L'inatteignable route
A la recherche de la route cachée
Que découvrirais-je au bout de la piste ?
Parfois, je me surprends à chercher une route ; que je ne trouve jamais. Comme si je roulais en quête d'un souvenir que j'ai peut-être imaginé. Que découvrirais-je au bout de la piste ?
As-tu remarqué comme les routes s'emboîtent les unes dans les autres ? Une route ouvre sur une route qui débouche sur une autre, indéfiniment. Rares sont celles achevées par un sentier qui meurt dans les herbes ou le sable.
C'est un rêve que j'ai fait parfois, dont je me souviens des détails : je somnole, assis dans le métro parisien, à regarder défiler le sombre tunnel. Soudain, pendant une fraction de seconde, nous passons devant l'ouverture d'une énorme caverne brillamment éclairée où j'aperçois une foule de choses indistinctes, comme l'envers du décor où s'affairent les machinistes du théâtre de la vie. Je sursaute, écarquille les yeux, mais tout a disparu.
Quand je roule longtemps à moto, un peu fatigué, j'entrevois du coin de l'oeil des routes qui n'existent pas. Brusquement sorti de ma torpeur par cette vision, je scrute en vain dans les rétros : non, il n'y a pas d'embranchement derrière moi. Peut-être que les machinistes se sont aperçus de leur erreur et ont tiré à la hâte le rideau pour masquer cette bifurcation qui ne devrait pas être.
J'ai cette routine qui tourne dans la tête, malgré moi, en tâche de fond : la recherche de la route cachée. Je ne sais pas d'où cela vient ; peut-être de quand j'étais tout enfant, lorsque les voyages constituaient un fabuleux mystère : un moment j'étais à un endroit, puis à un autre j'étais ailleurs, sans savoir comment.
Peut-être qu'un jour, profitant de l'inattention des machinistes, vais-je pouvoir m'engager sur ce tracé inatteignable, sans existence sur les cartes.
Je la vois comme la somme de toutes les routes, rassemblées sur un tronçon court, mais sans achèvement. Ce serait une Interstate, droit vers l'horizon, qui serpente entre les bas murets de pierre d'Irlande, dans une steppe d'Asie le long d'une plage du Pacifique sur les contreforts des Alpes, quelque part du côté du Cap Horn ; le bitume, tout lisse, mais caillouteux, serait très noir, neuf, gris et usé comme en montagne, rouge latérite et blanc Macadam, avec de grandes flaques de boue, de l'herbe au centre et des vibreurs bleus et jaunes en guise de bordure, tondus à ras par les moutons ; le ciel d'orage, sans un nuage, aurait ce bleu profond des couchers de soleil à l'aube, quand il se met à neiger sous la pluie.
À ce moment-là, je sais que j'aurai le sentiment de rentrer à la maison, que la route est sur le point de s'achever, que je vais béquiller, couper le moteur et dans le silence revenu enfin déposer le trop lourd sac à dos qui me pèse.
Je me dirai : c'est là. Je suis arrivé.
Dans un grand frisson, je comprendrai tout ce qui m'échappe depuis si longtemps, tout ce qui reste obstinément à la périphérie de mon regard, qui esquive aussi vite que je peux tourner la tête.
Ce serait comme enfin trouver, dans une bibliothèque, le livre qui a la solution toutes ces questions qui demeurent sans réponse malgré un demi-siècle sur Terre à chercher ce que je fais là.
Oui, oui. Il n'y a pas de réponse parce qu'il n'y a pas de question. Il n'y a aucun sens à la vie, aucun mystère à élucider, seulement quelque chose à vivre ; je suis les yeux par lesquels l'univers se regarde lui-même.
Mais quand même. Elle doit bien exister quelque part, cette route qui résume toutes les routes. Pour paraphraser Tchouang-Tseu (je crois), "le motard qui emprunte la Route des routes le matin peut arrêter la moto heureux, le soir".
Je me dis qu'à force de chercher, je vais la découvrir.
Et qu'arrivé au bout du chemin, je trouverai. Un grand miroir.
Commentaires
Très joli texte, avec des oxymores tombant à point.
13-09-2022 07:44Cette route cachée est un peu cette recherche du temps perdu ou tout simplement du bonheur, le Graal est peut-être un besoin d'évasion, à moto, loin de toute forme de civilisation❗
C bô
13-09-2022 08:41une fois j'ai pris la route qui se termine en sentier qui meurt, avec la K75. j'ai mis 25minutes pour faire demi-tour avec les 238kg de Mémère entre un muret et un fossé.
je n'ai pas voulu aller jusqu'au miroir ce jour-là ...
C trè trè bo !
13-09-2022 09:03J'aime" je suis les yeux par lesquels l'univers se regarde lui-même"
Il est possible que feu la reine d'Angleterre ait trouvé cette route... celle que l'on croit se terminer, et qui se poursuit autrement, ailleurs. Ou pas.
13-09-2022 10:28Jolie prose !
chouette kronik, merci
13-09-2022 10:53tom4
C'est vrai que c'est beau. En fermant les yeux, je pourrai presque entendre le souffle du vent dans mon casque et le bruit de mon moulin. Merci
13-09-2022 12:19Ou le vent dans ton moulin .
13-09-2022 12:47D'accord avec " Il n'y a aucun sens (mystique)à la vie, aucun mystère à élucider, seulement quelque chose à vivre"
13-09-2022 12:55Du coup, essayons de vivre au mieux chaque instant... en passant aux autres et à demain.
V
j'ai trouvé ceci , si ça peut aider...
13-09-2022 13:26"" Délaisse les grandes routes, prends les sentiers. "
Pythagore ; Les fragments - VIe s. av. J.-C."
mais bon , je dis ça, je dis rien ,vu que certains matins ma meule veut même pas démarrer ...
Tu peux aussi revoir La Vallée, film de Barbet Schroeder, musique de Pink Floyd, où la fameuse vallée ne figure sur aucune carte parce qu'elle est "obscured by clouds" et est peuplée d'une communauté qui déjeune manifestement au LSD.
13-09-2022 20:14Et toi Kpok, tu t'étais enfilé quoi pour écrire la chronique ?