Quel avenir pour Norton Motorcycles ?
La marque placée sous administration judiciaire depuis janvier
Plusieurs acquéreurs intéressés par le constructeur britannique
L'histoire mouvementée de Norton Motorcycle, la marque sportive la plus célèbre de Grande-Bretagne, a pris une mauvaise tournure le 30 janvier lorsque le fabricant de Donington Hall a été placé sous administration judiciaire. La procédure d'insolvabilité a été engagée alors que Norton était traduit en justice par l'administration fiscale britannique HMRC pour le paiement de 300.000 £ d'arriérés d'impôt. L'affaire a été ajournée jusqu'au 12 février après qu'il ait été avéré que le constructeur avait déjà réduit ses impayés de 600.000 £ et effectuait régulièrement des versements.
Mais le 30 janvier, le cabinet d'expertise comptable BDO était nommé administrateur de Norton et évaluait les chances pour que l'entreprise soit reconstituée pour une vente en tant qu'entreprise en activité, après que toutes les tentatives de sauvetage de l'activité ne se soient soldées par un échec. La firme avait notamment lancé une campagne de financement participatif en novembre en vue de lever des liquidités pour répondre à son carnet de commandes apparemment chargé, mais l'attrait d'un supposé investisseur unique, dont on ne connait toujours pas l'identité, avait fait clore cette offre. Norton n'a donc pas été en mesure de trouver les fonds pour résoudre ses problèmes de trésoreries et la société s'est retrouvée entre les mains des administrateurs.
Stuart Garner, le PDG de Norton, déclarait alors :
Je suis dévasté par les événements des 24 dernières heures et personnellement, j'ai tout perdu. Cependant, mes pensées vont à l'équipe de Norton et à toutes les personnes impliquées, des clients, des fournisseurs et des actionnaires en cette période vraiment difficile. Sans [aucun] dialogue, Metro Bank a nommé hier BDO [en tant qu'] administrateur. Nous travaillons maintenant de manière positive et proactive avec BDO pour nous assurer que Norton ait toutes les chances pour trouver un acheteur. Il est devenu de plus en plus difficile de produire au Royaume-Uni, avec une charge fiscale croissante et des incertitudes persistantes sur le Brexit qui affectent de nombreuses choses, comme les tarifs, les exportations et la disponibilité des financements.
Stuart Garner détient personnellement 86% des actions de Norton Motorcycles, le reste étant réparti par trois de ses amis de longue date, chacun ayant une participation à un chiffre. Outre Norton, deux autres sociétés de Garner ont également été placées sous administration. La première est Donington Hall Estates, propriétaire d'une demeure de 229 ans jouxtant le circuit de Grands Prix de Donington Park et dans laquelle Garner a vécu. L'autre est le Priest House Hotel, un hôtel de 42 chambres implanté dans un ancien moulin et composé de cottages du 17e siècle. Le domaine de 32 hectares de Donington Hall abrite l'usine Norton de 5.110 m² et a récemment ouvert 1.115 m² d'espace supplémentaire pour accueillir la production de la nouvelle gamme Atlas 650 qui n'est cependant pas encore équipée en machine.
L'effectif de Norton comptait auparavant une centaine de personnes mais a été considérablement réduit ces derniers mois. Il faut dire que les problèmes de trésorerie ne sont pas nouveaux chez le constructeur. L'insolvabilité de Norton avait d'ailleurs été soulevée par un audit sur les comptes publiés fin mars 2018, alors que le chiffre d'affaires atteignait 6,7 millions de £ pour un résultat net de 33.701 £, qui précisait que "une grande incertitude fait douter de la capacité de l'entreprise à poursuivre son activité". D'ailleurs, avant l'actuel placement sous administration, HMRC avait déjà soumis une ordonnance de liquidation sur Norton en mars 2019, tout comme DHL International en août suivant, toutes deux étant retirées après le probable paiement des montants réclamés.
Vu de l'extérieur sans accès aux comptes courants, il est évident que l'entreprise n'avait pas les liquidités nécessaires pour fabriquer des motos aussi performantes que celles développées. C'est un exemple classique de dépenses trop importantes en R&D, sans avoir de revenu proportionnel ni de capital pour soutenir cela, un cercle vicieux dont MV Agusta et d'autres fabricants de petite et moyenne taille ont souffert à maintes reprises. La tâche qui incombe désormais à BDO est de trouver un acheteur pour l'entreprise capable de mettre en production les modèles bicylindres. La plateforme V4 risque malheureusement d'être mise au placard.
Qui pour racheter Norton ?
Là-dessus, il n'y a pas de pénurie de prétendants. Parmi ceux connus pour porter un intérêt à l'acquisition de Norton, il y a trois constructeurs indiens ainsi que l'investisseur russe Timur Sardarov qui a récemment finalisé son achat de MV Agusta à la famille Castiglioni. Dans ce remake de 2006 mais avec différents acteurs, Sardarov dit qu'il est principalement intéressé pour obtenir l'utilisation des moteurs 1200 et 650 pour alimenter le futur de la gamme MV Agusta. L'accès au nom Norton est moins important pour lui, mais avec l'ancien patron de Ducati Massimo Bordi aujourd'hui à la direction de MV, les choses pourraient changer.
