Essai Messerschmitt KR 200
Monocylindre, 2-Temps, 191 cm3, 9,7 chevaux à 5000 tr/mn, 230 kilos, plus de 30 000 € !
Le plus emblématique des microcars à l'essai sur le Repaire, pour Noël !
Ach, la guerre, groβe malheur ! Et ce, pour plein de raisons : déjà, tuer des gens, c'est mal (si, si). Ensuite, les vainqueurs prennent quand même cher et les perdants paient tout aussi cher leur capitulation. Foin de considérations géopolitiques : toujours est-il que en 1945, d'un côté, l'Europe des vainqueurs doit se reconstruire tandis que l'industrie allemande est sous haute surveillance.
Dans les années 50, les différents gouvernements se retrouvent autour d'une stratégie commune : faire accéder la plus grande partie de la population à la mobilité individuelle. C'est ainsi que des priorités émergent quant à l'usage de l'acier et des usines. Renault lance la 4 CV (1946), Citroën réplique par sa 2 CV (1948), suivies par la Dauphine (1956) puis la 4L (1961), tandis que d de l'autre côté du Rhin, Volkswagen a sa fameuse Coccinelle (présentée en 1938, mais réellement produite en grande série à partir de 1948). Avant cela, c'est simple : c'est la moto, éventuellement associée à un side-car voire à une simple remorque, qui faisait office de véhicule familial des classes populaires.
Malgré la volonté politique, la marche entre la moto et la voiture était un peu haute à franchir pour certains : il y avait donc de la place pour un engin intermédiaire. C'est là qu'apparurent les microcars, qui ont profité des avantages liés à leur petite cylindrée (moins de taxes, des tarifs d'assurance réduits et des coûts d'utilisation plus bas) pour contribuer à la mobilité et qui ont connu dans les années 50 une bonne décennie de croissance avant que la démocratisation des automobiles ne devienne massive et ne les fasse disparaître, la faute revenant à des autos pas beaucoup plus grandes, pas beaucoup plus chères mais nettement plus efficaces, telles la Fiat 500 (1957) ou la Mini (1959). L'histoire se répète, si l'on se souvient des Cyclecars des années 20, mus généralement par des moteurs de moto et ne devant pas dépasser 350 kilos pour être exemptés de taxes.
La définition des microcars est sujette à diverses interprétations, mais la cylindrée ne doit pas excéder 500 (ou 700) cm3. L'Allemagne et le Royaume-Uni (avec la Peel ou la Reliant Robin) ont été de gros producteurs de microcars, mais la France aussi, même si la plupart des marques sont aujourd'hui oubliées. Dans cet univers, nul doute que notre Messerchmitt est l'engin le plus emblématique de cette période !
Découverte
Avec son cockpit et son habitacle en forme de fuselage, on dirait que le Messerschmitt KR est une sorte d'avion sans ailes. Rien d'étonnant à cela, car l'engin vient bien de chez Messerchmitt, entreprise connue pour avoir donné du fil à retordre aux Spitfire anglais dans les cieux normands. Après la guerre, Messerschmitt n'a bien évidemment plus le droit de construire du matériel militaire : planchant sur les façons de faire tourner la boutique, Fritz Fend, ingénieur maison, développe cet engin qu'il appelle KR, pour "Kabinen Roller", soit en gros "scooter carrossé". Il sera produit en différentes versions de 1954 à 1964. Fritz Fend n'en est pas à son coup d'essai : en 1947, il avait déjà conçu un engin qui se déplaçait grâce à des leviers à bras, ceci afin de permettre aux soldats blessés aux jambes de pouvoir se déplacer deux fois plus vite qu'un vélo. En 1948, Fend franchit un cap en y installant un petit moteur de 38 cm3, qui développe 1 cheval et permet à l'engin de se propulser à 40 km/h. Le mouvement était lancé.
Le KR 200 étonne par ses lignes et ses dimensions : aussi large (1,22 m) que haut (1,20 m), il impressionne aussi par son absence de porte à faux (longueur de 2,82 m pour un empattement de 2,02 m). La carrosserie est constituée d'une caisse monocoque en acier et la bulle est réalisée en plexiglas ; la légende dit que l'engin recyclait des pièces du Me 109, le chasseur allemand le plus construit avec plus de 30 000 unités. Le KR 200 reste extrêmement léger : 230 kilos, c'est remarquable. Willy Messerschmitt avait en effet une devise : "tout ce qui ne casse pas est surdimensionné". Il calculait donc au juste niveau la résistance des matériaux utilisés.
En selle
La grande bulle s'articule et on prend place assez facilement (faut un minimum de souplesse quand même, ne serait-ce que pour ne pas appuyer comme un bourrin sur les panneaux de carrosserie au risque de les déformer) sur un siège. A l'arrière, une place et demi est proposée, avec un petit strapontin. Devant soi, le guidon incurvé vers le bas fait office de curiosité et on ne peut pas dire que l'on est perturbé par la richesse du tableau de bord. Un compteur, une horloge, une jauge à essence et quelques voyants, le tour est joué. L'essuie-glace unique s'actionne grâce à une commande placée directement sur le moteur, à la base du pare-brise.
