Roman : René (épisode 33)
Episode 33 : Quelques jours de vacances… !
Quand t'es fatigué, tu fais quoi, toi ? Bon, t'es peut être pas le bon exemple. Feignant comme je te connais, tu dois te vautrer dans ton canapé une bière à la main pendant que bobonne s'occupe de l'entretien ménager, je me trompe… ?
Non, quand on est fatigué, on part en vacances, et quand on est motard, on part en moto…
Tu vas me demander ou je veux en venir, Elvire ?, ben ouais, t'as gagné ! René a décidé de se mettre au vert en changeant de pâturage, bref, de partir quelques jours au soleil en compagnie de Maurice, mais aussi de Ziva qui vient d'acheter une nouvelle bécane (on va y revenir…), direction le sud et la douceur de vivre en ce début du printemps, loin du tumulte de la capitale et de son horrible banlieue semblable à une fourmilière (m'en fout, moi j'habite en Normaaaaandie…).
Non c'est vrai, entre les essais, les pubs, les invitations à gauche et à droite (voir au centre…), et toutes ces mondanités, le Respectable a bien droit à quelques jours de vacances, tu ne crois pas ?.
Le charme du sud…, avec la vie qui ralentit au fur et à mesure que l'on se rapproche de la côte, le doux chant des cigales (bon là, je l'accorde, c'est encore trop tôt dans la saison…), le plaisir de tailler la route sans arsouille, en Respectable, et de profiter du jour qui vient sans se presser et sans contrainte aucune. La bonne table aussi, car dans le sud, on sait apprécier la bonne chair et le vin religieusement extirpé de la vigne à flan de coteau imprégné de la force du soleil qu'on ne trouve qu'en ces contrées !
Les filles aussi…, quoi ? Qu'est ce que tu dis ? Pas du repos les filles ??? Tu me déçois beaucoup…
Mais mon vieux, les filles, c'est l'élixir de jouvence ! Surtout quand je te vois, je me dis que t'as pas franchement abusé et que c'est marqué sur ta tronche, je t'explique… :
Il n'y a pas très longtemps, un savant aréopage de têtes pensantes s'est penché sur le problème de la sexualité. Hé bien il en ressort, mon cher Hector, que la pratique de l'activité sexuelle est in-dis-pen-sa-ble au bien-être de l'individu, et tu peux en abuser autant que tu veux, ça ne s'use jamais et c'est tout bénéf' au niveau circulation sanguine, tonification cardiaque et santé mentale…
Regarde René : à soixante et quelques berges, il a encore tout du fringant jeune homme, alors que toi, c'est tout le contraire…
Bon, je te l'accorde, avec ton physique de nabot, t'as pas été gâté par la nature, mais un conseil : sort toi les doigts du cul, rentre ton ventre et, avec un peu (beaucoup…) de chance, toi aussi tu peux en faire autant…. Me remercie pas, chuis comme ça !
Bref, René part dans le sud quelques jours, bien décidé à en profiter un max avec son frangin et l'Ziva qu'est tout content d'étrenner ainsi sa nouvelle monture (soit patient ! On va y reviendre…).
Le bled est situé au sud de la Provence, et se nomme Maisidon Légazs. C'est un petit bourg de cent cinquante âmes perdu au milieu de la garrigue, avec juste son petit hôtel / café / épicerie / poste et boulangerie, comme dans tout village provençal qui se respecte, tenu par un couple d'ex-parisiens lassés de la vie citadine, motards de surcroît, ce qui un atout dans le cas présent.
Tout ça est venu un beau matin par un René levé du mauvais pied. La tronche fermée, le geste saccadé et d'humeur plutôt massacrante :
« Maurice ?, dis ce dernier sur un ton peu affable, tu annules
mes rendez-vous… J'en ai ras l'intégral d'aller
faire le pingouin chez les mickeys du milieu et faut que j'me casse
loin d'tout ça au moins pendant quelques temps !
Tu prépares les valoches le temps que j'contacte un pote
dans l'sud. Y tient l'hôtel du village et j'va
l'appeler pour qu'y nous réserve deux chambres…
»
DRIIIIIINZZZ !!!! C'est Ziva…
Maurice le fait entrer.
« Qui t'amène, l' môme ? » demande l'Ancien.
« J'viens vous montrer ma nouvelle moto !!!! » déclare le gamin avec enthousiasme.
