Essai VMax
Le retour d’une légende
Le retour de la bonne, la brute et la tonique-truante.
Certains objets célestes croisent notre orbite suivant une périodicité qui leur est propre. Celle de la V-max est d’un quart de siècle. Ainsi donc, en 1984 tombait du ciel une machine aussi improbable qu’inattendue : la 1200 V-max. Lancée à Las Vegas et conçue à l’origine pour le marché américain, la V-Max n’est arrivé en Europe que par la clairvoyance de Jean-Claude Olivier, alors directeur de Yamaha Motor France.
A l’époque, c’est déjà sa plastique de dragster show bike qui fascine les rétines avides de milliers de motards. Mais aussi une particularité technique, illégale dans nos frontières, appelée V-boost... Cet ésotérisme désigne un système Yamaha qui permet, passé un certain régime, d’alimenter chaque cylindre non plus avec un, mais avec deux carburateurs. Il en résulte un puissance accrue et un effet d’accélération brutale à partir de 6.000 tr/min... Le tout dans une partie cycle hélas dépassée par le tonnerre mécanique et un freinage nettement insuffisant.
Malgré tout, l’interdiction nationale l’a rend d’autant désirable et addictive, même sans l’effet «magique». Tant et si bien que c’est essentiellement la demande française qui dicte le retour de l’ovni. Et 2009 voit ainsi le retour de la comète aux diapasons que suivent à nouveau tous les regards jusqu'à sa version Hyper Modified en 2011.
Découverte
Comme tout voyageur stellaire se faisant rare, le nouveau monstre de la firme japonaise n’en était que plus attendu. Son patronyme superlatif évoquant une réputation sulfureuse, le rejeton terrible se devait de marquer, à nouveau, les esprits. La promesse fut tenue, et ô-combien...
Tout en gardant une évidente filiation génétique dans le moindre de ses attributs, la nipponne fait de l’excès son maître mot. Longue, large, bodybuildée, l’esthétique générale fait dans la virilité assumée. Les volumes de n’importe quelle partie de la machine sont encore plus généreux et leur apparence bien plus moderne. Mais le style principale reste dominé par les deux massives et légendaire écopes encadrant le proéminent et fictif réservoir.
Ces prises d’air forcé, dédoublées sur ce nouveau modèle, sont une des signatures de l’esthétique V-max, comme les doubles compteurs et le cardan. Sous les mythique excroissance en aluminium, un double et large radiateurs capte le flux d’air, précédée par la massive fourche classique de 52 mm, aux tubes d’un bleu profond, réglable en compression et détente. S’y encastre l’optique avant à surface complexe, surmontée d’une veilleuse type goutte d’eau étirant ainsi ses formes.
L’assise hyper généreuse du pilote relègue toujours plus celle de l’accompagnant à la fonction d’aimable strapontin. Les selles reposent sur une longue coque arrière dont l’extrémité reçoit une rangée de diodes rouges, encadrée de clignotant de même nature.
Toujours présentes, les coques aluminium arborant le patronyme de l’Alien sont juste plus massives. Les molettes d’ajustement de l’hydraulique arrière, compression-détente, sont bien accessibles au niveau des platines de repose-pieds passager. Ainsi penché sur la roue arrière, on admirera la jante aux 5 branches élancées et le dessin du bras oscillant supportant la transmission par arbre.
Ne cherchez pas l’amortisseur. Il se cache entre les massives platines du cadre. Celui-ci fait désormais appel au meilleur de la modernité, mêlant une construction mixte. Extrêmement résistant et léger, il se compose d’une variété de sections d’aluminium coulées par gravité, moulées sous pression et extrudées. De plus, le bloc moteur sert d’élément rigidificateur. Mais ce n’est bien sur pas là son seul intérêt... loin s’en faut.
