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Enduro : interview d'Eric Bernard

"Avec des courses plus dures, les ténors d'aujourd'hui le resteraient"

Le dénicheur de talent français de l'enduro

Enduro : interview d'Eric Bernard A seulement quelques heures du dernier KTM Super Test de la saison, le dénicheur de talent Français Eric Bernard s'est prêté au jeu de l'interview et nous livre ses réponses sans détour.

Eric Bernard, les gens vous connaissent pour votre brillante carrière de pilote mais aussi depuis peu comme dénicheur de talents….quelle est votre fonction exacte chez KTM – Husaberg ?

Je suis responsable sportif chez KTM – Husaberg France. Cela fait déjà plus de 10 ans que j’occupe ce poste chez KTM et 3 ans chez les Suédois. Mon rôle est de négocier les contrats avec les pilotes et les mécaniciens du team. Je dois gérer les pilotes, les assister, les épauler. Je ne m’occupe pas seulement de l’Enduro mais aussi du Moto Cross et de toutes les disciplines où KTM – Husaberg France est présent…

Comment s’est faite la transition à la fin de votre carrière sportive ?

Tout à fait simplement. En 2002, lorsque j’ai mis un terme à ma carrière sportive j’avais déjà comme projet d’aider Olivier Rebuffie avec mes propres moyens et une grande aide de mon principal sponsor de l’époque, Oxbow. C’est d’ailleurs cette marque de vêtements qui m’avait demandé de manager Olivier et cela m’a tout de suite séduit. C’est vraiment très plaisant d’encadrer des jeunes pilotes et de les faire évoluer. Mais Rebuffie s’est gravement blessé en Grèce au Championnat du Monde et par la suite il n’est plus jamais redevenu le même pilote… Ensuite, Royal Moto, qui est basé à Troyes, est devenue filiale de KTM et son siège s’est installé à Lyon, ils m’ont proposé le poste de responsable sportif. Je leur ai demandé d’agir comme prestataire ; une demande qui a été accepté. J’ai alors monté ma propre structure chez moi en Vendée, à Lande-Vieille. Il y a de cela 10 ans maintenant. Au début, des pilotes comme Freddy Blanc et Olivier Samophal étaient basés chez moi. Mais par la suite, les crossman se sont rajoutés. Frossard et Teillet habitaient aussi chez moi et cela est devenu bien trop lourd à gérer. C’est alors que j’ai décidé que les pilotes resteraient chez eux, que nous leur fournirions une moto d’entrainement et que l’on se rassemblerait quelques fois durant la saison. Désormais, je n’ai plus que les mécaniciens basés à Lande-Vieille.

Pela Renet Pierre-Alexandre Renet, Mathias Bellino, Jérémy Tarroux, Loïc Larrieu… D’où vous vient ce « flair » pour découvrir de nombreux pilotes de Motocross et les porter vers la réussite en Enduro ?

Premièrement, il faut savoir que cela ne va pas s’arrêter comme cela ; il y en aura encore d’autres dans le futur. Lorsque je repère un pilote je lui fais passer un test de 20-30 minutes très simple dans un champ plat. Pour Pela Renet, cela a été totalement différent. Je l’avais déjà testé lorsqu’il avait 18 ans mais son père avait décidé qu’il resterait en MX, ce qui a été une bonne chose étant donné qu’il a été titré en MX3. Puis, 6-7 ans après, il est revenu vers moi et c’est comme cela qu’il a débuté sur l’EWC. Il a un pilotage très propre et je ne m’en fais pas pour lui, il remportera d’autres titres. Ce test simpliste est une grosse prise de risque mais ainsi j’arrive facilement à voir si je peux faire quelque chose du pilote ou non. Par exemple, dans le cas de Mathias Bellino, il est peut-être tombé 15 fois en 15 minutes de tests mais j’avais déjà eu le temps de remarquer son grand jeu de jambes. Les gens qui m’accompagnaient m’ont pris pour un fou mais au final, deux ans après, il était Champion du Monde Junior. Mathias est celui qui a le plus progressé. Je mets cela sur le compte que c’était celui qui avait le moins de bagage technique au départ et désormais c’est le pilote le plus rapide dans les Xtreme Tests. J’aurai aussi beaucoup aimé garder Jérémy mais les places sont chères chez KTM – Husaberg et je comprends totalement son choix. Après, j’ai aussi travaillé avec Jean Michel Bayle et Mickael Pichon en Enduro. Ce fut un e bonne expérience car ce sont de vrais et grands champions. Pour finir, Loïc Larrieu progresse constamment mais il a encore besoin de confiance. C’est pour cela aussi que j’apporte beaucoup de support aux pilotes. Il faut savoir que tous les ex-crossman bossent énormément à l’entrainement contrairement à ce que l’on dit.

