Et si on mettait gaz tous en même temps ?

Arriverait-on à faire accélérer la Terre ?

Parmi les questions qui taraudent l'humanité depuis son emménagement sur Terre, il y a celle-ci : si toutes les motos du monde mettaient gaz en même temps dans la même direction, arriverait-on à faire accélérer la Terre ?

Rassemblons toutes les motos du monde en un seul endroit et à un signal donné, mettons tous gros gaz en même temps. Qu'est-ce que ça donne ? Est-ce qu'on va arriver à faire accélérer ou ralentir la Terre ?

Un tel exercice demande, au choix, beaucoup de logistique ou un peu d'imagination. Je préfère l'imagination. Disons donc qu'au nord de Paris, dans la plaine du Vexin, on construise une gigantesque piste, suffisamment large et longue pour que tous les motards de la planète puissent y évoluer. On y transporte toutes les motos du monde avec leur conducteur d'une manière ou d'une autre, peu importe. On met les grosses devant et les petites derrière. En haut d'un grand pylône, une star de la chanson à forte poitrine donne le signal du départ au moyen d'un puissant projecteur pour que tout le monde lâche l'embrayage en même temps et vroum !

En connaissant le couple développé par toutes les motos du monde et la masse de la Terre, il est facile de démontrer qu'une accélération plein gaz pendant 20 secondes entraînerait une accélération de la Terre de 0,0136 nanopouillième de poil de cul. Ce qui est proprement énorme !

De ce résultat, on peut déduire que pour rallonger d'un jour la durée de la semaine calendaire afin d'intercaler ces 24 heures supplémentaires qui feraient tant de bien à tout le monde entre le dimanche et le lundi, il faudrait 7,8 térachiées de tentatives, ce qui est raisonnable au regard du bénéfice qui en résulterait. Pensez donc ! Un jour de plus entre dimanche et lundi ! Enfin des week-ends de trois jours pour tout le monde, y compris les infirmières !

Oui, mais...

Une fois ce spectaculaire résultat obtenu, on se retrouve avec une mégatripotée de motards bloqués dans le Vexin. Et tout ce petit monde va vouloir rentrer chez lui, parce que c'est pas tout ça, mais voilà voilà.

Saturation immédiate de l'A16 : on assiste au plus impressionnant bouchon de moto du monde civilisé. Quinze millions de motos se ruent sur le péage d'Amblainville. Les plus malins, qui avaient prévu le coup, sont partis avant le discours de clôture. Mais les autres se retrouvent bloqués en plein cagnard pendant que devant ça s'énerve avec la fermeture éclair du blouson qui bloque, le gant qui tombe du réservoir, la passagère qui vérifie dans le rétro que sa coiffure, ça va, la Ducati qui refuse de retomber en marche et ainsi de suite.

Un deuxième groupe d'environ sept millions de petits malins qui ont prévu le coup et qui ont regardé Gougeul'mapsse avant de venir filent sur les petites routes via la D915 et la D14. L'itinéraire bis, en treize minutes, est lui aussi archisaturé. Quelques trails tentent l'aventure à travers champs. La cote de la DR 650, même avec une segmentation à prévoir et un kit-chaîne rincé, explose. Les possesseurs de bécanes de trial rigolent, mais dix minutes à peine, le temps de vider leurs réservoirs format briquet-tempête.

Sur la piste, les 180 millions de motards restant ont sagement choisi d'attendre que ça se tasse. Ils taillent le bout de gras en sirotant une ou deux bières (merci aux Harleyistes), avant de chercher des yeux les chiottes les plus proches.

Ah-ha... Heuh... Oups ?

Ils se retiennent, jusqu'à l'inévitable. Les propriétaires de motos chinoises, indignés, protestent :

- Mais non ! Même là tu peux pas pisser ! Merdalor ! Va te trouver un twin poussif à la place !

Les dernières bières bues, l'accablement s'abat sur la titanesque concentre. Il faut faire la queue pendant quatre ans et demi pour atteindre le comptoir de la baraque à frites-merguez la plus proche. Les hipsters mâchouillent leur selle en cuir de vache éco-responsable pour patienter.

La situation sanitaire s'aggrave. On démonte les carénages pour recueillir l'eau de pluie. Pour se tenir chaud, on brûle les pneus.

A l'autre bout de la planète, les usines désertées par les motards font face comme elles peuvent à cette pénurie de main-d'oeuvre. Les concerts n'ont plus lieu, faute de roadies. Impossible de trouver un tatoueur ouvert. Pizza-Rapidou ferme ses 2.480 magasins dans le monde, en l'absence de livreurs.

Dix-neuf supertankers sont déroutés en urgence vers la France pour répondre à l'absolue pénurie de carburant due à 200 millions de réservoirs à sec.

Partout, des motos abandonnées par leur propriétaire. Des monceaux de bécanes. Les talus des départementales, les accotements des nationales, les aires de stationnement des autoroutes : des motos dans tous les sens, sur plusieurs épaisseurs. Les municipalités, dépassées, déblayent au chasse-neige. Les voleurs, un temps excités par l'aubaine, ont renoncé : le marché de la pièce détachée s'est effondré. Pour une 1200 GS t'as plus rien !

En Amérique, en Afrique, en Asie, les moto-écoles tournent à plein régime pour tenter de former de nouveaux motards : depuis 15 jours, il ne se vend plus une seule moto dans le monde puisque toute la clientèle est rassemblée dans un rayon de 190 kilomètres autour de Vallangoujard.

Dans une étrange revanche, seuls les conducteurs de Solex et de mobs ont réussi à se faufiler hors du merdier en passant en mode "pédale" : consternation chez les gros cubes. On signale aussi la fuite de quelques Enfield Diesel. Paris-Bangalore, 7.800 kilomètres sur douze pleins seulement ? Bah, oui et alors ?

La semaine prochaine, nous essayerons de répondre à cette autre intéressante question : quelle serait la taille d'une Tour Eiffel en allumette construite en utilisant tous les arbres sur Terre ?

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