La suralimentation ou l'art du gonflage
1000 et 1 façons de lui souffler dans les bronches
Avant la Seconde Guerre Mondiale, la suralimentation faisait des miracles en moto. Elle s’était fortement développée grâce à l’industrie aéronautique, car les moteurs d’avions perdaient énormément de puissance au fur et à mesure qu’ils prenaient de l’altitude. Un handicap terrible en combat aérien ! L’aviation, l’armement et la fabrication de motos étant intimement liés (BSA par exemple signifie Birmingham Small Arms !), la moto a pu bénéficier de transferts de technologies. Pensez qu’en 1939, les flats BMW 500 à compresseur développaient la bagatelle de 80 ch à 8.000 tr/min et atteignaient 225 km/h !
Nous étions donc sur la bonne voie, mais entre les fameux carénages « poubelles » très aérodynamiques et les moteurs suralimentés, les motos atteignaient des vitesses faramineuses et surtout très dangereuses. Il faut remettre ça dans le contexte de l’époque, avec des pneus ainsi que des freins largement dépassés et des infrastructures qui n’en étaient pas. Face aux nombreux accidents mortels, la réglementation fut modifiée et lors de la création du championnat du monde en 1949, la suralimentation fut interdite en compétition. Depuis ce coup d’arrêt, le procédé peine à redécoller en moto. En effet, comment promouvoir une technologie qui améliore spectaculairement les performances, sans s’appuyer sur la compétition ? De fait, le positionnement commercial des motos suralimentées est devenu bancal et elles ont quasiment disparu des gammes de tous les constructeurs pendant longtemps. Pourtant, la suralimentation, ça a du bon !
La folie du turbo
Dans les années 80, l’occident qui se relève à peine du premier choc pétrolier (1973), fait du « down sizing » avant l’heure pour réduire la consommation des moteurs. En automobile, les grosses cylindrées n’ont plus le vent en poupe, alors, on se met à gonfler les petits moteurs à coup de turbo. La F1 adopte cette technologie au prix d’une équivalence qui va faire long feu : les 3 L atmosphériques affrontent les 1,5 L suralimentés. Très vite, le combat va s’avérer inégal, les petits turbos écrasant littéralement les gros « atmos ». Avec des pressions de suralimentation atteignant 4 bars en qualification, les 1,5L arrivent à 1200 ch (!) quand les 3L sont à la moitié environ. Dans l’euphorie générale, la technologie progresse à pas de géants et la suralimentation passe de la F1 à la voiture de monsieur tout le monde, en profitant à plein de l’image de la compétition. Emportée par la vague, la moto se lance, avec moins de réussite. Les 4 machines japonaises commercialisées à cette époque ne rencontrent guère de succès, faute d’être convaincantes. Elles sont brutales, avec de forts temps de réponse du turbo et leurs partie-cycles, comme leurs designs ne sont pas très inspirés. Seul Honda revoit intelligemment sa copie en remplaçant sa 500 CX turbo, par une version 650 plus civilisée. Bref le turbo va vite retourner dans sa boîte et se faire oublier… Jusqu’à ce que Kawasaki nous présente une nouvelle moto suralimentée des plus impressionnante, la H2, mais sans turbo cette fois. En effet, il existe mille et une façons de souffler dans un moteur. Voyons ça de plus près.
Le turbocompresseur
Comme son nom l’indique, il repose sur l’association d’une turbine et d’un compresseur. Le principe consiste à utiliser l’énergie résiduelle des gaz d’échappement pour entraîner une turbine. Montée sur un arbre solidaire d’un compresseur qu’elle entraîne de fait, elle met en pression les gaz d’admission par son intermédiaire. Plus le débit à l’échappement est important, plus la turbine a de puissance. On constate donc une relative faiblesse aux très bas régimes. Aujourd’hui les très petits turbos à géométrie variable effacent quasiment ce défaut. Monté sur paliers hydrauliques, le turbo peut tourner à 300.000 tr/min !!!
Plus : énergie récupérée « gratuite » / bonne consommation
Moins : Efficacité modeste à très bas régime. Petit temps de réponse. Complexité mécanique et zones très chaudes difficiles à gérer. (Le turbo peut rougir !). Difficulté à suralimenter un monocylindre.
