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La Chronique de Koud'pied o'Kick

La KronikKoud'pied o'Kick est un journaliste professionnel écrivant actuellement pour un grand hebdomadaire. Vous le retrouvez chaque mois exprimant son opinion sur un monde qu'il affectionne énormément : la moto, avec un amour immodéré de la controverse, à nul autre pareil.

KroniK de septembre

Nos amis les constructeurs

Je me suis toujours demandé ce qui se passait dans la tête d'un constructeur pour nous proposer des gromonos sans compte-tours, des routières sans jauges, des utilitaires sans pare-carters, des sportives sans rétroviseurs (ou c'est tout comme), ou des roadster sans poignées passagers. Et même quand nos motos sont par miracle équipées de tels appendices, ils sont soit imprécis au possible (jauges) soit inutilisables (poignées passager), soit inutiles (toujours les rétros). Ce genre de détails qui entraîneraient une mise à mort pure et simple dans un « Auto Plus » pour les machins à quatre roues semble être la norme dans le monde du 2 roues.

J'ai donc décidé de tirer l'affaire au clair.

J'ai kidnappé trois ou quatre PDG, et je leur ai ouvert le crâne au burin pour voir ce qu'il pouvait bien y avoir dedans (après leur avoir accordé une dernière cigarette, c'est quand même des êtres humains).

Ben, c'est pas joli à voir.

Au milieu d'un salade de chiffres d'où émergent des notions abstraites au possible comme « bénéfice d'exploitation » ou « résultat avant impôts, amortissement et survaleurs », flotte une immense trouille. La trouille du concurrent. Salauds de concurrents qui ont l'outrecuidance de faire des motos mieux qu'eux... Les distributeurs locaux, eux, se tirent la bourre à coup d'immatriculations. Tout est bon pour figurer en tête de ce palmarès issu des bases de données des Préfectures, la pratique la plus courante consistant à pousser les concessionnaires à immatriculer des véhicules de démonstration pour gonfler artificiellement les chiffres de « ventes ». On a les jeux qu'on peut à l'âge mental qu'on a.

On pourrait penser que les constructeurs font tout leur possible pour nous proposer des motos exemptes de défaut. Quelle grossière erreur : ils dépensent des sommes d'énergie folles pour simplement se maintenir un cran au-dessus de ce que font les autres. Dans leur logique, passer rien qu'une heure de trop à la conception d'un modèle pour le rendre encore un peu plus attractif est un investissement inutile, puisqu'il suffit d'être « juste » un poil « meilleur » que les autres. J'ai mis des guillemets à meilleur, parce que c'est une notion très subjective : j'ai toujours considéré les ZX 10 R, GSX-R et autres R1 comme des motos sans intérêt et interchangeables.

Ils entretiennent donc avec soin la culture du moindre effort. Tant qu'un modèle se vend ou que la concurrence reste limitée, pourquoi l'améliorer ? Avec deux tiges et une paire de supports, on fait une selle réglable en hauteur. Une tige filetée et un bouton : un phare réglable sans outils. Deux bouts de fil électrique et un interrupteur : des warnings. Des composants et un écran LCD : une montre. Quelques résistances basse tension et un interrupteur : des poignées chauffantes. Quelques tubes d'inox : unéchappement qui ne rouille pas en 20.000 bornes. Un tube coudé : une valve de gonflage accessible. Un variateur : un éclairage de tableau de bord à intensité réglable.

La liste est infinie de ces petites bricoles qui font vraiment la différence au quotidien, sans pour autant faire grimper la facture dans des proportions inimaginables.

Il faut dire à leur décharge qu'ils ont affaire à une clientèle particulièrement casse-burnes : les motards. Toujours à râler après ce qu'on leur sert. Ya qu'à voir les enquêtes sur la « moto idéale » : c'est un fatras de demandes franchement irréalistes. On voudrait tous une bécane légère et pas chère, agile et stable, jolie et pratique, sans s'inquiéter du fait qu'il s'agit de notions incompatibles - surtout vu le budget souhaité. Les motards seraient des êtres humaines que ça m'étonnerait pas plus que ça. Tiens, regarde mon cahier des charges à moi : 170 kilos tous pleins faits, 140 de croisière, 180 à toc, bicylindres, 20 litres dans un réservoir le plus plat possible pour coller dessus une sacoche, avec des inserts filetés un peu partout pour pouvoir fixer dessus en fonction des besoins : un tête de fourche, un porte-bagages, des pare-carters, et enfin un coffre d'une dizaine de litres sous la selle. Le tout pour 5.500 euros environ. Cherchez dans la production actuelle : je n'ai pas trouvé. C'est pourtant pas la mort, comme spécifications, non ?

