Essai moto Ducati 350 SCD
Du circuit à la route pour la sportive italienne
Monocylindre 4-temps, 340 cm3, 42 ch, 210 km/h, 112 kg à sec
En 1954, l'arrivée de Fabio Taglioni révolutionne la manière de Ducati de concevoir des motos, d'abord en introduisant sa célèbre distribution Desmodromique, puis en poussant la marque à la compétition pour développer la base des motos de série. En 1967, la 350 SCD marque un tournant supplémentaire puisque c'est elle qui permettra le passage du Desmo du circuit à la route. Essai d'une moto véritablement historique.
Découverte
Plus que tout autre constructeur, Ducati s'est traditionnellement tourné vers la course afin de développer sa gamme de motos de route et prouver sa valeur. Une politique qui s'illustre par les succès en série durant trois décennies des Superbike de Bologne à V-Twins. Mais tout a commencé il y a plus d'un demi-siècle. Car lorsque les toutes premières motos de route desmodromiques de la société italienne ont été lancées en 1968, la gamme de monocylindres deux soupapes à arbre à came en tête de 250, 350 et 450 cm3 s'est avérée être la descendance directe des motos de courses factory. Et pour cause, Ducati les avait engagées dans les épreuves internationales italiennes et espagnoles au cours des deux saisons précédentes entre les mains de Roberto Gallina, Gilberto Parlotti et Bruno Spaggiari, pilier de l'équipe usine depuis plus d'une décennie.
C'est Roberto Gallina, qui sera encore plus connu par la suite en devenant le manager de l'équipe Suzuki championne du monde en 500 GP. C'est lui qui a assuré les débuts du prototype 350 en course à Modène en mars 1967. Il y a terminé avec une superbe seconde place dans la course 350, immédiatement suivi par la septième position dans la course 500 sur la même moto sous-dimensionnée. La machine était alors largement basée sur la 350 Sebring de route, reprenant jusqu'aux carters moulés sous pression et l'embrayage de cette dernière. Mais elle été équipée d'une culasse Desmo à simple came similaire à celle utilisée sur un prototype de 250 cm3 qui n'avait fait qu'une seule apparition l'année précédente entre les mains du pilote devenu ingénieur de développement Franco Farnè. Utilisant les mêmes dimensions de cylindre de 76 x 75 mm que la Sebring de 340 cm3, le prototype 350 produisait 41 chevaux au régime impressionnant pour l'époque de 10.500 tr/min.
Gallina et Parlotti ont continué de piloté la paire de motos que le Reparto Sperimentale de Ducati avait construites avec des résultats toujours encourageants dans les courses italiennes cette année-là. La meilleure performance surviendra à San Remo en fin de saison lorsque Gallina mena la course 500 devant la MV Agusta trois cylindres et la Benelli quatre cylindres avant de chuter de manière spectaculaire en emportant avec lui six pilotes du groupe de tête après que son réservoir ait éclaté et inondé la piste. Je suis certain qu'il était populaire !
Pour la saison 1968, les deux prototypes de 350 cm3 ont été reconstruits et une troisième machine a été faite pour Spaggiari. Tous les modèles sont désormais équipés de carters moulés au sable et d'un embrayage à sec, ainsi que d'arbres à cames révisés offrant une plus grande répartition de la puissance malgré un énorme carburateur Dell'Orto de 42 mm remplaçant celui de 38 mm précédemment utilisé, d'une boîte de vitesses à rapports rapprochés avec des engrenages primaires à coupe droite et des engrenages coniques à coupe droite sur l'arbre vertical entraînant le seul arbre à cames en tête dont les deux cames d'ouverture se situent au centre et les deux cames de fermetures sur l'extérieur. De très légers ressorts de torsion sont ensuite installés pour faciliter le démarrage.
Cette disposition, devenue familière pour les générations de ducastiti qui ont suivies grâce à son utilisation sur de nombreuses motos de routes comme les Monster, était à l'époque dérivé des culasses desmodromique de l'ingénieur Fabio Taglioni qui utilisaient toutes un format à triple arbre à cames. En plaçant toutes les cames sur le même arbre, Taglioni en réduit le poids, les frottements, l'encombrement, les complications et les dépenses. Une étape que l'ingénieur avait voulu faire depuis longtemps :
J'avais conçu une telle culasse plus de dix ans auparavant, mais la technologie d'usinage n'était disponible qu'au milieu des années 1960 pour rendre une telle conception réalisable au niveau commercial. Etant donné que chez Ducati nous ne sommes allés en compétition que pour développer de nouveaux modèles de route, j'ai dû attendre le développement des techniques de production d'arbres à cames avant de pouvoir produire un modèle de course pour tester la faisabilité de mes idées sur la piste.
