Circuit 2 : Chapelle-le-Sautoir
Ici, on vient pour l'ambiance, pas pour le chrono
Ah ! Chapelle-le-Sautoir ! Son gauche de la mort-qui-tue qui distingue les poireaux des pilotes et ses chiottes infâmes. C'est le circuit préféré d'André. Suite du feuilleton de l'été.
A Chapelle-le-Sautoir, André prend un bain de jouvence. En 1988, c'est ici qu'il a remporté sa première course au guidon d'une FZ 600 prêtée par son pote Mathieu Vergne, vice-champion de France cette année-là. Depuis, à chaque fois qu'il vient ici, il revit ce dernier tour où, sur un nuage, il a dépassé quatre concurrents avant de "coiffer" le leader sur la ligne d'arrivée avec une demi-longueur de moto d'avance. Il avait reçu la coupe du vainqueur des mains d'une jeune femme un peu timide prénommée Jacqueline qui avait aimé ses yeux couleur de mer du Nord -huit mois plus tard ils étaient mariés.
Chapelle-le-Sautoir est souvent rebaptisé Chapelle-le-Foutoir par les concurrents. La piste est dans un état correct, mais tout le reste de l'infrastructure se délite lentement. Le collectif en charge de son administration est une bande d'amateurs plus connue pour son aptitude à faire la fête qu'à tenir les livres de comptes. Tout l'inverse de Villeponceau, donc.
La piste serpente autour d'un taillis central squatté par des lapins qui traversent parfois la chaussée en pleine course. Le paddock a été aménagé en surplomb : André peut suivre la course à la jumelle depuis le toit du Citroën où il a posé un pliant. Jacqueline, elle, s'occupe du panneautage avec Tonton tout au bout de la ligne droite, où elle a son emplacement attitré.
André connaît si bien la piste qu'il suit la course de Jordan en accompagnant son fils des épaules et des jambes. Sa cheville gauche a de petites contractions, comme pour passer les vitesses à sa place. Quand Jordan décolle sur la bosse Saint Claude, il sent presque son propre estomac se soulever quand la moto s'allège avant de plonger dans le fameux gauche-de-la-mort-qui-tue, celui où les braves restent ouvert en quatrième et où les autres coupent, perdant ainsi de précieux dixièmes avant d'attaquer la ligne droite.
- Allez ! allez ! allez !
André encourage son fils en murmurant entre ses dents. Il n'a pas besoin de chrono pour savoir si Jordan est dans les temps : il regarde comment il sort du dernier virage. Le môme roule bien, aujourd'hui. La moto marche. Ça sent le podium, ce week-end.
Fin de la première séance d'essais libres. Jordan arrête la moto sous le barnum. Tonton arrive en courant, trimballant la béquille d'atelier. Jordan descend péniblement de la moto : son cuir trop neuf l'empêche de bien jeter la jambe au-dessus de la coque. Son père est près de lui :
- A mon avis, tu peux garder la trois plus longtemps après l'épingle, dit-il d'emblée.
Son fils opine du bonnet. Il enlève son casque. Il est trempé de sueur, tout rouge. Il respire lourdement. Il se tourne vers son oncle :
- Elle marche mieux. Et je préfère le réglage des guidons, je la sens mieux quand je la jette en virage.
- Tu vois ? Je te l'avais dit : le senti en virage, c'est une question de position au guidon. Et t'oublies pas de te servir de tes cuisses, hein ?
Jordan fait oui de la tête. Il a empoigné une bouteille d'eau et boit à longs traits. Jacqueline les a rejoint avec les temps de la séance.
- 47,8, 47,9, 48,8 et… 46,2 dans la dernière, lance-t-elle, souriante.
Jordan lève le poing. Son père lui ébouriffe les cheveux, mouillés de sueur :
- Voilà ! C'est ça que je veux entendre ! C'est bien, fils. Tu fais la même en course et c'est bon.
Alicia émerge de derrière le Citroën. Elle aussi a chronométré un pilote. Mais pas son frère. 46,2. Zut, zut zut. Du bout du pouce, elle éteint son téléphone. Elle décide de sourire avec les autres.
Samedi soir. Les barbecues épaississent l'atmosphère. Les moteurs se sont tus. Sous les barnums, les bières succèdent aux bières ; du temps de Tonton et d'André, l'alcool était plus fort et les veillées plus longues, parfois jusqu'à l'aube. André se souvient de courses sans avoir dormi, luttant contre une violente remontée de Pastis à la merguez, à ne plus savoir si c'est le 5e ou le 20e tour ni comment qu'on freine.
Aujourd'hui, les mômes sont sérieux. Au lit à onze heures maxi, des bouchons dans les oreilles. Il n'y a plus que les parents pour revivre leurs vertes années, à se refaire le championnat de 97 ou la calamiteuse année 93 où il était tombé des trombes d'eau sur chacune des épreuves au point que les cuirs avaient moisi.
Dans le Citroën, Jordan rêve de podium. Sous le barnum, André revit les siens.
Dans sa tente, Alicia envoie à quelqu'un un dernier SMS d'encouragement pour le lendemain. Puis elle fond en larmes sur son oreiller.
Suite la semaine prochaine... mardi...
Commentaires
Chouettes dessins aussi ! Merci je me suis encore régalé
30-07-2019 18:33Virginie est aux dessins ! C'est elle qui signe aussi tous les dessins de presse publiés chaque lundi; bref, une vraie graphiste et dessinatrice !
30-07-2019 18:43