Motard, ailleurs
Me voilà un motard libre
Comme beaucoup d'autres, je me suis enfui. Me voilà loin, loin des normes de pollution et du Code de la route. Me voilà un motard libre.
Je me suis enfui quand les blindés ont submergé la barricade de la place de la Nation et qu'ils ont bombardé les ponts de la Marne. Je suis parti en poussant ma bicyclette sur les voies de Saint Lazare, direction Rouen. Ceux qui ont pris les rues ne sont pas allés loin. Je suis sans nouvelles de ma soeur. Ils ont coupé le réseau téléphonique en accusant je-ne-sais-qui.
De Rouen, je suis passé en Belgique : il paraît que sur la frontière espagnole, ils ont tiré sur ceux qui voulaient traverser. De là, j'ai rejoint l'Ecosse, puis l'endroit où je me trouve actuellement, loin de la France. Le plus loin possible. Ils disent que ce n'est pas la Deuxième Commune, pourtant les tribunaux condamnent à la pelle. Ils nient avoir tendu des filets dans la Seine pour pêcher les corps .
Me voilà seul. Probablement en sécurité pour quelque temps. A la ferme, je m'occupe d'un peu de tout. Je sors et rentre les bêtes, j'entretiens le potager. Surtout, je maintiens en vie l'installation électrique. Mes hôtes n'y connaissent rien : c'est une sacrée chance pour moi. Tant que je suis utile, je peux rester. Je retape une moto possiblement d'origine soviétique que j'ai dénichée dans une grange en ruines un peu plus haut sur le plateau. Quand j'ai demandé ce qui était arrivé à ses habitants, les visages se sont fermés. Il n'y a pas qu'en France...
Heureusement que c'est une deux temps : je n'aurai pas su réparer un moteur à soupapes. J'ai bricolé le carburateur, fabriqué des joints, réglé au jugé l'allumage, monté une bougie qui a l'air de convenir. Pour l'instant, elle roule. L'essence n'est peut-être pas chère dans l'absolu, mais elle est de mauvaise qualité, probablement coupée avec plein de saloperies. Coup de bol, je suis tombé sur cinq bidons d'huile de mélange encore scellés, dont les étiquettes sont écrites dans une langue que je ne connais pas. Les pneus ? Mouais... Mouais...
Mais maintenant j'ai un moyen de transport que je sais presque réparer. Je peux me rendre seul à la ville et je parle suffisamment bien pour me faire comprendre. Je donne aussi un coup de main dans un atelier moto sur la route principale où ma connaissance des petits monos Honda à air est appréciée. Eux savent réparer, moi je sais pourquoi ça ne marche pas. Il paraît que le nuage de Tricastin a déjà fait deux fois le tour de la Terre.
Je rentre toujours avant la nuit : le phare est irréparable et les ampoules grillaient à la chaîne, j'ai laissé tomber. En ce moment, le soleil se couche pile dans l'axe de la route. Je roule dans l'or, l'orange, le rouge et le vent. Avec juste une casquette, des lunettes et des gants. C'est très dangereux, mais peut-être est-ce la rançon de la liberté : sans péril, elle disparaît, remplacée par une torpeur sécuritaire.
Cela me rappelle ma toute première sortie en mob, en France : pas de casque, pas d'assurance, pas d'éclairage. La plus exaltante impression de liberté que j'ai connue, sur la Bleue de mon parrain que j'avais réparée sans savoir ce que je faisais, mais avec la conviction que j'y arriverai. Comme avec ma moto aujourd'hui. A moi tout seul, je dois polluer autant qu'un poids lourd Euro 4 en surcharge. Ici, cela passe inaperçu à côté du chantier de démolition naval dont on voit parfois les fumées grasses quand le ciel est clair.
J'ai perdu mes réflexes de motard français. De toute façon le compteur n'a plus son aiguille. Je roue en short parce qu'il fait trop chaud et que je ne veux pas risquer l'unique pantalon qui me reste. Je roule bras nus parce que l’alternative c'est ma vieille parka que je garde précieusement si je dois fuir encore une fois. Pareil pour les chaussures : je roule en sandales. Pour ne pas prendre de cailloux, je m'écarte souvent et m'arrête parfois quand une voiture vient d'en face. Je bichonne mon unique rétroviseur pour surveiller ce qui vient de l'arrière. Il paraît qu'il y a ici une divinité qui s'en charge, sinon.
Sans casque, sans assurance, sans filet, mais sans limitation de vitesse, sans flics, sans radars, je suis un motard libre, ailleurs.
Commentaires
sinon il faut trouver un petit moteur diesel de voiturette ou d'outillage quelconque pour le monter dans la pétoire et le faire tourner à l'huile végétale. à moins que le deux temps accepte de tourner à l'huile végétale (peut-être une fois chaud, mais à froid?).
15-01-2019 07:39ça résout pas le problème de l'éclairage
retour vers le futur 4 version française,en salle depuis le 17 novembre 2018......
15-01-2019 08:39titre : "ailleurs c'est toujours mieux"
que oui !
st'euplait st'euplait dit moi qu'il s'agit d'une apocalypse Zombie!!!
15-01-2019 15:45Ah le post-apo vu comme ça il me fait rêver ! Merci pour ces 5 minutes de liberté et de voyage
17-01-2019 06:09je faisais plutôt référence aux gilets bleus.
20-01-2019 11:40