La saison 1968 confirme la promesse du monocylindre desmo. Spaggiari termine alors troisième de la course 350 à Alicante en janvier sur sa nouvelle moto derrière la Yamaha 250 V4 prétendument surchargée de Phil Read et la MV triple de Giacomo Agostini.
Le décor était planté pour un résultat qui deviendrait familier lorsque le Continental Circus prendrait la route de l'Italie et lors des courses Temporada di Primavera qui se déroulaient dans les rues des stations balnéaires de la côte Adriatique, avec une version 450 rejoignant la 350 dans un premier temps. Sur 350, Spaggiari a ainsi terminé troisième à Rimini, Cesenatico et Imola, deuxième à Riccione et Vallelunga et à chaque fois premier monocylindre derrière les MV et Benelli d'usine.
Désormais, la gamme de motos de route de Ducati était lancée, basée directement sur les sportives factory avec des livraisons commençant à la fin de l'année 1968. Les mono Desmo furent vendus aux distributeurs Ducati à l'étranger et l'un deux est arrivé en Afrique du Sud où Johann Boshoff a remporté plusieurs titre successifs en 350 face aux Yamaha deux-temps. En fin de compte, le rythme de développement du deux-temps rattrapera la Ducati, qui se retira alors des courses en 1977 pour être achetée par un collectionneur de Johannesburg.
Sept ans plus tard, je l'ai retrouvé et lui ai acheté sa machine pour la restaurer pour les courses classic au Royaume-Uni.
Steve Wynne, créateur de la Ducati 900 de Mike Hailwood, a reconstruit le moteur portant le numéro SCD24 (Servizio Corse Ducati). Il est globalement en bon état et d'origine, bien qu'une soupape soit évidemment tombée à l'intérieur de la culasse. Wynne a nettoyé les ports et usiné de nouvelles soupapes en modifiant certaines provenant de sa TT2 600 sur base de Pantah. Le calage des soupapes sur l'arbre à cames d'usine s'est avéré très inhabituel pour un monocylindre Ducati, mais très similaire à celui du V-Twin 750 TT1 ultérieur en termes de calage et de levage. L'allumage fonctionnant avec une avance de 34° a hérité de deux bobines et d'une seconde bougie d'allumage de 10 mm à droite du cylindre. Ce double allumage, utilisé pour la première fois sur un mono desmodromique, est ensuite devenu une des modifications favorites des Ducati privées.
Mais avant de faire rouler la moto, nous avions besoin de plus d'infos : combien de tours utiliser, quel calage d'allumage, etc. Avec de rares machines d'usine comme celle-ci, il n'y a jamais de manuel du propriétaire, même si la Ducati ressemblait étroitement aux version de route qu'elle a ensuite engendrées.
Heureusement, lors de ma visite suivante à l'usine bolognaise, Franco Farnè s'est avéré avoir une excellente mémoire, même si toutes ses notes, les données et dessins des monocylindres ont été détruits dans le désastreux incendie de l'usine de 1969.
Nous n'avons construit qu'une demi-douzaine de sportives monocylindre factory en tout. Ensuite, nous avons permuté les moteurs dans les différents cadres : une semaine, un châssis serait piloté avec un moteur 250, la semaine suivante avec le 350 et un pilote différent et ainsi de suite. Vous ne pouvez donc pas vraiment dire qu'une moto appartenait à Spaggiari et une autre à Gallina. C'était simplement toutes les motos de course d'usine Meccanica Ducati. Nous avons vraiment utilisé différentes combinaisons à chaque fois que nous courions. Par exemple, votre moteur est le SCD24, qui est un des derniers que nous ayons construit, mais le châssis semble être une version de 1967 que nous avons renforcé plus tard sur le pivot du bras oscillant et le tube supérieur du cadre par la tête de direction. Chaque moto avec laquelle nous sommes allés sur la grille de départ à l'époque était toujours un mélange de pièces. Certes, le moteur devait être conforme aux dernières spécifications, avec un carburateur Dell'Orto de 42 mm il délivrait une puissance de pointe de 46 ch à 9.500 tr/min, certainement pas à 10.000 tr et plus comme sur les moteurs précédents. Ceux-ci avaient une durée de vie très courte du vilebrequin et des problèmes persistants de culbuteurs cassés en raison des hauts régimes. Nous avons utilisé de très nombreux modèles d'arbres à cames au cours de cette période. Donc je ne peux pas dire ce que vous avez sans le voir, mais si vous ne roulez pas au-delà des 9.500 tr/min, vous devriez avoir une machine rapide et fiable.