S'il fallait décerner une palme de la non-créativité, il faudrait la remettre aux japonais (juste derrière les chinois, mais eux ont pigé des trucs que les Japs' ne peuvent pas se permettre de seulement penser). Et celle de la créativité qui ne débouche nulle part aux Français. On a peut-être des idées (comme la quasi-turbine), mais quand il s'agit de les vendre, on est nuls à chier. Dommage, il y avait du potentiel chez Motobécane. Le seul à proposer des machines un tant soit peu originales reste BMW. Mais à 100.000 balles le bout, faut avoir les moyens. Les marques italiennes ont toujours des problèmes de fric, en une suite apparemment sans fin de rachats et de faillites façon roman-feuilleton. Même s'ils construisent de jolies motos. Les anglais jettent des regards langoureux sur un passé où leur domination était surtout la conséquence d'une absence de concurrence, et les Suisses ont jeté l'éponge voilà trop longtemps pour que les plus jeunes puissent subodorer que Motosacoche n'est pas une marque de bagagerie. Quand aux Américaines... c'est trop horrible, je préfère ne pas en parler : dépenser autant de fric pour faire du paléontologique avec du neuf, ça me dépasse.

Les Japonais ne sont sans doute pas trop mauvais : ils nous font des machines très (trop?) performantes. Les autres marques leurs courent après. Mais quand il s'agit de s'écarter des recettes classiques, c'est la panique. Bah... Peut-être qu'à force de se casser les dents (moteur rotatif, turbo) ils ont compris que le motardebââze est éminemment conservateur, et ne comprend pas quand on cherche à lui vendre autre chose que de la bonne grosse fourche télescopique (ce non-sens mécanique) ou du 4 en ligne bien linéaire. Ya qu'à voir le temps qu'a mis Suzuki pour changer la conception des cadre de ses GSX-R de peur de fâcher ses clients. Face à une clientèle frileuse, c'est souvent le suiveur qui récolte les fruits du pionnier.

Tous derrières

Le plus affligeant, de mon point de vue, c'est le suivisme des constructeurs. A part BMW (et encore), ces types redoutent la prise de risque. Une attitude très étrange alors qu'ils essayent de nous faire croire à leur capacité d'innovation. Mettez côte à côte une CB 750 et une Seven Fifty. Même architecture moteur, même dessin de cadre, même partie-cycle (à part le mono-amortisseur arrière), tableau de bord semblable... Rien n'a été révolutionné en 30 ans, tout a juste évolué -très lentement- vers plus de rigidité. Point barre. Pourtant, il y aurait du boulot à faire ! Tiens, rien que sur la transmission finale. En modifiant sa conception, il serait possible de créer des motos qui se tassent à l'accélération (donc ne se cabrent pas). Fini les wheelings, certes (dommage pour les poseurs), mais aussi fini la direction qui s'allège à la remise des gaz. Ils ont dans leur cartons à dessin de quoi remplacer la fourche télescopique. Le font-ils ? Non. De peur de bousculer leur clientèle. BMW a pourtant largement démontré qu'il était possible de proposer -et surtout de vendre- autre chose.

Ce qui me consterne aussi, c'est la course à l'armement qu'ils mènent sur le créneau des sportives, alors que tout dans la législation actuelle leur est défavorable. Autant d'efforts qui pourraient être consacrés à la conception de modèles de moyenne gamme réellement aboutis, au lieu de repasser des plats réchauffés pour la nième fois. J'y collerais des baffes, au père Suz', pour avoir seulement replâtré la GSE alors qu'il aurait pu concevoir un modèle éclipsant complètement la CB 500 et dont les qualités auraient fait le bonheur des moto-écoles ou des types comme moi pour qui la puissance brute s'efface complètement devant la valeur d'usage.

Au lieu de ça, on assiste à une surenchère esthétique franchement vaine (non, la R1 2004 n'est pas plus belle que le modèle 2003 : elle est toujours aussi inutile). Selles tape-cul, réservoirs torturés où il est impossible de poser ne serait-ce qu'un casque, carters moteurs surexposés en cas de chute, cadres fragiles... Les consommations sont toujours aussi élevées, les autonomies toujours aussi ridicules, les intervalles d'entretien toujours aussi rapprochés. Pas sûr que le « progrès » aille dans le bon sens. L'équation économique a beau être toujours défavorable au client, faut pas non plus charrier.