Le V4 est l’élément essentiel du mythe même dénué du V-boost appartenant au passé. Des collecteurs gainés d’étui métallique satinés se chargent d'acheminer le souffle dantesque du double V2 aux musculeuses sorties d’échappement titanes. Le retour du double bi-cylindre se fait bien entendu avec un accroissement exponentiel de ses caractéristiques. Moins ouvert (65° contre 70° auparavant), sa cylindrée passe à 1.700 cm3 mais grâce uniquement à une augmentation d’alésage (76 à 90mm). La course reste en effet inchangée. C’est bien la seule. Car le bloc est entièrement revu, aux derniers standards de la technologie. Nouvelles culasses plus compactes à double arbres à cames, bougies en iridium, angles de soupapes réduit à 29° (14° à l’admission et 15° à l’échappement), pistons en aluminium forgé et embrayage anti-dribble. La boite à air double également de volume mais pas le bloc : bien qu’étoffé de 40% en cylindrée, il ne prend que 6,5 mm en hauteur et se réduit même de 27 mm en longueur.
Enfin, l’électronique est de la partie. Ainsi, les accélérations sont sous la surveillance de l’ YCC-T(Yamaha Chip Controlled Throttle). Mais c’est surtout l’YCC-I (Yamaha Chip Controlled Intake), développement issu de l’hyper sport R1, qui forge le caractère inégalable de la V-max du nouveau millénaire. Ce système d’admission d’air variable motorisé et contrôlé électroniquement régule la longueur des pipes d’admission. Quand le régime moteur vient à dépasser 6 650 tr/min (4 000 chez nous), des servomoteurs provoquent la séparation instantanée de chaque conduit. Ce circuit plus court permet au moteur de la V-max d’offrir alors des performances importantes, dès les mi-régimes et jusqu’à la zone rouge. Tout un programme... Car sur la planète libre, 200 chevaux à 9.000 tr/min déferleront de ses entrailles d’un autre monde ! Dans notre petit hexagone, ce sera moitié moins, à 5.250 tr./min. Un demi moteur en sorte? Nous verrons par la suite.
En dépit de cette farce nationale, la super Yam’ arbore de nos jours de quoi stopper net sa progression infernale. Deux étriers radiaux à 6 pistons mordent les 320 mm des disques avant de type wave. Le simple mais maxi élément arrière de 298 mm est pincé par un étrier 2 pistons. Le système embarque l’ABS pour encore plus d’efficacité, dont on notera la parfaite intégration des épais indicateurs mobiles.
La finition de la V-max est remarquable, les surfaces de ses composants met hors d’atteinte de toute critique. Carters moteur noirs mats agrémentés d’éléments bruns, ligne du bras oscillant, traitement du cadre, ajustements des pièces... c’est le sans faute. Mais il est temps de chevaucher l’extra-terrestre.
En selle
L’accueil est étonnant. Place pullman mais confort spartiate... comme si votre chambre de palace contenait un lit de camp. De plus, les jambes sont particulièrement écartées sur cette assise ferme, en dépit d’une selle placée à 775 mm de haut qui ne sera d’aucun secours au moins d’un mètre soixante quinze.
La V-max impose une position quasi fixe : genoux sous les écopes, le bassin incrusté dans la machine, entre le dosseret de selle et la bosse du faux bidon, bras légèrement tendus. Ainsi installé, le pilote découvre un poste de pilotage fleurant bon le power cruiser d’Outre Atlantique. Un gros compte-tours rond, contenant la fenêtre LCD du tachymètre, agrémenté d’un témoin à leds externe de fort diamètre lui fait face. L’ensemble tenu par deux pattes métalliques de forte section repose sur un té de fourche élégant mais massif fixé à une colonne de direction à l’esthétique idoine.
Même impression de force pour la fixation du guidon à diamètre variable. Celui-ci masque un peu les systèmes de réglage d’hydraulique de fourche dont les mollettes de détente peuvent s’ajuster à la main. Les commodos sont aux standards habituels.