Les compresseurs mécaniques
Ici la turbine est remplacée par une prise de mouvement sur le moteur qui entraîne donc lui-même son système de gavage.Cela permet effectivement de suralimenter tous les moteurs, même un monocylindre de petite cylindrée. Il existe différents types de compresseurs. Les centrifuges, à spirales, centrifugo-axial, à palettes (C’est la solution qu’avait retenue Peugeot pour ses scooters 125) et les volumétriques.
Le compresseur à lobes (type « roots ») est dit "volumétrique". Il est entraîné à un régime proche du moteur, voire identique, mais sa cylindrée étant supérieure à celle du moteur, on pousse mécaniquement les gaz vers l’admission. Il n’y a pas à proprement parler de compression interne dans le compresseur, mais comme on en débite plus que la cylindrée du moteur, il y a suralimentation et donc accroissement de la puissance.
Sur les autres procédés, on utilise des turbines qui tournent à très grande vitesse et compriment ainsi les gaz sous l’effet de la force centrifuge. Sur la Kawasaki H2, le compresseur aspire les gaz en son centre et les expulse vers l’extérieur de la turbine. C’est la très forte vitesse de rotation qui crée ce phénomène. Raccordé au vilebrequin par des trains pignons épicycloïdaux, il tourne 9,2 fois plus vite que lui, ce qui donne quasiment 129 000 tr/min quand le moteur grimpe à 14 000 tr/min ! Ici le taux de suralimentation n’est donc pas totalement linéaire comme sur un compresseur à lobes, car l’efficacité volumétrique du compresseur centrifuge augmente avec le régime, cependant, le rendement mécanique est meilleur
Plus : un taux de suralimentation constant, ou presque, quel que soit le régime, donc une grande disponibilité et du couple partout. Pas de temps de réponse, pas de « zone chaude » et la possibilité de suralimenter tous les moteurs, même un monocylindre.
Moins: La puissance prélevée pour comprimer le moteur n’est pas « gratuite », elle provoque donc une surconsommation et une baisse du rendement
Compresseur électrique
C’est une solution actuellement en cours d’expérimentation dans l’automobile (chez Valéo) : un moteur électrique entraîne un compresseur jusqu’à 70 000 tr/min. La puissance électrique peut être fournie par un alternateur récupérant une partie de l’énergie lors des décélérations et freinages. Le compresseur et son moteur pèsent environ 4 kg.
Plus : Pas de liaison mécanique avec le moteur ni de zone chaude. Possibilité de piloter le compresseur à la demande, en lui faisant plusieurs cartographies pour moduler le comportement moteur à la demande. Pas de temps de réponse (env 350 ms, contre près de 2 s pour un turbo !)
Moins : Les puissances électriques en jeu (plus de 1000 W) sont difficiles à développer en 12 V. De fait, il faut envisager un passage en 42V pour réduire l’intensité des courants.
Intercooler * Kesako ?
* refroidisseur d’air
Comme on le constate avec une pompe à vélo, l’air comprimé s’échauffe. C’est mauvais pour le moteur et ça prend plus de place (dilatation). Pour le refroidir, on fait passer l’air comprimé au travers d’un radiateur (aussi appelé échangeur air/air ou air/eau). Cela soulage le moteur et permet d’augmenter la pression de suralimentation et/ou le taux de compression au profit du rendement. Du fait de son encombrement et de son poids, mais aussi des pressions de suralimentations plus faibles, les motos se passent souvent d’échangeur. Peugeot en avait cependant adopté un sur son Satelis à compresseur.
Les autres suralimentations :
Les compresseurs à effet d’onde: utilisés par Ferrari en F1 dans les années 80, ont aujourd’hui quasiment disparu. Pourtant, on a pu voir au salon de Milan 2016 une société qui présentait un système à tambour baptisé « drum charger », très différent dans son principe et beaucoup moins efficace que les « comprex » de Ferrari. Ici aussi, on utilise la bouffée de pression de l’échappement pour suralimenter le moteur. Cette surpression déplace une membrane dont l’autre face est en contact direct avec le circuit d’admission. Un système de clapets chasse alors les gaz admis vers le moteur lorsque la membrane réduit le volume de l’admission. Une fois la pression retombée, un ressort ramène la membrane en position qui aspire de fait des gaz frais via un premier jeu de clapet. Très simple et peu couteux, ce procédé permet un gain de 15 à 20% de puissance, avec une légère baisse de consommation du fait de la plus grande disponibilité du moteur à bas régime.
