Motardus Cro-Magnon

Il reste des Cro-Magnon sur terre. J'en ai croisé un exemplaire authentique, sur une Bandit type WVA8/S

Il reste des Cro-Magnon sur terre. J'en ai croisé un fin janvier. Un exemplaire authentique, sur une Bandit type WVA8/S qui avait encore sa bavette, ses clicos et son pot d'origine (si, si!).

De temps à autre, je vois des vidéos de gens qui se baignent dans les lacs gelés ou qui se roulent dans la neige après un sauna. Il paraît que c'est bon pour la santé. Je suis content que cette manière de se faire du bien ne soit pas obligatoire ; déjà que prendre une douche à peine tiède est un supplice ‒ouais, ouais : je suis un douillet.

On avait décidé, ma Chérie-Chérie et moi, de braver les ordres d'assignation à résidence perpétuelle sous prétexte duplice, afin de nous livrer à la dernière transgression à la mode : boire un thé chez une copine sexagénaire. Je glisse ici et à titre exceptionnel une recette de dessert ; je ne suis plus à une digression près : faire un gâteau au chocolat en remplaçant la farine par des châtaignes cuites en purée (pas de la crème de marrons, hein, de la purée de châtaignes non sucrée). Attention, toutefois : cette recette n'a pas reçu l'homologation du ministère de la Cuisine ; pas d'avis prolongé sans biffeton au médecin, bla-bla-bla...

Bref, nous bravions la tempête Machintruc avec des rafales de vent jusqu'à 120 km/h ailleurs qu'ici quand je commence à remonter lentement sur un motard. En voiture, je roule à allure légalo-légale, laissant à d'autres le délicieux privilège de renflouer les caisses de l'État par l'entremise des radars. Je suis donc un peu surpris : 125 poussive ou 50 kitée ? Pourtant, d'ici, ça ressemble à une grosse bécane.

Il a dû accélérer, parce que l'intervalle s'égalise. Nous roulons ainsi, à environ 600 mètres l'un de l'autre, pendant une quinzaine de kilomètres.

Jusque là, rien d'affolant. Un motard en hiver, c'est moins fréquent qu'en été, mais il en reste.

C'est en arrivant en ville que j'ai écarquillé les yeux. Le type est arrêté au feu rouge devant moi. Il est... en blouson d'été. En blouson d'été et en jean, avec des gants courts d'été et un intégral à l'écran relevé.

Ya un truc. Il a une selle chauffante et un plastron électrique ? Comment fait-il pour ne pas crever de froid, pour ne pas être en train de grelotter sur sa brêle après quinze bornes en plein gla-gla ? Le thermomètre de la voiture m'indique qu'il fait trois degrés dehors, s'il était besoin de me rappeler que ça pèle, comme je l'ai bien senti tout à l'heure avant de m'engouffrer dans l'habitacle (caisse : chauffage à donf').

Le feu passe au vert. On repart de concert, lui et nous. Il faut que je fasse attention : à rester scotché à un autre véhicule, je vais m'emplafonner un autre que je n'aurai pas vu.

Au croisement suivant, je tourne à droite, lui continue tout droit. Je me retrouve donc dans la file à côté de lui. Je le détaille du coin de l'oeil.

Non, non, il roule bien en blouson d'été avec de petits gants.

Peut-être qu'il passe l'hiver ici : ça le change de Baïkonour où il fait facilement 30 degrés de moins ? Peut-être qu'il a la santé fragile et que son médecin à Arkhangelsk lui a conseillé le doux climat de la Bourgogne pour hiverner au chaud ? Peut-être qu'il vient de la planète Zorg et que ce détail l'a trahi ?

Il n'a pas l'air d'avoir froid. Il ne frissonne pas. Il n'a pas été obligé de prendre sa moto sans équipement, pris au dépourvu. Vu le froid qu'il fait, j'entendrais ses dents claquer d'ici, non ?

Sur Terre, il y a encore des Cro-Magnon.

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