Capoté d’une casquette aluminium, un écran déporté prend la place de l’habituel bouchon de réservoir. Deux graphes y représentent la jauge de carburant et le niveau de température moteur. S’y affichent également un odomètre et deux partiels ou le kilométrage parcouru en réserve, l’heure et le témoin de rapport engagé. Pour accéder au vrai réservoir, il faut basculer une gâchette dissimulée sous la coque arrière. Le dosseret de selle s’abaisse et découvre un obturateur dénué de charnière...
Plus pratique, les rétroviseurs offrent un champ large et la béquille se manipule aisément. Etonnamment, celle-ci ne coupe pas l’allumage en cas d’oubli... Autre élément gênant : le gainage hypertrophié du bouton de clef de contact. Si une fois installée elle masque efficacement l’appendice de démarrage, l’avoir dans la poche n’est guère plaisant. Autant de raison pour la laisser à sa vraie place et enfin éveiller le puissant OVNI (Objet Vénéré Non Interceptable).
En ville
Le réveil n’est pas forcément facile mais le ramage est à la hauteur du carénage : ample et profond, agrémenté de légères pulsations d’impatience. Rapport : enclenché. Embrayage : lâché... l’équipage tente alors de se soustraire à l’attraction bassement terrestre. Et en ville, ce n’est pas gagné tant la direction semble lourde lors des évolutions à basse vitesse. Le fringuant vaisseau intersidérant se mue vite en simple enclume de l’espace réduit. Si l’interfile ne pose pas de problème, l’empattement important et un angle de colonne très ouvert (30°) rendent l’équilibre moyen à allure très modérée. La surdimension générale à un coût physique inévitable et les lois de la pesanteur s’appliquent même à la V-max et ses 310 kilos. On évitera donc les sols meubles, les routes pavées en pente et autres demi-tours dans les rues étroites.
On note pourtant de bonnes surprises. La V-max est particulièrement souple, acceptant de rouler sur le dernier rapport à moins de 2.000 tours. Le couple important et vite disponible participe à l’agrément. De plus, au delà des 20 à 30 km/h, l’agilité est très correcte en dépit d’un boudin de 200 mm à l’arrière. Tant mieux, car la boite n’est pas un modèle de douceur, notamment à la descente des rapports.
Concentrons nous sur les avenues. Calé sur la pit lane, le regard foudroyant le feu rouge, vous voilà prêt à vous transformer en météore rugissant. Vert ! Yeeeeeeehaaaaaa... en un instant les rétroviseurs se vident de toute forme de vie mécanique. Et on agrippe vite les freins. La décélération est efficace, plaçant votre monture et vous même à la position décrite ci-dessus au tricolore suivant. Prêt à répéter l’exercice... Très franchement, il est difficile de constater, dans les mi-régimes et en ville, l’effet de notre législation. Les accélérations sont énormes dès 3.500 tours et deviennent ingérables en zone urbaine passé 4.000 révolutions/minute. Raison de plus pour tenter de franchir le mur du gros son vers des horizons plus libres.
Autoroute et voies rapides
Voilà pourquoi il existe un dosseret de selle si important sur cette Yamaha. Pour vous garder à bord. Car même en chômage partiel obligatoire, les 106 autres canassons sont dressés pour la course. Les ingénieurs ont bien du mérite d’avoir préservé au maximum l’agrément d’une moto hors norme pour un petit pays hyper-normé. Et ça marche... de 4.000 à 6.000 tours surtout.
Par la suite, la poussé reste forte et constante, mais sans être cosmique, jusqu’au rupteur, 3.500 révolutions plus haut. En version libre, l’hyper-espace vous tendait les bras... dans tous les sens du terme. L’enveloppe arrière se déroberait sur presque tous les rapports à la remise pleine des gazs et vos yeux seraient enfoncés loin dans vos orbites.
