispense donc pas non plus de connaître ces règles et d'appliquer un freinage dégressif : transfert de masse, ensuite, on plante les freins et on relâche la pression en phase finale au moment où l'on aborde son entrée en virage. Cela permet de ne pas soumettre simultanément vos pneus à la force centrifuge et à des efforts de freinage. A défaut la résultante des deux efforts, risque fort de sortir de l’ellipse d’adhérence du pneu… Et patatras…
Faut-il rétrograder?
Et pourquoi pas ! Dans le cadre d'un freinage anticipé, rétrograder va remettre un peu de charge sur le pneu arrière donc aider à la stabilisation de la moto, avant le transfert de masse. Il faut juste prendre en compte les caractéristiques du moteur : on ne rétrograde pas de la même façon avec un mono ou un twin, qu'avec un trois cylindres et plus.
En cas de freinage d'urgence, le rétrogradage est inutile et de toute manière, s'il est vraiment urgent, vous n'aurez pas le temps. Cela fait trop de choses à gérer et dans un vrai freinage d'urgence, on ne touche pas au sélecteur.
Un dernier conseil : s'entraîner et se préparer
Comme disent les Anglais, practice makes perfect : pour ne pas être pris au dépourvu le jour où une situation d'urgence se présentera à vous (ou tout simplement pour découvrir une nouvelle moto), le mieux est encore de vous entraîner. Sur un parking, dans une zone industrielle déserte, dans un lieu sécurisé, sans trafic. Prenez le temps de répéter, à votre rythme, toutes les phases de freinage et de sentir le fonctionnement de votre moto. Ensuite, augmentez la vitesse. Progressivement. Avec des pneus chauds et de la pratique, vous serez surpris de la puissance réelle de freinage de votre moto.
Au fait et les freins ?
Vous avez-vu, on a failli vous faire un article sur le freinage dans lequel on ne parlait pas des freins. Ça aurait été une belle performance littéraire : Le Repaire, à la pointe du journalisme expérimental !
Levier, maître-cylindre, liquide de frein, durit, étriers, plaquettes, disques : la performance finale dépend aussi beaucoup de ce dispositif ! L'état des plaquettes se vérifie régulièrement et la durée de vie du liquide n'est pas éternelle et il est préconisé de le changer tous les deux ans. Enfin, on réglera la garde du levier de frein pour se sentir parfaitement à l'aise avec cette commande.
Un dernier conseil : une fois que tout ceci sera maîtrisé et que vous êtes devenu un vrai trappeur diplômé, dans le trafic, attention aux véhicules derrière vous... cf le syndrome du mitrailleur queue.
Commentaires
"moment de disgrâce où l'on va terminer sa trajectoire sur le ventre (ou le dos) dans l'hilarité générale."
07-04-2016 07:58c'est joliment dit :)
tom4
Très intéressant, très instructif... J'vais aller m'entrainer dans un coin peinard pour intégrer, réellement, tout ce que je crois savoir depuis longtemps, mais...
08-04-2016 19:06