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Trois motardes pour moi tout seul

Trois motardes : imagine l'aubaine !

Je les observe du coin de l'oeil. Délicieusement, mon coeur a fait pop !

Trois motardes : imagine l'aubaine ! Je les observe du coin de l'oeil, dans ce salon qui se remplit peu à peu. Délicieusement, mon coeur a fait pop !

Trois motardes pour moi tout seul (c) photo : ELEVATE
Trois motardes pour moi tout seul (c) photo : ELEVATE

J'ai la chance d'assister régulièrement à des concerts privés, organisés par un couple de copains dans leur propre maison. Ils invitent des musiciens de renommée moyenne, de ceux qui font vivre les petites salles de spectacle : talentueux, mais méconnus. L'ambiance est familiale et surtout, pendant la représentation, le silence est religieux. J'apprécie.

J'arrive tôt à ces soirées ; je vais m'installer dans mon coin, à gauche de la scène, près du piano. En société, je suis très inadapté : quand il y a plus de huit personnes dans la pièce, mon cerveau sature à suivre toutes les conversations à la fois. Alors je me contente d'observer. J'aime bien regarder discuter les gens, plongé dans le brouhaha des voix d'où émergent des mots, des bribes de phrases.

Impossible de rater leur arrivée, avec leurs blousons et leurs casques. Ce ne sont pas des habituées : je les aurais remarquées si elles étaient déjà venues. Elles s'arrêtent un moment sur le pas de la porte puis avancent dans ma direction. Elles posent leurs affaires sur les chaises du rang derrière moi. Je fais mine de m'intéresser furieusement à l'écran de mon téléphone.

Puis elles se tournent vers la cuisine. Dans ces occasions, tout le monde apporte un petit quelque chose à manger et un gros quelque chose à boire.

J'allais classer ces trois motardes dans la catégorie "touche pas à ça, p'tit con", quand, de la cuisine, s'élève un tonitruant :

- Marcel ? Marcel ! MARCEL ! (afin de préserver mon anonymat, mon propre rôle sera joué par Marcel Pagnol)

Déboule de la cuisine, les trois motardes à la remorque, Victor, co-organisateur du concert. Journaliste lui aussi, il écrit dans un magazine chic et cher où ça parle de déco intérieure, de boîtes de nuit à la mode, de restos prout-prout, de pinard bio à 90 balles la boutanche, d'expositions de photos bizarres et de personnes "en vue" -quoi que cela puisse signifier.

- Ah, te voilà ! Viens que je te présente. Alors : Coralie, Agnès et... Pascale ! Voici Marcel, alias KPOK, le plus grand, le plus fameux chroniqueur moto de France.

Vite. Un petit trou noir juste pour moi. Là. Maintenant. Tout de suite. Que je disparaisse d'ici.

Victor me met une tape sur l'épaule.

- Il est muet, mais c'est normal : il est aussi talentueux que timide. Humour ravageur pour planquer son âme de poète, cynique et désespéré, mais toujours en quête de beau et d'absolu, c'est le Jack Kerouac de la moto, c'est un Jim Morrison qui aurait eu le bon goût de rester en vie assez longtemps pour développer une calvitie et nous émouvoir avec ses aventures. Quand il se décidera à sortir son oeuvre en librairie, ça va faire un malheur !

L'une d'elles me sourit. Une autre étouffe un petit rire. Je veux mourir. Pitié, Soichiro Honda : foudroie-moi sur place.

- Allez ! Allez ! Allez ! Tu ne vas pas les laisser comme ça. Elles ne connaissent personne ici, alors tu vas faire les honneurs de la maison. Hop ! Hop ! Hop ! Trouve-leur un verre, une bricole à grignoter -je vous conseille les gougères de Caroline : une merveille.

Sur ces mots, Victor pivote et repart, me laissant planté là avec mon fan-club tout neuf, dans l'expectative.

