Salon de la Moto : bilan 2011 et perspectives 2012 chez six constructeurs
Il est loin le temps où Suzuki affichait fièrement sur son stand d'une précédente édition du Salon de la Moto sa position du n°1 du segment des plus de 500 cm3. Du fait de son positionnement, le constructeur a tendance à amplifier les évolutions du marché. S'il progresse rapidement quand le marché est bien orienté, il souffre souvent plus que les autres de son retournement. Comme le constate sans détours François Etterlé, l'année 2011 a été difficile. "Avec la parité du yen et la crise, nous sommes un peu sorti de notre créneau habituel : pendant plusieurs années, nous avons joué les champions de la meilleure performance au meilleur prix", explique le Directeur Commercial du département moto de Suzuki France.
En tant que généraliste, il subit la concurrence des spécialistes (comprendre : les constructeurs européens), mais aussi les potentielles attaques des constructeurs chinois et asiatiques. Ces derniers se cantonnent le plus souvent aux 125 cm3, or le jeu risque de changer s'ils décident d'investir plus sérieusement que par le passé le créneau des cylindrées intermédiaires, comme certains d'entre eux ont déjà commencé à la faire sur le marché du scooter. Suzuki subirait alors un "effet ciseau" par le haut et le bas qu'il sera sans doute délicat de contrer.
Cependant, François Etterlé pense que la réponse pourrait justement venir d'Asie et d'Inde, où la demande pour de plus grosses cylindrées pourrait voir le jour. Il s'agit aujourd'hui d'un marché de volume, comparé à l'Europe ou à l'Amérique du Nord où peuvent être écoulées des machines de valeur (et de cylindrée) plus importante. Si cette évolution devait voir le jour, il n'est pas dit que les constructeurs européens arrivent à suivre les Japonais dans ces pays.
Chez Honda, la situation est différente : le constructeur n'a ni la même image ni la même politique tarifaire que Suzuki et donc amortit mieux les "trous d'air" du marché grâce à sa clientèle plus fortunée. Il arrive à maintenir sa part de marché en France en 2011, bien aidé en cela par les PCX 125 qui se vendent comme des petits pains. Comme il n'a pas suivi la course à la cylindrée sur le segment des roadsters de moyenne cylindrée, ses Hornet 600 et CBR F ont une carte à jouer auprès de ceux qu'une 750 ne tenterait pas. Reste que Honda est le seul Japonais à proposer de réelles nouveautés (sans pour autant oublier les Versys 1000, les millésimes de 2012 de sportives, ou encore l'évolution du TMax 500...).
Avec les NC et l'Integra, Honda la joue finement et même intentionnellement. La NC S en version à boîte manuelle, vu son prix (5.500 euros), est clairement une machine "anti-crise". Elle bousculera les XJ6, FZ8 et autres ER-6 dans les moto-écoles, par exemple. La version à boîte automatique joue dans un registre différent. Elle peut titiller les motards passés au scooter pour des raisons pratiques et les curieux que la Mana, du fait de sa provenance italienne, rebutait. Avec la NC 700 X, Honda propose un modèle qui hésite entre la Crosstourer (côté esthétique) et la Transalp (côté performances). Une demi-Varadero ? Enfin, l'Integra ira normalement chercher sa clientèle du côté des utilisateurs de gros scooters.
Selon Sébastien Pernel, la NC pourra se montre aussi fiable qu'une CB 500, dont la robustesse a été souvent louée. Le responsable communication de Honda Europe du Sud souligne qu'elle est construite au Japon et pas en Thaïlande. Il craint peu la concurrence des fabricants chinois et thaïlandais (en tout cas moins que Suzuki). En revanche, Honda doit composer avec une concurrence européenne qui progresse régulièrement. C'est sans doute l'absence de concurrence frontale qui sauve ses ventes : si le Crossrunner est là pour combler le vide laissé par la Varadero, il subit moins le poids -par exemple- des Tiger et BMW GS que les DL 1000 et autres Super-Ténéré.
A l'opposé, on retrouve Triumph, qui tire parti de son positionnement de spécialiste pour déposer les généralistes. Fin 2010, le Britannique tablait sur une reprise du marché en général. Elle a effectivement eue lieu, mais a brutalement pris fin en juin dernier et la situation ne s'est pas améliorée depuis. Après un premier semestre euphorique, Triumph a vu ses ventes se stabiliser, ce qui lui permet d'afficher une progression de 14% en volume sur 2011, soit 800 motos de plus qu'en 2010. Un joli score sur un marché global à la baisse.