J'hésite un peu sur un point : les constructeurs vendent-ils à des veaux ? Sans kékés, concevraient-ils des GSX-R ? Est-ce le produit qui fait l'abruti ? Délicate question. Car l'intérêt d'un constructeur n'est-il pas diamétralement opposé à celui de ses clients ? Les uns cherchent à vendre plus cher en minimisant leurs efforts (et donc leurs investissements) et les autres cherchent à en avoir toujours plus pour moins cher. Tout l'art d'un constructeur de bécanes ou d'autre chose) consiste à faire croire que le superflu est indispensable : pour te traîner la teube à 130 entre deux radars, t'as besoin de 35 chevaux à tout péter, alors qu'est-ce que tu fous du reste ?

Le pire, dans l'histoire, c'est que je suis persuadé que les constructeurs sont tout à fait capables de nous sortir des modèles réellement aboutis, livrés avec ces petites bricoles dont j'ai déjà parlé et qui font la différence sur le long terme. Pourquoi ne le font-ils pas ? La diversité des modèles est une réponse possible. Le moindre constructeur moto enterre le plus gros constructeur automobile du point de vue de la diversité des machines qu'il propose. Mais cela ne fait pas tout. Avec les moyens informatiques dont ils disposent leur permettent de concevoir des machines plus rapidement qu'ils n'ont jamais pu par le passé. Manque de bol, cet avantage est réduit à néant par les tergiversations du service marketing, mort de trouille à l'idée de se planter. Au lieu de proposer ce qui passe par la tête de leur techos, ils cherchent à vendre un consensus issu de leurs enquêtes. Mauvaise pioche. A procéder de la sorte, ils finissent tous par nous proposer la même chose. Des Fazer efficaces mais insipides, une nième sportive plus ceci et plus cela, un custom dont la masse à vide fait concurrence à celle d'une locomotive. L'entrée de gamme routier chez Yam' ? 100 chevaux. Chez Béhème ? 10.600 euros. Mais ils s'en foutent : ils en vendent.

Un jour, quand j'aurai quelques heures à perdre, il faudra que je me prenne entre quatre yeux le responsable marketing d'un fabricant quelconque, pour arriver à comprendre ce qui peut motiver à l'heure actuelle un constructeur. Démêler la manière dont ils conçoivent leurs machines, et comment ils arrivent à nous proposer un gromono sans compte-tours, une routière sans jauge, etc...

En attendant, je cherche toujours en vain une machine qui réponde à mon cahier des charges. Et je ne dois pas être le seul dans ce cas.

Koud'pied o'Kick, - le 1er septembre 2004

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Commentaires

stephs

Je partage tout à fait ton analyse même si:
- la jauge je m'en tamponne, le compteur kil journalier et le robinet avec réserve me suffisent bien. Mais c'est vrai que même ce dernier a disparu avec l'injection
- le variateur d'intensité idem. Je roule pas (ou très très rarement) de nuit mais je conçois que sur un utilitaire ça puisse être utile.
Tout les ans je me dis que j'aurai pas besoin d'une 900 pour ce que je fait, (petites routes limitées à 80) mais comme c'est de la montagne, parfois en duo avec bagages ben un bi de 900 c'est quand même agréable. Pis j'ai pas d'injection, pas d'ABS et pas d'emmerde. Bref je vais garder ma Triumph Scrambler 2006 un bout de temps encore. Mais faut pas tomber, les carters et les commandes sont super exposés.

11-11-2017 12:20 
KPOK

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12-11-2017 13:10 
Le Modérateur

Comme quoi, rien n'a changé ?!

12-11-2017 19:59 
A-Lain

Yop

je confirme
ma Honda CBX 650 de 1984 possédè =
76 chevaux (enfin je crois, j'ai oublié)
Une jauge fiable (toujours la même erreur)
Un indicateur de rapports engagés
6 vitesses.
Un système anti plongée pour les freinages

Donc hormis le cadre au poids démesuré elle fait 197 kg avec 20 litre de plein.

Bref rien n'a changé, juste que le freinage et divers petits trucs sont mieux maintenant.

(A voui, les rétros !! ils sont top du top, je vois tout.

Ils n'ont pas fait mieux depuis. (sauf vitesse auto, ABS, dual CBS et le telelever ou la tesi ou l'injection)
Tout le reste c'est kif kif.

12-11-2017 20:44 
 

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