Raymond-la-Science
Les mecs qui ont tout vu, tout fait
Je déteste les Raymond-la-science. Les mecs qui ont tout vu, tout fait et qui se font un devoir de l’étaler haut, fort et partout en s'écoutant parler.
Ce type m’énerve, d’emblée. Je le vois faire son cinoche et mon concessionnaire chéri qui opine du bonnet en attendant que ça passe, fataliste.
« Et sinon elle existe en quelle couleur ? » demande notre Raymond-la-science.
« Noir, rouge et blanc », répond mon concess'.
« Ah ? Ils ne la font pas en bleu ? Je croyais pourtant. Ou alors ce n’est que pour l’Allemagne, non ? »
« Oui, il n’y a qu’en Allemagne qu’on peut la commander en bleu ».
Raymond-la-science se pince les lèvres.
« C’est ennuyeux, je la trouve bien en bleu. En rouge c’est juste pas possible, en noir elle est trop fade. Au pire je la prend en blanc et je lui fais faire une peinture personnalisée, je connais un peintre qui fait du très bon travail pour des tarifs très corrects pas loin d’ici. »
Mon concessionnaire me jette un oeil en coin. Je lui tire la langue. Raymond-la-science ne peut pas me voir, je suis dans ses 5 heures, accoudé à la vitrine de merdouilles estampillées Suzuki.
Raymond est lancé, il poursuit : « remarquez que le blanc de cette année va quand même bien mieux que le gris d’il y a deux ans. Ce gris était trop foncé et trop jaune, vous ne trouvez pas ? ».
Mon concessionnaire hoche la tête sans rien dire.
Raymond se rapproche de la moto et passe la main sur la selle : « on peut la commander avec un selle confort, non ? »
« Oui, oui, c’est dans les options ».
« Et avec un top-case aussi, non ? »
« Egalement et peints dans les couleurs de la moto ».
« Mais seulement pour le modèle 39 litres, c’est ça ? »
« Exactement, vous avez tout compris ».
Un petit sourire satisfait échappe à Raymond-la-science. Il n'aime rien tant qu'à montrer qu'il a raison et tout compris. Il poursuit : "quand même, c’est une belle machine. Mais j’ai peur de trouver ça un peu fade après le caractère moteur de la Ducati. Vous ne trouvez pas ?"
« Ah ça n’a effectivement rien à voir : la puissance arrive de manière bien plus progressive ».
Raymond se mâchouille les lèvres : "quand même, je m’interroge. Est-ce que je ne vais pas être déçu. Je garde un très bon souvenir de ma FJR, qui avec remplacé une GTR. Quand j'ai fait mon premier tour d'Europe »...
Et blablabli et blablabla. Une fois qu’il est lancé, rien n’arrête Raymond-la-science. Pas même un autre client juste derrière lui et qu’il a manifestement vu. Raymond-la-science ne partage pas l’attention qu’il capte. Il vit de l’assentiment et de l'admiration -supposée- des autres.
Je décide de sortir mon concessionnaire chéri de ce traquenard : je me tourne à moitié pour composer sur mon mobile son numéro de ligne direct et me retourne en lui faisant signe. Son téléphone sonne, ce qui coupe Raymond-la-science dans son élan. Mon concessionnaire chéri décroche en s’excusant d’un geste.
Raymond-la-science se retourne alors, à la recherche d’un nouveau public. Je n’ai pas anticipé son mouvement et je me retrouve pile dans son collimateur. Trop tard pour faire semblant de rien : j’ai croisé son regard. Il me harponne immédiatement et raccroche les wagons avec son « premier tour d’Europe » sans s'inquiéter de savoir si j'ai suivi ou pas.
Flûte.
Face à un Raymond-la-science, les demi-mesures ne servent à rien. Mon concessionnaire chéri continue de parler dans le vide en lorgnant discrètement pour voir s'il a réussi à échapper à son casse-bonbons : pas de secours à attendre de ce côté-là.
Raymond poursuite son cinoche, en m’abreuvant de détails sur la traversée des Dolomites sous la neige en plein hiver. J’ai mis sur mon visage mon air poli-mais-un-poil-niais n°4. J'attends pour agir. Plus ça dure, plus il s'enfonce. J'opine parfois du bonnet. Enfin, nous y voilà :
« Et vous, vous avez quoi comme monture ? » finit-il par me demander, l'air faussement intéressé pr ma petite personne.
Je réponds, toujours en souriant :
« Vasta tou shebishe shom. Mana dolche »(1), avec un accent européen de l'Est aux petits oignons.
Raymond s’arrête d’un coup. Lève un sourcil.
Je poursuis : « praja mattè da Fransouski » en haussant les épaules et en prenant un air d’excuse. Puis, pour être sûr qu’il a compris, je baragouine : « pas France, merci, pas France » en secouant la tête et en faisant semblant de chercher un truc dans ma poche.
En plus d’être un serial casse-bonbon, Raymond est aussi un parfait goujat : sans demander son reste, il opère un quart de tour sur les talons et s’éloigne au plus vite de ce spectateur inutile qui depuis tout à l’heure ne comprends rien au récit de ses exploits hivernaux.
Victoire.
(1) ce qui, je l’espère, ne signifie rien dans aucune langue terrestre.
Commentaires
Y a pas qu'en concess que t'en trouve des comme ça.
03-11-2015 17:54Les démo d'anciennes en attire des pires. En général le monologue commence par: j'en avais aussi une comme ça !
Et là, tu commence à prier que Jeannot, juste à côté, démarre son Norton en pots "full barouf d'époque" !
Excellent !
03-11-2015 18:25Même si je me reconnais un peu dans cette description
"Vasta tou shebishe shom. Mana dolche"
03-11-2015 18:51énorme
tom4
"accoudé à la vitrine de merdouilles estampillées Suzuki"
Soit à peu près tout le magasin...
03-11-2015 20:35
mais dans le tas il y en a qui ont de vraies histoires à raconter 03-11-2015 22:01
Faut pas mettre tout le monde dans le même panier.
04-11-2015 06:10Raymond, c' est le Achille Talon de la moto.
-Mais vous savez tout, vous!
-Oui.
(Merci Greg)