Moteur et transmission
D'abord né avec un moteur 2-temps de scooter Sachs de 175 cm3 (développant 9 chevaux), le KR passe rapidement à 200 (en fait, 191 cm3, 65 x 58 mm) et développe 9,7 chevaux. Il est associé à une boîte de vitesse à 4 rapports commandée par un petit levier placé à droite et dont la grille reprend la logique de celle des boîtes de motos. L'embrayage est au plancher, on tire vers soi pour monter les rapports et on pousse pour rétrograder. La transmission finale se fait par chaîne lubrifiée et sous carter étanche. Le feeling général de la transmission est assez "sec" et l'on sent bien les secousses à travers la carrosserie lors des changements de rapports.
Parmi les nombreuses particularités de ce moteur, on note les deux sens de rotation de l'embiellage : en gros, on peut aussi avoir quatre vitesses en marche arrière. Et d'ailleurs, cela rend les manœuvres un peu longues, car il faut éteindre le moteur, actionner le système de sens puis le redémarrer et bénéficier de la boîte de vitesse qui fonctionne dans l'autre sens. Autant descendre et pousser le KR à la main pour le stationner...
En ville
Là, il y a du pour et du contre : si vous voulez faire sensation, ne prenez pas un crédit pour vous payer une Lamborghini Aventador S, car c'est sûr que vous attirerez encore plus les regards avec ce KR 200. Et vous pourrez profiter de votre cote de popularité, car la verrière procure, comme le dit le philosophe immobilier Stéphane Plaza, la "triple exposition".
Par ailleurs, le petit monocylindre Sachs est plutôt pêchu : malgré la cylindrée réduite, les accélérations ne sont pas lymphatiques. Le 400 mètres départ arrêté est couvert en 27 secondes (à comparer aux 9 secondes que met une 1000 sportive moderne), mais si l'on met cela en perspective avec une auto de l'époque, genre Renault Dauphine, qui mettait quasiment 30 secondes pour atteindre les 100 km/h, cela permet rétrospectivement au KR 200 de tenir son rang.
Par contre, l'engin braque très mal et les manœuvres sont pénibles à cause de la logique de fonctionnement de la marche arrière.
Sur autoroutes et grandes routes
Certes, Messerschmitt a battu en son temps des records du monde de vitesse dans sa cylindrée (catégorie moins de 250 cm3) en couvrant, les 29 et 30 août 1955 sur le circuit d'Hockenheim, 24 heures à 103 km./h de moyenne. Cela ne suffit pas pour en faire une grande routière, mais l'engin est donné pour une vitesse de pointe qui frôle les 100 km/h.
Disons que le moteur, bien que limité, est assez volontaire et permet de tenir un bon 80 km/h de croisière. De fait, on privilégiera le réseau secondaire où, dans les côtes, on repassera la troisième pour grimper à 70 km/h.
Sur départementales
C'est bien évidemment là qu'on l'apprécie le plus. Et ce d'autant que, contre toute attente, le KR 200 tient très bien la route ! Il prend peu de roulis et sa direction est très précise : il suffit d'une petite impulsion sur le guidon pour que l'engin se cale sur ses petites roues de 8 pouces et prenne les virages quasiment comme un karting. Ça, c'est une vraie source de plaisir au guidon.
Dans un KR 200, on revit un peu "Retour vers le futur". Le voyage tout court se transforme en voyage dans le temps, la moindre "Mini by BMW" prend des allures de 38 tonnes, plus rien n'a d'importance à part l'intensité du moment présent et le bonheur que l'on donne aux gens, tellement ce KR 200 a une capacité à émerveiller les enfants et nouer des contacts avec les plus grands.
Partie-cycle et freins
Trois freins à tambour commandés par câbles. Évidemment, pas d'ABS ni de répartiteur. Mais encore une fois, le freinage est très correct, suffisamment puissant et facile à doser. A 50 km/h, il est capable de s'arrêter en une dizaine de mètres, tandis que les voitures de l'époque en demandaient souvent deux fois plus.
A noter que sur la base de cette coque en acier, Messershmitt a réalisé plusieurs carrosseries en plus de notre coupé à bulle panoramique, il y a eu des cabriolets, roadsters et même un étonnant speedster à pare-brise raccourci. De même, sur la fin de sa carrière, le KR 200 a évolué en Tiger 500, avec un plus gros moteur et l'adjonction d'une quatrième roue. Une fausse bonne idée, puisque l'engin était plus cher qu'une VW Coccinelle ou qu'une NSU Prinz. Moins de 500 exemplaires ont été construits.