Ne pensez-vous pas que les managers « traditionnels » de l’EWC sont de bons recruteurs et découvreurs de talents ?

Les mecs ne sont pas mauvais mais ils ont la tâche beaucoup plus facile que moi étant donné qu’ils ont plus de moyens. J’ai une énorme différence de budget avec eux et c’est pour cela que je suis obligé de découvrir de jeunes talents plutôt que de me tourner vers des valeurs sûres. Mais j’ai trouvé mon rôle avec KTM – Husaberg et je travaille en confiance avec Thomas Gustavsson. Finalement, les gars que j’ai ramené, personne sur l’EWC ne les connaissaient et au bout d’une journée, ils devenaient l’attraction… 

"2012 a été exceptionnelle, mais les gars savaient que ce serait difficile de le refaire !"

Loïc LarrieuQuel regard portez-vous sur l’Enduro actuel, vous qui êtes de la génération passée mais qui êtes investi à 100% dans l’EWC depuis quelques années déjà ?

Je ne suis pas du tout du genre à dire qu’autrefois c’était mieux. De toute façon, ce n’est pas vrai. L’Enduro actuel est beaucoup plus soutenu qu’auparavant. Dire que l’Enduro est plus facile car les ex-crossmen sont aux commandes, c’est une grosse erreur. Les crossmen travaillent comme des fous pour être au top. Et puis je pense que même si c’était plus dur, les pilotes actuellement champions du monde le seraient toujours. Le niveau de l’EWC a énormément évolué et on a vu une très grande progression au niveau du comportement des motos. Désormais les pilotes peuvent passer à fond dans les trous, la moto réagit parfaitement. Côté paddock, c’est très bien d’avoir de grosse semi et Hospitality. Il faut aussi prendre en compte que le marché de la moto est compliqué en ce moment et donc comme partout les teams aident les meilleurs pilotes puis cela devient un peu plus compliqué pour les autres. Mais il y a une très grande différence avec 10 ans auparavant. Pour ma part lorsque je roulais j’ai toujours du me débrouiller tout seul alors que désormais les pilotes sont encadrés et soutenus. Après j’ai un peu de mal avec le Super Test car on sort la moto pour à peine 20 minutes et les pilotes ne sont pas chaud physiquement. Certaine fois la spéciale est en plus très limite niveau sécurité. Côté règlement, celui de l’Enduro est très lourd et il doit absolument être respecté par les pilotes et les teams mais très souvent les organisateurs eux mêmes ne le respectent pas. Attention, je ne jette pas la pierre aux Moto Clubs et aux bénévoles qui font un boulot fantastique mais plutôt aux gens et officiels qui sont chargés d’appliquer ce règlement. Je trouve aussi qu’il y a un énorme manque de communication entre les gens qui encadrent l’Enduro. Malgré cela, l’EWC a énormément progressé surtout grâce aux Moto Clubs et à notre promoteur ABC Communication.

Mathias Bellino2012 fut une cuvée exceptionnelle pour l’Enduro Français avec quatre titres de Champions du Monde sur 6. Par contre 2013 s’annonce un peu moins faste….