C'est comme ça que ça s'est passé. J'ai ensuite connu de nombreux succès avec le desmo, notamment en remportant le GP historique italien de 350 cm3 sur le circuit complet de Monza en 1988, 20 ans après la naissance de cette moto. Plus tard, le même jour, j'ai terminé deuxième de la course 500 derrière un twin Linto, mais devant tous les monocylindres britanniques. Ce faisant j'ai remporté de manière assez embarrassante une énorme coupe Il Trofeo Big Single que j'utilise aujourd'hui comme seau pour refroidir le vin ! Il y a avait eu des spéculations avant la course quant à savoir si la Norton Manx ou la Seeley G50 gagnerait, mais le fait que ce soit un petit mono, un italien en plus, n'était pas à l'ordre du jour.
Ensuite, nous avons calculé qu'avec ces rapports, la Ducati pouvait atteindre 210 km/h contrairement aux 214 km/h revendiqués dans les années 1960. Les 4 km/h "manquants" étant peut-être dus à ma, euh, stature moins aérodynamique que Signor Spaggiari, mais aussi à la traînée supplémentaire des pneus modernes. Mais malgré tout, ça fait tout de même un beau rythme pour un monocylindre 4-temps de 350 cm3.
J'ai finalement vendu ma Ducati à un ami espagnol pour une très bonne raison : récolter de l'argent pour en acheter une autre, très différente, qui allait prendre la forme de ma première Ducati Supermono avec laquelle j'ai eu d'autres victoires dans les années 1990.
En selle
Bien plus tard, j'ai pu m'offrir un voyage dans le passé, grâce à mon vieil ami et adversaire Ian Griffiths, qui venait de reconstruire sa propre Ducati 350 qu'il m'a proposé de piloter un après-midi ensoleillé d'été à Mallory Park. Monter sur cette selle bien rembourrée était comme enfiler une vieille paire de baskets. Tout me semblait juste et je pouvais même bien me cacher derrière la grande bulle dans les courtes lignes droites de Mallory.
A première vue, la moto de Ian était un peu différente des dizaines de monos Ducati qui ont fait campagne depuis le début des années 70 en course classique. Ce n'est pas surprenant, étant donné que la plupart d'entre eux arborent divers accessoires Vic Camp comme le carénage ou la selle provenant de moules réalisés sur les pièces d'origine de cette moto lors de son arrivée au Royaume-Uni en provenance de l'usine !
Une fois le carénage retiré, la proximité du modèle routier avec la sportive de compétition devient évidente/ Seul l'embrayage à sec trahit son héritage. L'avant est similaire à celui des modèles du milieu des années 60 que Taglioni a pris comme point de départ. Même le cadre est un modèle de série modifié, avec les pattes pour accrocher une béquille centrale, mais avec des renforts sous le long et mince réservoir en fibre de verre et un bras oscillant beaucoup plus long que la normale. L'empattement de 1.385 mm est 60 mm plus long que sur la moto de route équivalente, ce qui porte ainsi plus de poids sur le maigre pneu avant Dunlop KR825 pour une adhérence accrue tout en maximisant la vitesse de passage en courbe, ce qui est la bonne manière de piloter un tel mono.
Essai
Le ressenti général de la Ducati lorsque l'on s'assit dessus pour la première fois est similaire à celui d'une Aermacchi et à 112 kg c'est à peu près le même poids. Pas étonnant que les Seeley 7R 350 plus lourdes n'aient pas pu suivre les monos italiens dans ces courses sur route de l'Adriatique puisqu'elles rendaient 10 kg et 5 chevaux aux 42 ch à 10.250 tr/min à la moto que Ian sort aujourd'hui. Mais une fois en mouvement, le moteur desmo ressemble beaucoup moins à sa rivale Aermacchi, puisque le moteur avec son cylindre légèrement incliné de 15° vers l'avant semble beaucoup plus bruyant. Tous ces engrenages au lieu d'humbles poussoirs contribuent à un niveau de bruit mécanique assez élevé. Il y a aussi plus de vibrations, qui sont bien transmises au pilote via le guidon et les repose-pieds, mais pas trop pour être énervant, du moins pour de courtes courses.