Je lance un fort original :

- Bonsoir.

Salutations diverses en face. La plus grande attaque :

- Désolée. Je compatis. La mise en boîte, je veux dire. Un verre, donc ?

- Oui, un verre. Bonne idée.

Temps mort devant le buffet. Je déplace un pion de leur côté de l'échiquier :

- Vous avez connu comment, ici ?

- La chanteuse de ce soir est une de mes copines, répond la plus petite.

- Ah ! Donc vous connaissez au moins une personne.

(je manie l'art de la réplique originale avec un génie certain)

À ce moment arrive une quatrième femme qui saute au cou de la plus petite motarde. Embrassades. Est-ce la chanteuse ? Elle attire sa copine vers deux autres personnes ; la moyenne du lot suit le mouvement. La plus grande reste près de moi.

À peine moins que ma taille. Un grand regard d'obsidienne. De minces boucles d'oreille discrètes. Pas de maquillage. La cinquantaine. Élancée. De petits plis de malice au coin des yeux. De grandes mains fines qui tiennent son verre élégamment. Un jean usé et un tank-top blanc à col cheminée sous un gilet sans manches : magnitude onze sur l'échelle du tremblement de coeur, qui pourtant n'en compte que neuf. Dans un coin de ma tête, quelque chose fait pop, délicieusement.

- Et donc vous êtes...

- Agnès.

- Oui, c'est ça : Agnès. Vous verrez : on est rarement déçu par ces concerts. C'est vraiment chouette... enfin je veux dire bien. Très bien, même.

Elle sourit. Je sens que je deviens tout rouge et c'est horrible. Il y a forcément quelque chose d'hyper passionnant sur le bout de mes chaussures, j'en suis sûr, il faut que je vérifie.

Sur ces entrefaites, Victor arrive en tapant dans ces mains :

- Allez, c'est parti. On y va ! Les canapés du devant sont pour les jolies femmes et les moins jeunes d'entre vous. Allez ! Allez ! Les plus grands au fond, merci ! Allez ! Allez !

Nous suivons le mouvement et prenons nos places. Agnès est assise dans mon dos. J'ai l'imaginomètre au rupteur. Les lumières baissent. Le groupe de musiciens arrive. Applaudissements.

Premières notes de piano, un peu mélancoliques. Puis le morceau s'anime, prend du rythme. Agnès a posé un pied sur le barreau arrière de ma chaise. Je la sens battre le rythme de la jambe ; étrange premier bercement que j'accompagne de la tête, comme un très long 'oui'.

Soichiro ? Reporte le foudroiement à demain, s'il te plaît.

p.s. personnel : merci à F et à G pour ces belles soirées.

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Attention Kronik ! 100% mauvaise foi ! Ceci n'est pas un article ni une brève (voir historique si nécessaire). L'abus de kronik peut être dangereux pour la santé de certains. Ne pas abuser.

Commentaires

XM

c'est beau de revivre ses 17 ans

21-02-2023 07:42 
Meuldor

Le soucis du détail dans la présentation d’Agnès montre le pro du journaliste moto. Manque plus que la partie cycle et on sait tout d’elle. Bravo.

21-02-2023 07:53 
Picabia

Kpok qui drague, ça vaut le détour, il ne te reste plus qu'à monter sur scène car quand tu es musicien tu as encore plus la cote auprès des dames.
Tiens prend un bassiste, le type qui est dans son coin, un peu en retrait de la scène, on oublierait presque sa présence tellement il est discret. Et bien, même lui les filles le remarquent.
Tu verras, de la haut le panorama est encore plus beau.

21-02-2023 08:16 
Patinfo

Excellent 👍

21-02-2023 08:47 
Jeannot

Kpok est invité dans des soirées privées où des inconnues en cuir viennent directement l’aborder et il pense être à un concert, c’est choupi !

