Circuit 1 : Villeponceau
Sans paddock, pas de course.
Kronik estivale... à suivre tous les mardis...
Aube d'eau froide. Le vent ride les flaques du bord de la piste et agite un lambeau plastique jaune noué au grillage. Pour encore quelques heures, la piste appartient aux corbeaux. Leurs cris, comme des rires étranges, résonnent dans les tribunes vides de Villeponceau.
Villeponceau ! Seul circuit moto historique survivant en France. Sauvé dans les années 80 par un collectif de passionnés, porté depuis à bout de bras par son très hégémonique Président, modernisé à la fin des années 90, Villeponceau est toujours là. Villeponceau perdure.
Perché sur une colline battue par le vent, le circuit accueille deux manches du Sous-Championnat de France de Trapanelles, le Soctra, le fameux Soctra qui a vu naître des étoiles de la vitesse française dans le années 70 comme Roger Jeunesse, Marcel Edouard et le regretté Philippe Fignol.
Premier arrivé, premier parti. C'est l'un des devises de Président, que personne n'appelle plus autrement depuis de lustres. Il y tient. Tout chez lui relève de la métaphore métallique : volonté de fer, tête d'enclume, main d'acier dans un gant de barbelés. Il est tempéré par son penchant pour le liquide lors des repas et des paiements. Villeponceau, c'est lui -et quelques figurants.
Jeudi matin. Président arrive pour ouvrir le circuit. Il en possède toutes les clefs. Les seuls doubles existant sont gardés par sa femme, Madame la Présidente. Cette dernière ne tient pas particulièrement à l'appellation, mais lui si ; franchi la porte de leur cossu pavillon, ils deviennent respectivement Président et Madame la Présidente et rien d'autre.
Depuis les travaux de réfection il y a deux ans, il inspecte à pieds, mètre par mètre, le bitume du paddock pour relever toute infraction au volumineux règlement intérieur qui interdit par exemple de lester les barnums avec des poids de métal brut qui laissent des taches de rouille au sol. L'inspection terminée, il rejoint le "pont supérieur", son bureau vitré d'où il domine le circuit. Il y guette l'arrivée des premiers coureurs, la sporadique caravane de camions blancs.
Terreur des stagiaires, il a cette manière de regarder par-dessus ses lunettes en lâchant : "faut-il vraiment que ce soit moi qui fasse tout, sur ce circuit ?" En réalité, c'est sa femme qui est fermement aux commandes et qui tire les ficelles depuis l'oreiller.
- Ah ! Mon cher André !
Président, à la vue du Citroën à capot rouge tirant une caravane s'est précipité au bas des escaliers pour accueillir son "cher André". Les deux hommes se haïssent méticuleusement. Ce sont deux chiens de chasse en arrêt l'un devant l'autre. Aucun ne cède un millimètre de terrain. Depuis trente ans, l'ambiance est au blizzard polaire pour une histoire impliquant Madame la Présidente, selon la rumeur.
Sur le siège passager, Jacqueline poireaute le temps que "ceux deux-là" aient fini leur cinéma. Jadis agacée, elle qui sait le fin mot de l'affaire s'est résignée à attendre l'issue du combat de coqs, qui finit toujours sur un "pat". Quand André reprend le volant, elle ne soupire même pas.
André dirige son camion vers un emplacement particulier du paddock, près des boîtiers électriques et des robinets d'eau. Arriver tôt pour disposer des meilleurs emplacements dans le paddock est presque aussi important qu'une bonne place sur la grille de départ : André sait ça depuis longtemps.
Dans la cabine, Jordan dort encore. Tonton ronfle doucement. Seule Alicia est réveillée. Elle a fouillé le paddock des yeux, pleine d'espoir. Son nom figure sur la liste des engagés : elle est sûre, elle a vérifié. Mais on ne sait jamais. Peut-être a-t-il eu un empêchement ? Pourvu qu'il n'ait pas eu un empêchement. Parce que sinon, le week-end va être mortel : Alicia déteste la moto, la piste, la course et tout ce bazar.
Suite la semaine prochaine... mardi...
Commentaires
Ca va être long une semaine ...
23-07-2019 12:45