Autre entrepreneur qui négocie avec BDO pour l'acquisition de Norton, le financier britannique Stephen Julius est connu pour avoir relancé Indian en 2008 après avoir réussi deux redressements avec les fabricants de bateaux Riva et Chris-Craft. Malheureusement pour Julius, le rachat d'Indian coïncidait avec la crise de 2008 et la chute des ventes de motos aux Etats-unis, au moment même où la nouvelle Chief faisait ses débuts. Il avait malgré tout été gagnant lors de la revente de la marque à Polaris en 2011. Avec Norton, Julius compte se concentrer sur les twins 650 pour développer ensuite des bicylindres de 1.000 à 1.200 cm3 pour agrandir la gamme.
Un nom encore plus illustre qui serait intéressé par Norton serait la star de cinéma Keanu Reeves, dont le garage personnel abrite quatre Norton Commando. L'acteur est également copropriétaire du constructeur Arch Motorcycles et a déjà un pied dans la gestion de ce type d'entreprise. Avec son partenaire Gard Hollinger, ils avaient même visité les installations de Donington Hall. Le plus célèbre fan américain de Norton pourrait bien finir par en devenir propriétaire.
Après le rachat récent de Bimota et une production sur le point de démarrer en Italie en juin avec une nouvelle gamme de Tesi Euro5 propulsées par le moteur suralimenté H2, le groupe parent de Kawasaki, Kawasaki Heavy Industries pourrait bien considérer Norton comme une acquisition attrayante en combinant histoire et technologie. Toujours en Asie, Zongshen a des intérêts évidents avec ce rachat, mais son rival, le milliardaire Li Shufu, est susceptible de vouloir ajouter une nouvelle marque historique à l'empire Geely qui compte déjà Volvo, Lotus Cars, Benelli, la London Taxicab Company et détient 9,8% des parts de Daimler-Benz.
En Inde, il y a peu de chance pour que Siddharta Lal et Royal Enfield se présentent au rachat. Ce qui n'est pas le cas de Bajaj Auto qui vient justement d'annoncer un partenariat avec Triumph et pourrait permettre de réunir les deux marques britanniques dans la même famille. Une réunion qui pourrait aussi se faire avec BSA, marque rachetée en 2016 par Mahindra Corp et dont le lancement est attendu pour le courant de l'année. Surtout, l'acquisition de Norton serait aussi le moyen de priver Hero Motocorp, leader local, de s'approprier un nom qui lui permettrait de faire décoller ses ventes à l'international.
Une page qui se tourne
Stuart Garner a travaillé sans relâche pour remettre la société sur de bons rails, même si moins de 1.000 motos ont été construites et livrées à des clients dans le monde entier. Il est aujourd'hui clair que son séjour chez Norton est terminé, surtout avec l'émergence de problèmes bien plus graves autour de plans de retraite utilisés pour financer Norton...
Et alors que l'existence future de la marque est remise en question, de plus en plus de clients qui avaient payé un acompte, voire en intégralité, leur moto se font connaitre pour récupérer leur dû. Malheureusement, il semble que ceux-ci n'obtiendront pas gain de cause alors que BDO tente de maintenir la compagnie à flot pour une revente plutôt que de procéder à une liquidation des actifs. Etant donné que Norton a créé deux excellentes plateformes de modèles, dont l'une particulièrement attrayante pour la production à grande échelle, l'avenir laisse plutôt augurer un rachat. Des paris sur le futur acquéreur ?
Commentaires
Qui parie pour un rachat par des Chinois ? une nouvelle marque européenne qui part en extrême orient ?
06-03-2020 19:04Zongshen devait normalement produire des moteurs pour Norton, et je crois qu'ils ne possèdent pas encore de marque "historique" (ils ont juste la marque "premium" cyclone), donc je mettrai une pièce pour eux !
07-03-2020 08:19Bien vu Lutrinae .
07-03-2020 09:54C'est marrant tout le monde se posait la même question fin des années 70
07-03-2020 10:11D'après ce que j'ai entendu, Garner à aussi de sacrées casseroles au cul.
07-03-2020 10:18Il y a des bruits qui courent comme quoi il aurait détourné un bon paquet de fric à des fins personnelles.
Dommage pour les personnes qui ont payé des avances. Mais la marque ne disparaîtra pas, c'est sûr.
Non, leur reste encore le papier de verre et les anti virus
07-03-2020 10:27Si seulement ils avaient fait dans la lingerie fine, comme Triumph
Y en a même qui ont payé l'intégralité de la moto, et qui ne seront jamais livrés... 07-03-2020 11:15
Les chinois en manque de notoriété ont tout intérêt à reprendre la production et ne garder que les 650. C'est le business plan le plus cohérent mais ce n'est pas celui qui m'enchante le plus.
07-03-2020 19:01Tout le travail R&D a été fait et c'est le bien le plus précieux de l'entreprise.
Zongshen fera un bond en avant et en profitera pour écouler sa production