René, au mot « moto », se redresse du fauteuil ou il était négligemment installé :
« Une nouvelle bécane ? Allez, on va voir ça !!! »
Les trois sortent rapidement de l'habitation devant laquelle est stationnée une magnifique… 600 Transalp !
Bon, je t'arrête tout de suite, toi qui te marres déjà : c'est un excellent trail qui est un peu le couteau suisse de la moto avec sa partie cycle passe-partout et son V-twin de 55 chevaux, qui, si ces derniers sont plus proches du percheron que du pur-sang, n'en constitue pas moins une mécanique laborieuse et endurante. Au lieu de critiquer, essaye et on en reparle… à moins que t'as peur de paraître ridicule au yeux de ton voisin alors que t'exploites même pas à dix pour cent les possibilités de ta sportive que t'es obligé d'avoir pour te sentir quelqu'un ???
Oui, je sais, ça calme mais c'est tellement vrai ce que je dis, n'est ce pas ?
Bref, Ziva est tout fier de montrer sa dernière acquisition :
« Ben…, j'ai beaucoup cogité c'que tu
as depuis longtemps essayé de me faire comprendre : le genou par
terre plein angle, c'est pas pour moi. Partant de là, je
suis allé chez Rosso qui a voulu me refourgué la Viragro
à Maurice, mais faut quand même pas pousser, j'en suis
pas encore là – pardon Maurice -, et j'me vois mal
sur ce truc d'un autre temps. Rosso m'a alors montré
la Transalp d'occase qui traîne depuis un moment dans l'fond
du magasin. J'l'avais déjà vu mais j'avoue
qu'j'y avais jamais pensé, c'est vrai qu'on
pense pas à une bécane comme ça…
Pourtant, qu'est-ce que je fais au guidon d'ma bécane,
sinon me faire peur en permanence car je sais maintenant que quoi que
je fasse, jamais je ne me ferai plaisir aux bracelets d'une sportive.
Faut être réaliste et reconnaître ce qui est !
Je dois dire que ça a alors fait tilt. Tout l'monde se fout
de moi sur ma sportive et tout l'monde se fout d'la Transalp
donc, j'ai décidé qu'elle serait mienne et j'ai
négocié une reprise, pour laquelle j'ai laissé
pas mal de plumes rapport à l'état des plastiques,
mais ch'suis content et c'est vrai qu'elle me va bien
cette brèle. J'avoue que ça faisait longtemps que
je n'avais pas apprécier de rouler en étant aussi
détendu à moto, c'est comme une libération
et dorénavant, jamais plus je n'essaierai de me prouver ce
que je ne suis pas ! »
René et Maurice sont sciés :
« Comme quoi on peut être jeune et pas trop con, déclare le Respectable, le tout c'est d'être honnête avec soi-même. C'est vrai que cette brèle te ressemble, et comme les autres elle a deux roues, un guidon et un moulin pour te faire plaisir. Bien joué mon gars ! Allez, vient, on va arroser ça à la maison ! »
Ils s'installent tous les trois dans le salon, Maurice faisant
un peu la tronche rapport à la Viragro (toi…, tu te tais
!) pour retrouver très vite sa bonne humeur sitôt son verre
à la main,
Et ça se met à causer… moto (bravo ! t'as trouvé…).
René annonce alors à Ziva son intention de se mettre au
vert, ce dernier, enthousiaste à l'idée, insiste pour
être de la partie…
« Moi, j'ai rien contre, lui répond l'Ancien, mais faudrait pas qu'tu nous r'tardes en te t'flanquant pas terre à chaque virage car y'a mille bornes pour aller là-bas et au train ou tu tâtes du bitume, faut qu'on parte tout d'suite pour être sûr d'arriver l'année prochaine… »
« Avec la Transalp, c'est pas pareil, se défend Ziva, j'ai déjà fait deux cent kilomètres avec sans me sortir une seule fois. Cette moto est vraiment faite pour moi et à son guidon, j'ai plus envie de tenter des trucs que j'sais pas faire car on sent qu'elle a pas été conçue pour ça et on l'aborde pas de cette façon. Avec elle, j'enroule et je roule propre, mais sans me traîner pour autant, et je te jure que je ne vais pas te retarder. Aller René, accepte… »
« Bon Ok, Ok, t'es d'la partie ! »
« Et les filles ?, demande Maurice, on les embarque ? »
« Non mais ça va pas ?, répond le Respectable, tu
vas les mettre ou les bagages si on s'embarrasse avec les sacs de
sable ???