Bien que le moteur tourne en toute sécurité au-delà de 10.000 tr/min, il ne semble pas y avoir de puissance supplémentaire disponible. Ce n'est utile que si l'on prend l'aspiration de rivaux plus rapides (comme les 500) sur une piste rapide comme Monza ou Assen, ou pour économiser quelques changements de vitesses entre deux virages, comme à la sortie du virage en épingle de Mallory jusqu'au Bus Stop, ce qui confirme le conseil de Franco Farnè à limiter le régime à 9.500 tr/min. Il n'y a pas beaucoup de puissance sous les 5.500 tours, ce qui rend non seulement le choix de la transmission finale critique à chaque circuit, mais une fois que vous l'avez compris, le moteur tracte sans relâche. La boîte 5 vitesses à des rapports parfaitement calibrés qui permettent de garder le moteur dans la bonne plage en tapant du pied droit sur le sélecteur (en configuration course) lorsque l'aiguille du compteur Veglia atteint les 9.500 tr/min. Il faut ignorer la ligne rouge figurant 1.000 tours plus bas et on se retrouve toujours dans le haut de la courbe de puissance, alors que l'échappement mégaphone que Ian avait installé pour notre essai chante sa merveilleuse sonorité aiguë mais chaleureuse. Cette moto ne pouvait être qu'Italienne...
La conduite est agile, mais inspire la confiance. La direction rapide n'est pas aussi nerveuse qu'une Aermacchi, même sur l'assortiment de pneus étroits pour lesquels Ian avait opté avec un Avon AM22 arrière correspondant au Dunlop de l'avant. Il avait également très bien réglé la fourche Marzocchi, sans aucune trace de dribble sur les bosses prises plein angle dans la courbe rapide Gerard prise en 4e et où la Ducati a juste haussé les épaules en maintenant un bon élan pour la sortie du virage.
Le petit frein à tambour avant Oldani de 210 mm à double came fonctionne bien au départ, mais tout comme celui de ma moto le faisait, il commence à s'estomper un peu lors d'une utilisation répétée, notamment sur les freinages des trois virages lents de Mallory tous les 2km10. Le frein arrière Oldani de 200 mm à simple came légèrement inefficace est installé, avec un moyeu usiné par Ian après que le moulage d'origine en magnésium ait développé des fissures qui ne pouvaient pas être soudées. Pourtant, le frein moteur est meilleur que celui dont je me souvenais. Il y en a assez pour me faire reprendre le levier alors que la roue arrière claque quelques fois dans la chicane Edwina en revenant sur le deuxième rapport. Sur ma propre Desmo, le frein moteur était tellement réduit qu'il était presque inexistant et il semblait que les volants étaient très petits. C'est probablement la raison pour laquelle il était difficile de démarrer lors des départs à la poussette, mais aussi pourquoi je n'avais pas autant de couple à bas régime que la moto de Ian. N'oublions pas que, comme l'a confirmé Franco Farnè, ces motos étaient toutes des bancs d'essais roulants, testant différentes idées que Taglioni inventait et souhaitait expérimenter sur les sportives pour une utilisation possible dans ses futures versions de route. Le fait que nos deux motos aient manifestement des caractéristiques moteur différentes n'est donc pas surprenant.
Conclusion
La politique de Ducati consistant à utiliser les circuits de course pour améliorer la race desmodromique et à produire systématiquement les motos de sport italiennes les plus fines et les plus intransigeantes a commencé ici, avec cette moto. Grâce à Ian Griffiths, le résultat peut encore être vu en action aujourd'hui, une véritable course de pur-sang historique contre des répliques moins authentiques. L'histoire sur roues...
Points forts
- Agile et maniable
- Moteur
- Frein moteur
- Position de conduite
Points faibles
- Bas régimes
- Tambours faiblards
Commentaires
J'en ai eu une dans les années 90 de 350 Desmo (pas SCD évidemment...), un régal de petit cheval galopant de virage en virage, bonne volonté et bonne humeur inaltérables.
28-08-2020 10:00Je rabâche toujours les mêmes conneries, mais quand je pense que 10 ans après la naissance de ces pétillants petits mono italiens, quand est sortie la 500 XT (29 cv pour 500 cm3, démarrage problématique, fiabilité minable), la presse moto nous a abreuvé de "Yamaha réinvente le gros mono"... j'en rit encore (jaune !)
Très sympa cet essai ! C'est vrai que quand on voit le poids tout compris, ça fait rêver .
02-09-2020 16:10la carpe> les mono Ducati (350 et surtout 450) étaient loin d'être exempts de tout problème de fiabilité .
@ fift et la carpe.
02-09-2020 16:30En effet, j'en ai fait l'amère expérience avec des roulements de vilebrequin flingués à même pas 20 000 km sur une 250, sans compter les problèmes électroniques, de carbu, etc...
Heureusement la mécanique était facilement accessible.
Par contre un vrai vélo et quelle patate!
Electriques, plutôt non ? 02-09-2020 16:40