La suralimentation naturelle : Elle consiste à accorder le moteur (comme on accorde un instrument de musique) et à profiter des pulsations d’air dans l’admission pour améliorer le remplissage. C’est ce que cherche à obtenir l’admission de longueur variable sur une large plage de régime. Le taux de suralimentation peut atteindre 1,3. C’est-à-dire qu’un 1000 cm3 accordé offre la pêche d’un 1300 cm3.
La prise d’air dynamique : Le procédé consiste à profiter de la vitesse de la moto pour forcer l’air dans l’admission. Le gain est très modeste : 2% à 200 km/h, 4% à 300 km/h. C’est-à-dire qu’un 1000 cm3 se comporte comme un 1040 cm3 à 300… on en profite en outre très rarement et peu de temps !
Conclusion
Technologie très prometteuse, la suralimentation a encore tout à prouver en moto. Son retour possible en Endurance lui ouvre des portes. En effet à partir de la saison 2017/2018 les 3 cylindres jusqu'à 800 cm3 et les 2 cylindres jusqu'à 1.000 sont autorisés en catégorie prototype. L'avenir semble vouloir sourire au "downsizing" et aux audacieux (ils sont gonflés héhé...) et déjà certaines rumeurs commencent à courir sur l'arrivé de nouveaux modèles bodybuildés.
Commentaires
Pour faire tant que de faire appel à de l'électricité pour alimenter un turbo électrique, autant utiliser cette même électricité pour alimenter directement un moteur qui serait par ex situé dans la roue arrière.
12-03-2017 17:58D'ailleurs ça permettrait d'offrir en même temps facilement la marche arrière à la moto.
Il existe aussi la suralimentation chimique : on injecte de l'azote dans l'admission, ce qui refroidit et donc densifie l'air. C'est le principe des kits NOS
12-03-2017 22:43quelques gouttes de "start pilot" et le résultat est le même ^^
13-03-2017 10:21Le Start Pilot, c'est de l'éther...
"115 compteur bagnole ? Zarma ! T'as mis de l'éther !" 13-03-2017 11:15
L'objectif premier d'injection de protoxyde d'azote dans un moteur est de substituer l'air que l'on respire tous par un comburant plus riche en oxygène permettant de faire à avaler plus de combustible (essence).
Le refroidissement complémentaire est un "plus" d'ailleurs il tombe bien parce que cela évite de tout exploser et de maintenir un bon rendement.
Bonne journée 13-03-2017 16:35
Donc pour un coût extrêmement modéré on peut booster un moteur en y injectant de l'O2.
13-03-2017 17:41Une moto produit généralement trop d'électricité, ce qui permettrait par électrolyse de produire de l'O2 a réinjecter dans l'admission.
Mon idée doit être trop simple ... ou pas assez cher mon fils.
Plein de questions en vrac !
13-03-2017 17:41À plusieurs reprises dans l'histoire de la suralimentation, et pour diverses raisons, le fort gain en performance a été un frein à son adoption (trop inégal pour la compet', trop effrayant pour une moto dont la partie cycle ne suit pas).
Mais à ces problèmes il y avait deux solutions en fait… Renoncer a la suralimentation et… réduire la cylindrée.
Si en F1 un moteur 1.5L écrase un moteur atmosphérique deux fois plus gros… Ça peut juste vouloir dire que 1.5L c'est toujours trop…
Il n'est pas possible de faire des petits moteurs turbo ? Je suppose que ce qu'on perd en puissance on le gagne en réactivité (plus petite turbine, moins d'inertie). Et comme les petits moteurs tournent plus vite, je suppose que le nombre de cylindre moins problématique ?
Le problème avec les mono cylindre suralimenté c'est bien le fait qu'on a besoin de la pression que 25% du temps, lors de la phase d'admission ? Et qu'avec un 4 cylindre à 180° il y a toujours un cylindre en phase d'admission.
Du coup, un 4 cylindre régulier de 200cc turbo compressé ça serait tip top ?
La famille ne recevra pas de condoléance suite à l'incinération instantanée de l'engin et de son essayeur
Bonne journée 13-03-2017 18:35
Comme si une moto avait besoin d'un turbo pour avoir de la poussée franche et massive...
01-04-2017 18:26Pour avoir un train épicycloïdal il faut qu'un point d'un pignon à l'intérieur de la couronne décrive une épicycloïde.....
16-01-2019 22:45ici (H2R) les 3 pignons sont fixes, donc ce n'est pas un multiplicateur épicycloïdal mais bêtement des engrenages intérieurs.
Ca fait moins bien mais c'est ainsi correct.