J'va t'dire un truc, on s'servira sur place si on a
envie de se dégourdir la troisième patte ! »
René s'empare alors de son portable et compose un numéro :
« Fred ?, Gédeufoitrentan !, oui René, c'est
ça. La forme ?…
Dis donc mon ami, hein ?, quoi ? Ho ! Et puis laisse tomber c'que
t'as lu sur moi, j'te raconterai…. J'voulais te
d'mander, t'as toujours ton rade à Maisidon Légazs
? oui ? et bien si t'as trois chambres à dispo, je passe
te dire un p'tit bonjour disons… demain dans la soirée
!
On restera une huitaine de jours, histoire de visiter l'coin, ça
marche ? parfait, à demain alors ! »
Se tournant alors vers les deux autres :
« Bon, on va j'ter un coup d'œil sur les Kawasuki et préparer les affaires. Ziva, tu te pointes demain matin huit heures pétantes frais et dispo avec tes affaires bien arrimées, faudrait pas en perdre la moitié en roulant. Aller, on a du taf pour la journée ! »
Le réveil à sonné à six heures, ce qui laisse
deux plombes pour la mise en condition du départ : solide petit
déj', footing pour René (Maurice, c'est pas
trop son trip…), une bonne douche et dernières vérification
en attendant l'arrivée du Ziva nouveau sur son fier destrier.
On dit que les d'jeun's sont jamais à l'heure et qu'on peut pas leur faire confiance ? Ben là t'as tout faux car le môme se pointe à moins le quart sur son rutilant bicylindre dont la selle arrière est équipée d'un sac à dos qu'il a fixé à l'aide de sandows.
Petite séance de serrage de patounes, un dernier café pour la route, et les deux Respectables sortent les Kawasuki du garage après s'être équipés.
« Franchement Maurice, dis René en esquissant une moue de
dégoût, ta bécane elle ressemble plus à rien
maintenant. Quand j'la vois comme ça, ça m'fait
l'même effet qu'si Britney Spears se foutait à
poil devant moi avec un furoncle à l'arrière train
!
T'en penses quoi, toi Ziva ? »
Le môme aime bien Maurice et ne veut pas être désagréable, néanmoins il hoche la tête en se ralliant à l'avis de René…
Que j't'explique : hier, en début d'après-midi, le Respectable frangin s'est pointé chez Rosso et a fait poser sur la splendide V6 un ensemble de bagagerie, certes assorti à la couleur de la machine, mais pas vraiment en rapport avec la superbe ligne taillée à la serpe de la sport GT !
Pour te donner une idée, imagine une ZX12R avec un top case, et t'auras une petite idée du résultat obtenu…
Maurice, il fait dans le pratique et, comme il est peu réceptif à l'aspect esthétique de sa machine (n'oublions pas son ex-Viragro…), faut reconnaître que de côté-là, il pas tout à fait tort quand on voit le temps passé à charger la bécane avant un périple…, ceci dit pour prendre un peu sa défense car je l'aime bien le frère de l'autre !
René lui, a décidé de voyager léger en se contentant d'un tout petit sac avec juste l'indispensable pour pas se retrouver à poil, au moins sans charmante compagnie…
Par chance, le ciel est bleu azur avec les zoiseaux qui piaillent dans le ciel et défèquent joyeusement sur la brèle astiquée du môme que ce dernier a la malencontreuse idée de garer juste sous le fil d'une installation EDF, séance chiffon en maugréant et franche rigolade des frangins !
Aller, en route ! C'est l'Ancien qui ouvre la marche, suivi par Maurice, lui-même avec Ziva dans sa roue, en respectant les limitations de vitesse sur ordre du Respectable, lequel a décidé de la jouer façon cool en prenant le temps d'admirer le paysage. Il a d'ailleurs tracé l'itinéraire lui-même en évitant autant que possible le réseau principal.
Bon, si je te dis que ça n'a pas duré deux cents bornes, je t'étonne ?