21-02-2023 11:04 
CLEW

Bin lui il est passé du fantasme à la réalité ouf

21-02-2023 11:28 
Bag650

Excellente Kronik dans laquelle on se projette volontiers 😎✌️

21-02-2023 11:49 
Aristoto

Tiens Kpok n'est pas blasé. Trois gonzesses et c'est le printemps; ça change c'est bien aussi.

et la suite... C'est vrai que les Kronik en bouquin ça pourrait être sympa

21-02-2023 14:49 
Goupil62

Cette chronique me rappelle mon adolescence : les boums de troisième 🤣

Flasher sur une fille ; j'y vais mais pas tout de suite ...

Le coeur qui bat la chamade, les mains moites (je sais, certains vont écrire, eh, les couil... coites).

Merci Kpok, pour cette nostalgie.

Quel tombeur 🤣

21-02-2023 18:40 
Lea lanata

Et finalement, elle lui a donné son zéro six ?

22-02-2023 09:50 
ninefeet

Elle t'a filé son MT06 ?

22-02-2023 10:43 
Virgil

Chronique passionnante 😴

22-02-2023 12:07 
l'haricot

Hop, kronik rangée sur mon étagère, entre le DVD "l'hôtel de la plage" et ta chouette "cheval de retour". :)

22-02-2023 13:30 
Waugh

Aristoto : "et la suite... C'est vrai que les Kronik en bouquin ça pourrait être sympa"

Oh que oui !

22-02-2023 16:38 
Peterpan

Bien belle et jolie histoire !

...mais une question me taraude !..y aplus de couples à Paris ...que des personnes célibataires ??!!! lolclin d'oeil

22-02-2023 17:14 
inextenza

D'ailleurs, ne serions-nous pas dans le "j'ose pas y aller en frontal alors je préfère écrire mes sentiments, ça fait moins peur" sachant que, donc, le sieur KPOK a été présenté en tant que tel... du coup il est une probabilité élevée que l'intimidante et renversante motarde pose son regard d'obsidienne sur cette prose... lettre, non? timide

(j'avoue être comme ça timide)

22-02-2023 18:11 
KPOK

La suite s'intitulera probablement : "La nouvelle Agnès", référence très tirée par les cheveux à Nerval.

Mais je n'aime pas faire d'annonces : imagine que je ne puisse même pas boucler un tour de qualif'.

22-02-2023 21:15 
inextenza

super attention, autant de changement pile au moment où on cherche un nouveau destrier, c'est risquer d'aller vers des machines plus lourdes... pour disposer d'une place passagère plus accueillante pipeau

23-02-2023 08:57 
Lea lanata

Et en plus elle a les yeux verts...
Si j'étais pas déjà marié et heureux en ménage, je serais jalmince

03-03-2023 19:24 
Bluebluer

Je sors de l'anonymat pour t'avouer que je sillonne sans répit notre belle ville à moto me demandant toujours si le motard au feu, garé devant le bar, en rade sur le parking, devant moi à la station, en intégrale cuir ou en casque à paillettes, en wheelie sur la rocade... ca serait pas le très mystérieux KPOK... je n'en dors plus. Je coupe et recoupe les indices.
PS: je ne m'appelle pas Agnès, je ne suis jamais invitée à des concerts privés, mais j'ai aussi de petites rides au coin des yeux peut-être parce que j'ai regardé le soleil derrière ma visière un peu trop longtemps...

09-04-2023 19:29 
Bluebluer

EDIT: ... ah mais maintenant c'est un rider de trotinnette qu'il faut que je piste... j'abandonne :-D

09-04-2023 19:42 
KPOK

alors qu'il suffit de passer au Colombus des Godrans le dimanche matin

10-04-2023 07:37 
fift

Moi je l'ai déjà vu le KPOK.
J'ai même fait un bout de route avec lui.
Nananèèèreuh.







































Y a quasi 20 ans ... timide

11-04-2023 11:36 
 

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