Les inconnus familiers
C'est une des conséquences de mes horaires fixes : je croise souvent les mêmes motards, les mêmes bécanes. Au fil des semaines, ils deviennent des inconnus familiers.
Comme je bosse à heure fixe, je croise souvent les mêmes motards que j'identifie à leur machine. Mais comme j'alterne les semaines où je travaille le matin ou l'après-midi, je ne croise évidemment pas les mêmes inconnus familiers d'une semaine sur l'autre.
Par exemple, il y a un scooter, probablement un 50 cm3, que je ne croise que vers 21 heures 15 quand je rentre. Lui, je le reconnais à son phare bas sur la route et qui éclaire mal et jaune. Et aussi à la petite file de voitures qui patiente derrière lui, incapable de dépasser sur cette succession de petites villes séparées par de fort courtes portions à 70 ou 90 avec une bande blanche continue au milieu. Je le croise souvent au même endroit, à 500 mètres près. Donc il ne doit pas venir de bien loin, surtout sur un 50.
Il y a aussi un « 50 cm3 », immatriculé comme tel mais qui doit être sévèrement kité vu qu'il tient un bon 90 même dans la petite montée vers l'échangeur. Il ne fait pas plus de bruit que ça, donc j'imagine un « swap » moteur, peut-être même bien réalisé.
Parfois, je suis sèchement dépassé par un type sur une Tromphe façon Street Triple. Lui, visiblement, doit avoir une douzaine de permis en rab' parce qu'il déboule à un bon 80 même en ville. Mon itinéraire passe par une ancienne nationale, donc il y a un large épaulement avant les maisons, mais quand même ; de la bleusaille avec un flingolaser au rond-point et il est crac dedans. Ou alors c'est lui-même un archer du Roy.
Le matin, je roule de temps en temps de concert avec un type en Transalp qui lui va se coucher : au milieu du 1er village, il clicotte et va béquiller devant une maison à droite dont le portail électrique clignote à son approche. Sa bécane a bien vécu : les caches latéraux proviennent d'une version beige alors que le réservoir est gris et bleu, d'après ce que j'ai pu distinguer. En guise de top-case, il a une de ces mallettes noires peu volumineuses façon Bottelin-Demoulin.
Et puis, il y a ma starlette. C'est une motarde, sans doute possible. Elle conduit une TL 1000 R blanche et bleue dont elle a conservé les pots d'origine et le dosseret de selle caractéristique. C'est une matinale : on se croise vers les cinq heures trente-cinq. Automne comme hiver, elle est en cuir, un Ixon noir et blanc. Elle a juste une sacoche magnétique sur le réservoir. Elle et moi suivons le même chemin pendant à peu près un quart de mon trajet : sur la rocade, elle file vers le sud.
Le rituel fut le même plusieurs fois : nous sommes arrêtés ensemble au dernier feu rouge avant l'échangeur. Moi sagement à droite, elle à gauche sur la deuxième file. Je sens les vibrations de son twin jusque dans la poitrine. Le feu opposé passe à l'orange, sa boîte claque au passage de la première. Notre feu passe au vert. Elle démarre, pas plus vite que ça. Je reste un peu derrière pour profiter du grondement du twin avant de démarrer. Elle se range sur la file de droite à une quinzaine de mètres devant moi. Comme il y a souvent du brouillard, je suis un peu ébloui par son feu arrière. Arrivé à l'embranchement, elle bascule franchement la moto pour franchir le joint de dilatation pourri de la bretelle, puis ouvre les gaz pour enquiller la voie d'accélération. Probablement en troisième. J'entends encore un peu son moteur qui grimpe régulièrement dans les tours.
Et je me retrouve seul en direction de l'Est, souvent dans le brouillard plus ou moins lourd, sinon sous un ciel dont je vais pouvoir apercevoir les constellations dans le bout droit sans éclairage avant le village suivant. Je roule parfois juste au bon rythme pour que la TL passe sous moi quand je franchis le pont qui enjambe l'autoroute. Encore le grondement du twin, le feu rouge qui s'éloigne.
A demain ?
Commentaires
tu me donnes envie d'acheter un TLR
23-02-2016 07:45tom4
... moi c'est plutôt la poitrine qui vibre qui m'inspire
23-02-2016 09:15Chouette rencontre et belle écriture !
Cajo, séquence émotion ...
Pendant un an, je croisais tous les jours, à la même heure et au même endroit, un mec. Lui, en 650 Yam et moi en V7 spécial, pis un jour on s'est rencontré dans un rade, on avait l'impression qu'on se connaissait depuis tout le temps!
23-02-2016 11:08c'est toujours mon pote
Marrant ça !
23-02-2016 11:18Avant de changer de trajet, je croisais tous les matins vers 05.45 deux minots sur un scoot 50cc (pas kité). Je les ai vu pour la première fois au début de l'hiver.
Maintenant, avec le nouveau trajet, c'est parfois une ER6 blanche qui roule énervée. Je laisse filer.
On n'est pas sur un circuit.
Plutôt un TL 1000 R, car si tu prends un TLR tu vas te faire pourrir...
Éventuellement, sur route étroite et très sinueuse en montagne, tu peux t'en sortir...
23-02-2016 13:04
Salut
23-02-2016 14:11Ca nous rappelle Eddy Lejeune.
Sinon moi aussi, tous les matins je rencontre les mêmes. Et pourtant pour faire le trajet maison/boulot je n'ai que 55 s
V
qu'est-ce que tu dois te faire chier ...
23-02-2016 14:22La poitrine de qui ? La sienne ou la tienne?
Profiter du grondement du twin ... voilà voilà voilà 23-02-2016 18:34
Belle chronique. Bravo pour l'écriture.
24-02-2016 23:22Il y a du Cavana et du Philippe Delerm (le père, pas le fils chanteur !) dans cette kronik teintée d'une certaine nostalgie.
25-02-2016 14:20