Une fois n'est pas coutume, c'est Ziva, trouvant l'allure un peu sénatoriale, qu'a commencé en plaçant un superbe intérieur à Maurice dans un petit gauche assez vicelard ; le Vieux, furax, a tenté de répliquer mais cette foutue bagagerie à quelque peu modifié le centre de gravité de la moto et cette dernière se la joue façon bourrée auvergnate à chaque remise des gaz un peu optimiste dès qu'il relève sa machine.
Tu sais qu'il roule propre le gamin ? ben je te le dis : pas une sortie de piste, le buste penché en avant et la jambe sortie dans le pur style supermot'… . Et c'est efficace en plus !
C'est ça la magie du trail : une machine tellement facile et intuitive qu'elle finit par te persuader que tu es bon… . Si, je t'assure, essaye et même toi tu sera capable de faire illusion !
René, lequel observe sans participer car il navigue maintenant dans une autre dimension, décide alors de calmer les ardeurs avant que ça se termine au tas, car la V6 du frangin commence à mordre de façon assez peu catholique les bas-côtés au fur et à mesure que les esprits s'échauffent…
La première pause ravitaillement est l'occasion d'une explication entre les deux générations.
C'est Maurice qui commence : « Ziva, t'as bouffé du lion ou quoi ? Tu t'es pas vautré et t'as presque roulé aussi bien que moi ! »
« Presque ?, j'te signale qu'avec ta Gold Wing améliorée, quand j't'ai doublé – très proprement d'ailleurs – t'as jamais réussi à m'repasser… »
« Ben j'ai pas voulu augmenter la cadence pour pas te mettre en difficulté, car t'es encore tendre pour improviser sur ce type de route… »
« Ouais, j'suis p'têt tendre, mais toi t'es tout sec. La preuve, quand moi j'me fond en soignant ma trajectoire avec souplesse dans la courbe, tu t'mets à louvoyer sur toute la largeur par excès de rigidité d'tes articulations et aussi certainement par le fait de réflexes commençant à accuser un certain nombre de bornes ! »
« Tu l'entends c'gamin, mon René ? J'avais déjà dépassé le million de kilomètres en bécane alors qu'il était encore dans les balloches à son père, et v'la ti pas que comme il vient tout juste de comprendre qu'une moto possède une poignée de gaz et des freins, y veut m'donner des leçons…, à moi… ! »
René les observe en se marrant, puis déclare :
« Bon, j'vous ai laissé vous amuser un poil, les rigolos,
mais va falloir vous calmer si vous voulez arriver intacts pour en profiter
sur place. Si c'est pas l'cas, c'est moi qui vais vous
r'mettre en ligne !
Ceci dit, chapeau Ziva, j't'ai observé dans mes rétros
et tu roules proprement maintenant !
Comme quoi, fallait simplement que tu prennes conscience de tes affinités
en terme de pilotage, et c'est vrai que le trail te va bien. Bon
d'accord, c'est qu'Maurice que t'as doublé,
lequel avec ses valoches est aussi ridicule en roulant que sa moto à
l'arrêt, mais c'est un début et va falloir que
tu peaufines ça en portant ton regard plus loin dès qu'tu
plonges à la corde, sinon c'est bonnard ! »
Maurice fait la tronche :
« René ! t'es vache avec moi, mais r'connais qu'au moins j'ai pu emporter plus de matos que toi sans m'emm…der avec un sac ? »
« T'avais pas b'soin d'prendre dix pulls, deux
paires de bottes, ta collection complète des œuvres d'Alexandre
Dumas, sans compter tes CD de Tino Rossi… !
On part pour se détendre en visitant une choucarde région,
et toi tu déménages la maison !!! »
« On sait jamais, se défend le Respectable, si y s'met à flotter comme pache qui visse, c'est toi qu'aura l'air fin à tourner en rond dans ta piaule en nous faisant partager ta mauvaise humeur, tandis qu'moi, j's'rai confortablement installé sur mon plumard, un bouquin à la main en écoutant ma musique préférée… »
Ziva s'en mêle :
« Z'avez bientôt fini les Anciens ? J'dis ça car les moulins vont commencer à r'froidir et on a encore pas mal de route devant nous… »
Les deux Respectables sont stoppés net par la réflexion du môme. Ils se regardent quelques instants en se défiant les yeux dans les yeux, puis esquissent un soupçon de sourire, virant rapidement à un rire contagieux qui gagne Ziva. Les trois se tapent dans les mains et dans le dos, puis grimpent sur leur monture respective pour reprendre la route.
Commentaires