Les Japonais ont répliqué au ralentissement en multipliant les promotions, ce qui a permis de soutenir un peu le marché à l'automne. Une option que n'a pas retenu Triumph. Eric Pecoraro, Directeur Marketing de Triumph, décrit le créneau du roadster de moyenne cylindrée (les Z, GSR, Bandit, Hornet, FZ8 et consorts) comme un "carcan" : les constructeurs japonais se tirent la bourre pour faire du volume sur un segment très volatile. Triumph, fort de ses trois-cylindres qui font très bonne impression dans les comparatifs, peut se permettre de regarder tout cela de haut.
Il rappelle à quel point la physionomie du marché de la moto de plus de 125 cm3 a changé en l'espace de seulement 15 ans. Les constructeurs européens refont leur retard et il ne serait pas surprenant de voir ces derniers inverser la tendance dans les mois qui viennent en reléguant les quatre japonais sous la barre des 50% de part de marché, ce qui nous ramènerait une bonne quarantaine d'années en arrière. Sur le segment des machines de plus de 500 cm3, Européens et Japonais contrôlent respectivement environ 40% et 60% du marché en volume.
Eric Pecoraro ne voit pas les ventes de motos retrouver des couleurs en 2012. Il pense arriver à poursuivre sa progression -même si l'exercice des pronostics est éminemment délicat à une époque où plus de trois semaines de visibilité représente un luxe rare. Reste qu'en Europe, Triumph fait partie des constructeurs qui ont la capacité, de par leur spécialisation, à perdre moins d'altitude que les généralistes, voire même à en gagner. Tant que la crise ne se prolonge pas trop...
Ducati fait partie des "veinards" de l'année, avec des ventes record en France (un peu plus de 4.100 motos) et dans le monde. Si le directeur générale de la filiale française, Thierry Mouterde, aborde 2012 avec prudence, il mise sur une tendance similaire.
Le constructeur aborde donc 2012 avec un optimisme qui ne relève pas de la méthode Coué. Thierry Mouterde explique qu'il ne compte pas se cantonner aux segments de marché qui sont les siens actuellement (en gros : roadster, trails routiers et sportives), sans pouvoir en dire plus, évidement.
Harley-Davidson a lui aussi connu une année record. François Tarrou enfonce le clou en précisant "qu'aucune tendance ne nous montre que cette progression va faiblir" en 2012. Le directeur marketing et communication indique que les ventes n'ont pas fléchi au 2e semestre, à l'inverse de ce qu'a pu constater Triumph. "Nous ne ferons pas une progression à deux chiffres [l'année prochaine], mais aucun indicateur ne nous met dans l'inquiétude".
Chacun y va de sa segmentation -et c'est de bonne guerre-, ce qui permet au constructeur de revendiquer la 3e place du marché mondial des "plus de 650 cm3", derrière BMW et Kawasaki. Certes, Harley occupe une place à part dans la production mondiale. Un peu comme le trio BMW-Ducati-Triumph, ses motos sont chères en comparaison des équivalents japonais. Reste à savoir quels effets sur sa production auront les dégradations de plus en plus visibles du climat économique Outre-atlantique.
Yamaha, pour finir, signale une évolution comparable à celle évoquée par Triumph : un 1er semestre pas trop mal (surtout au regard de 2008) et une baisse à partir de juin, partiellement amorti par des opérations commerciales lancées dans le réseau. Du coup, septembre et octobre sont jugés "corrects" par Alexandre Kowalski, directeur communication et novembre "un peu moins".
Ce sont les ventes de X-Max (surtout), de FZ8 et de XJ6 qui servent de bouée de sauvetage à Yamaha, moyennant un gros coup de collier de la part des concessionnaires. Alexandre Kowalski compte sur ces derniers pour faire face à une année 2012 qualifiée d'année "de stabilisation et de consolidation". S'il évoque comme d'autres la crise comme premier facteur de ralentissement du rythme de renouvellement des modèles, il cite aussi l'évolution du "profil client" (et notamment le vieillissement du motard moyen) et des usages, la plantation de radars ne faisant rien de bon à ce qui porte un "R" sur son carénage, quelle qu'en soit la couleur.
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