2012 a été une année exceptionnelle. Tellement exceptionnelle que le dimanche soir à Brignoles je me suis posé à l’hôtel en me sentant soulagé qu’aucun pilote n’ait été blessé. Après cela et nous en avons parlé avec les pilotes, je leur ai bien souligné que c’était une année exceptionnelle…. mais que refaire la même serait très difficile. Mais ce n’est pas la catastrophe non plus, Meo et Nambot’ sont encore champions cette saison ! Et même si Pela a fait des erreurs, il se bat toujours pour la deuxième place dans la catégorie la plus relevée en talent. Il redeviendra Champion, je n’en doute pas. Pour Mathias Bellino, c’était différent, il a connu beaucoup de blessures et a donc manqué d’entrainement. Mais malgré cela il a fait un excellent boulot et a réalisé une bonne année. Il doit encore plus bosser pour être prêt à gagner l’an prochain. Larrieu apprend vite. J’ai un deal avec lui : un an pour apprendre et un an pour gagner ; comme avec Mathias. 2012 a vraiment été une grande année et de plus entre les pilotes et les mécaniciens il y avait une super ambiance.

Antoine Meo et Christophe Nambotin continuent sur leur brillante lancée avec respectivement 4 et 2 couronnes mondiales. Sont-ils capables d’enchaîner d’autres titres ?

Oh oui, sans aucun problème. Chacun à son caractère mais ils ont le même objectif. Nambot’ va engranger les titres mais il va aussi avoir besoin d’un nouveau challenge… Pourquoi pas changer de cylindrée ou même de catégorie ? Antoine, quant à lui, est un très bon pilote qui se remet en question en permanence et qui sait rouler fort le moment venu. Mais lui aussi va avoir besoin de nouveaux challenges. S’il continue, il pourrait bien rejoindre Juha Salminen au nombre de titres…

A contrario, comment expliquez-vous que Pierre-Alexandre Renet n’ait pas réussi à confirmer son titre 2012 ?

Il a énormément attendu ce titre… Par la suite, il a repris l’entrainement pas aussi déterminé que l’année précédente. Et puis il faut bien avouer que l’E2 est ultra relevée. Au fond de lui-même, ce n’était pas le guerrier de 2012 et il lui manque encore quelques ficelles. Mais je ne m’inquiète pas… il y aura aussi d’autres titres pour lui.

"Bellino ? Il fait partie des meilleurs mondiaux désormais !"

Un regard sur la saison de Johnny Aubert…

Johnny, je l’apprécie beaucoup. C’est un pilote très doué. Mais j’ai quelque regret sur le fait qu’il n’ait pas participé au Championnat de France. Cela aurait créé une émulation encore plus forte avec les autres pilotes ! En 2012, c’était différent, il sortait du Dakar et croyez-moi, un Dakar c’est très éprouvant physiquement et psychologiquement et lorsqu’il est arrivé sur l’EWC, il était déjà fatigué. Il a un énorme bagage technique et peut vraiment revenir !

Parlons de Mathias Bellino, Champion du Monde Junior 2012…. il est déjà classé comme un favori dans sa catégorie. Sa marge de progression semble infinie…

Une marge de progression peut vite s’interrompre si l’on fait n’importe quoi… Vous le savez comme moi, Bellino est fougueux. Durant sa première année, il était impatient et voulait toujours être devant puis la seconde année il a compris certaines choses et ça a été la consécration. Il a une grosse marge de progression mais il a besoin d’apprendre à se connaître un peu plus et de bosser beaucoup plus qu’il ne le fait déjà. C’est une grosse satisfaction pour moi. Désormais il fait partie des meilleurs pilotes mondiaux en Enduro…

Après quelques déboires en début de saison, votre nouveau protégé Loïc LARRIEU a décroché sa première victoire en Grèce. Il reste cependant inconnu aux yeux des fans de l’EWC…

Il faut aussi se souvenir que Pela et Bellino ont eu des déboires. C’est un passage obligé en Enduro. Mais je les avais prévenus dès le début et j’ai soutenu Larrieu tout au long de la saison de la même façon que je l’ai fait avec ses prédécesseurs. Sa toute première course d’Enduro s’est déroulée au Chili et n’oublions pas qu’il a directement commencé par le Mondial. En tout cas il apprend très vite comme il a pu le prouver avec sa victoire en Grèce.

