En fait, j'ai peur à moto

Kronik du motard

Il m'a fallu un gros bout de temps avant de me l'avouer à moi-même : j'ai peur à moto. Déjà que j'ai la trouille en bagnole, mais en bécane c'est pire.

Je me suis alors demandé ce qui pouvait bien me pousser à continuer d'en faire. Car il faut que la motivation soit profonde et forte pour arriver à passer outre la frousse. Il y a quelques années, quand j'étais à Paris, c'était un moteur social : la quasi-totalité de mes copains étaient eux aussi motards -c'est logique. La trouille de me retrouver seul était plus forte que la trouille de la moto.

L'autre moteur est celui de l'anti-conformisme. Je faisais de la moto pour me faire remarquer dans mon entourage non-motard. Il faut avoir une voiture vraiment spectaculaire pour se faire remarquer plus qu'un motard qui débarque avec cuir, casque, gants et bottes. C'est mon côté cabotin.

La dernière raison est un peu plus tordue : c'est la peur panique de me retrouver bloqué quelque part. Comme dans ces cauchemars où mes pieds refusent d'avancer. Rouler me donne l'impression de ne pas être entravé. C'est généralement à ce moment-là que mon médecin pour ma tête lève un sourcil interrogatif et me demande : "vous pouvez préciser ?". Il m'énerve quand il dit ça, parce que cela indique que je suis sur le point d'entrer en collision plein gaz avec le mur épais de ma propre incohérence.

Pour couronner le tout, il y a cette certitude que je suis un conducteur médiocre et qu'il ne faudrait pas grand chose pour atteindre puis dépasser -probablement dans un raclement annonciateur de plaies, de bosses et de grosse facture de réparation- les limites de ma maîtrise d'un deux roues. Ce qui explique mon affection pour les petites cylindrées légères qui me semblent plus faciles à maîtriser. D'un certain point de vue c'est une erreur, puisque je serais plus en sécurité sur une grosse cylindrée qui dispose de plus de reprises que ma 125 ou mon 400. Oui, mais voilà, j'ai plus peur de me faire embarquer par le poids de ma moto que de ne pas pouvoir me dégager d'une hypothétique situation tendue. Le poids(1), lui, est toujours là.

Ce qui explique entre autres que j'ai l'air d'un chat à qui ont tenterait d'apprendre à jouer de l'ophicléide (de /ˈɒfɨklaɪd/ [OFF-ih-klide]) quand je me retrouve face à une Yamaha GSX-ZZ 1200 RR. Ce genre de motos est pour moi complètement incompréhensible.

Du coup, je me demande combien à part moi sont dans ce cas : crevant de trouille sur des bécanes qui ne leur conviennent pas mais qui serrent les dents et continuent par peur de se retrouver seul, ou de démériter à leur propre yeux, ou d'avoir l'impression de trahir la confiance de leurs proches, ou je ne sais quel mécanisme mental basé sur des suppositions très probablement fausses.

La question qui suit est évidement "mais pourquoi fais-tu encore de la moto, KPOK ?". D'abord pour des raisons pratique : le scoot consomme moitié moins que la péniche qui me sert de voiture. Par flemme ensuite : il faudrait que je trouve un acheteur, puis ensuite envoyer un courrier pour résilier mon assurance. Et que vais-je faire de mon casque, de mon blouson, de mes bottes ?

Mouais. T'es pas convaincu ? Alors disons que maintenant que j'ai identifié la source de la trouille, je me suis acheté la moto qu'il aurait fallu que je m'achète il y a 15 ans sans écouter les potes. Le Burgman, c'est un peu l'application pratique d'une thérapie quotidienne, comme d'autre récitent des mantras ou se font une petite vingtaine de minutes de méditation.

Re-mouais ? Toujours pas convaincu ? Allez, j'avoue -je ne suis plus à ça près, après tout. C'était le Burgman 400 ou la Gold Wing, vu ce que ma Chérie-Chérie emporte à chaque balade : sac à main, bouteille d'eau (on sait jamais), paire de chaussures (parce que les bottes pour marcher, tout ça), chapeau, parapluie (on sait jamais), petit paquet de gâteaux secs (on sait jamais), appareil de photo, cartes routières, plaid (si on pique-nique), etc.

Re-re-mouais ? OK. Je capitule. Chez moi, les routes sont comme ça :

Alors forcément...

(1) Pour être précis c'est plus une affaire de centre de gravité puisque le Burgman est la "moto" la plus lourde que j'ai jamais eu avec plus de 240 kilos et pourtant il se manie très facilement.