Confort et duo
Si les prospectus de l'époque vantaient la qualité des suspensions, il faut regarder cet argument avec l'indulgence de l'Histoire. Par contre, les sièges sont plus que corrects et la verrière est étanche sous la pluie, ce qui n'est pas rien. Certes, il y fait chaud sous le soleil, mais les panneaux vitrés s'entre-baillent et laissent passer un peu d'air. Toujours est-il que pour la famille qui venait de la moto, le KR 200 offre un confort incomparable !
Consommation & autonomie
Le réservoir contient 14 litres et la consommation va de 4 l/100 en mode balade à 6 l/100 en usage plus pressé ou lourdement chargé. Dans tous les cas, l'autonomie va de 200 à 300 kilomètres, ce qui est très raisonnable. On n'oubliera pas l'huile 2-temps, bien entendu, histoire d'être suivi par un petit fumet délicieusement odorant tout en se passant de vignette Crit'Air, statut collection oblige.
Le KR 200 aujourd'hui
L'engin n'est pas rare car il a été produit à plus de 40 000 exemplaires. La bonne nouvelle, c'est qu'il n'est pas capricieux, que la qualité de sa construction lui permet de bien résister aux affres du temps et que la fiabilité d'ensemble fait partie de ses qualités. Le moteur 2-temps nécessite une réfection de la segmentation tous les 30 à 40 000 kilomètres et l'accessibilité mécanique est plutôt bonne, une fois que l'on a retiré les panneaux arrières. L'électricité en 12 V n'est pas capricieuse, si pas bidouillée.
Venons maintenant aux mauvaises nouvelles : si l'on trouve des pièces pour refaire le moteur, reconstruire un intérieur d'origine ou refaire une verrière sera nettement plus compliqué, car les pièces spécifiques n'existent plus. Et l'aura de l'engin lui permet de tenir une solide cote, de l'ordre de 30 000 euros, tandis que les transactions restent assez rares.
En 1956, un KR 200 était vendu 375 000 francs ; en sortant l'amusante calculette de l'INSEE, cela correspondrait à environ 8000 € aujourd'hui.
Conclusion
Il n'avait pas besoin, ce KR 200, de figurer dans les films Brazil de Terry Gilliam (1985) ou La Famille Adams de Barry Sonnenfeld (1991) pour entrer dans l'Histoire de la mobilité. Si ses lignes en font l'engin idéal d'un film de science-fiction des années 50, la qualité de sa construction et sa grande fiabilité ont démontré qu'il n'avait pas que de la gueule. Cet engin est un véritable bras d'honneur à la grisaille et à l'uniformité.
Aujourd'hui, difficile de ne pas tomber sous son charme, de se dire que l'on prendrait bien le luxe de faire un pied de nez au temps qui passe et de savourer cet art de vivre du rouler autrement. Et dans le cas d'une hypothétique prochaine limitation des routes à 80 km/h, le KR 200 redeviendrait plus moderne que jamais !
Points forts
- Morceau d'histoire
- Ligne craquante
- Fiabilité générale
- Polyvalence
- Entretien facile
- Bonne tenue de route
Points faibles
- Cote de plus en plus élevée
- Il fait un peu chaud l'été, sous la verrière...
- 0 étoile Euro-NCAP !
- Sent bon l'huile 2-temps
La fiche technique du Messerschmitt KR 200
Conditions d’essais
- Itinéraire : une demi-journée de balade en Normandie
- Kilométrage de la moto : 50.000 km
- Problème rencontré : a rajouter d’urgence dans la liste du père Noël, mais avec la crise j’ai peur qu’il me la refuse.
Commentaires
C'est un trois-roues ! On avoue on se fait plaisir en testant des trucs improbables
22-12-2017 16:14Cela doit être effectivement amusant à conduire !
22-12-2017 16:20Il y a quelques tricycles à moteur actuels qui s'en approchent...
Une tranche d'histoire sur roues, c'est toujours un plaisir.
22-12-2017 18:05Et rouler un Messerschmitt, c'est pas commun. Celle là est plus sympathique que les trucs de tonton adolphe. Même si j'aime beaucoup ces avions.
Cool !
Hum je sais pas comment insérer une photo mais :
23-12-2017 10:11[imgix.ranker.com]
C’est David au volant sur les photos
24-12-2017 22:03Je sais que j'ai pris un coup de vieux (quasi 20 ans de Repaire déjà) mais pas à ce point là quand même !
25-12-2017 01:14j'en ai vu un à Moto Légende il y a deux ou trois ans. Il a une gueule d'enfer et est vintage a souhait. Merci pour cet essai bien argumenté.
16-01-2018 19:06Vu la remise en état d'un exemplaire dans l'émission "wheeler dealers" sur RMC Découverte : ça avait l'air pas si bancal que ça, et bien évidemment, une restauration correcte avec une peinture neuve et bien choisie fait de cette machine "improbable" un must des engins de collection.
18-01-2018 18:12Le tournage a été effectué avec une résolution correcte de 240p de Canon ELF powershot pour la période considérée. Malgré le mauvais état des voitures, nous avons tous roulé à tour de rôle, toute la journée, tellement amusant!
11-12-2018 10:38