Enduro : interview d'Eric BernardVous êtes désormais le mentor d’une véritable dream team Française (Meo, Nambotin, Renet, Bellino, Larrieu). N’est-ce pas trop difficile à gérer avec tant de personnalités différentes ?

Oh non, ce n’est pas plus dur que d’être chef d’entreprise ! Il faut savoir écouter les pilotes, savoir aussi leur dire non et échanger énormément avec eux. Chacun a ses besoins mais une fois qu’ils ont trouvé leurs limites avec moi, cela se passe bien. S’il y a des tensions dans le groupe, mon rôle est de remettre les choses en place. Ce n’est pas facile car en plus je m’occupe de deux structures (KTM – Husaberg) mais en tout cas il y a une super ambiance dans le team !

"L'Enduro est leur métier et ils ne doivent pas être détournés par des personnes extérieures"

En dehors de l’entrainement, intervenez-vous aussi sur la diététique et l’hygiène de vie de vos pilotes ?

Non, ceci n’est pas mon métier. Je ne peux pas tout faire et je laisse cela à leurs préparateurs physiques. Ce sont de grandes personnes, ils ont un contrat et ils savent qu’il faut gagner. Après, j’organise des journées « cohésions sans moto » afin de créer des liens entre les pilotes et les mécanos mais je n’ai absolument aucun rôle dans la diététique ou l’hygiène de vie. Je suis là pour soutenir les pilotes… surtout quand ça va mal !

A haut niveau, chaque petit détail compte… Pensez-vous que la vie privée ait aussi de l’importance sur la réussite et les résultats des pilotes ?

Tout à fait ! Il faut savoir que le pilote professionnel est une personne très fragile. Je suis bien sûr obligé de mettre mon grain de sel lorsque je sens que le pilote n’est plus à 100% concentré sur la course… Ce n’est pas un problème que la copine ou le frère du pilote soient présents. Par contre ils doivent bien savoir que l’Enduro est leur métier et qu’ils bossent le weekend. Donc les jours de course ils ne doivent avoir en tête que la course… Après, il est certain que la vie privée conditionne en grande partie les performances d’un pilote…

On imagine facilement que parfois, vous passez pour l’enquiquineur de service auprès de vos pilotes…

Ce n’est pas facile tous les jours ! Maintenant, les pilotes connaissent mes limites. Pour moi ce n’est pas un problème d’aller boire une bière ensemble la veille d’une course mais le lendemain à 8 heures, le pilote comme le mécano doit être prêt pour bosser. Après dans mon team, je tiens vraiment à ce que la relation pilote-mécanicien soit une relation professionnelle et non de copinage. Lorsqu’il y a une routine qui s’installe, on fait moins d’efforts et les résultats sont en baisse !

Des pilotes comme Christophe Nambotin et Pierre-Alexandre Renet s’entendent très bien et s’entrainent ensemble, n’est-ce pas au détriment de la rivalité et de l’émulation ?

Ils ne pourront peut-être plus s’entrainer ensemble l’an prochain… Après, je ne trouve pas que ce soit un problème. Justement cela crée de l’émulation et encore plus de motivation ! L’entrainement tout seul n’est pas la bonne solution. Lorsqu’ils sont ensemble, tout le monde veut être devant et j’ai des fois l’impression d’assister à une journée d’EWC tellement chacun donne le meilleur ! Bien sûr, s’ils se retrouvent dans la même catégorie, ils auront un peu plus de mal à cohabiter. Mais le but final c’est de gagner des titres pour les pilotes, les mécaniciens et l’employeur !

Quelle sera la prochaine trouvaille d’Eric Bernard ?

Trop tôt pour le dire ! Je comptais souffler l’an prochain. Mais il est possible que je recrute un pilote chez KTM France. Soit un jeune qui fera le mondial et le France soit un pilote déjà rodé qui ne se présentera que sur le France. Attention, ça ne veut pas dire non plus qu’il n’y en aura pas d’autres dans le futur. J’ai simplement besoin de travailler un peu plus avec Larrieu et d’être à 100% à ses côtés...

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