Mais relativisons un peu. Au moment où se réduit l’élan formidable, on évolue déjà à 170 km/h. Les 200 km/h s’atteignent alors très rapidement et sans peine. De plus, la vitesse est bridée d’origine à 220 compteur soit un régime de 8.000 tours sur le dernier rapport où le shiftlight s’affole. Et à vitesse légale en 5e, on est quasiment sur le point de post combustion. Le caractère débordant du power bike est donc bien là et relativement disponible, la désirable violence en moins. De quoi tout de même perdre un maximum de point mais surtout prendre un max de plaisir... et de pression d’air. Caché derrière les instruments, on guette la sortie.
Départementales
Difficile de se laisser aller à la balade bucolique avec un dragster. Si la garde au sol un peu réduite limite les ardeurs les plus folles, c’est plutôt la fête dans les sorties de courbes. Il reste tout de même 14,5 daN.m à 5.000 tr/min (sur les 16,7 daN.m à 6.500 tr/min en full) pour ponctuer le bitume de sévère virgules.
Le grip excellent des Bridgestone BT023 R ne saurait toutefois vous prémunir de désagréables moments sous la pluie avec une telle armada. D’autant que, étonnamment, l’anti-patinage est absent du V-max. De quoi apprécier l’excellence de la commande électronique des gazs, douce et précise.
Ne reste alors qu’à se concentrer sur le pilotage. Le grand gabarit du culturiste aux diapasons se montre plutôt agile mais n’aime pas trop l’improvisation. On bondit de virage en virage mais ceux -ci doivent être pris avec plus de mesure car les cale-pieds frottent vite. De même l’avant un peu flou car trop souple d’origine et des suspensions mal accordées n’en font pas la reine de la virole. En revanche, le freinage est au dessus de tout soupçon.
Partie-cycle
L’équipement embarqué impressionne et le cadre assure une rigidité optimale à l’ensemble. Fourche de 52 mm et amortisseur demandent cependant à être correctement paramètres. D’origine, les grandes courbes la font se dandiner à chaque bosse. Raffermis, l’avant se montre plus précis et travaille plus finement avec l’arrière.
Freinage
L’attaque des étriers est franche. La puissance disponible, très correcte, débarque dès la prise du levier mais, étrangement, une pression plus appuyée ne semble guère l’augmenter. L’élément arrière se montre très convaincant, assistant efficacement l’avant.
Confort/Duo
Une assise aussi accueillante que ferme, une suspension arrière de même type... la V-max fait dans le confort mini. Le strapontin de l’accompagnant n’autorisera des déplacements en duo qu’entre deux terrasses de café, avec l’option nouveau passager à chaque fois, tant vous risquez de perdre le précédent.
Consommation
1700 cm3, 5 rapports et un profil moteur de dragster vident le réservoir de 15 litres en 120 kilomètres. Soit entre 10 et plus de 12 litres au 100... S’il vous reste quelque argent, prenez vite des action chez les pétroliers. Pas mieux que son ancêtre sur ce point et seul défaut récurrent de la machine. De quoi plomber l’ambiance. Voyez le bon côté des choses. Vous pourrez ainsi admirer et faire admirer votre monstre V4 régulièrement, devenant amis avec tous les pompistes des environs.
Conclusion
Hors norme, telle est la 1700 V-max, logique pour une machine superlative. Ce qui ne laisse pas d’étonner dans notre pays hyper réglementé. Cependant, nous ne sommes plus à un paradoxe prêt et l’effet d’interdiction ou restriction joue probablement encore.
Le show bike Yamaha ne fait effectivement pas dans la demi-mesure, tant esthétique que mécanique. Bien qu’il soit, ici, tout de même amputé de près de la moitié de sa puissance et d’une part de son énorme couple, ce nouvel opus en double V n’est pas à mettre entre toute les mains et demande une bonne expérience. Son prix reste, lui, débridé. Et il suit la démesure du produit : 21.990 €... Certes, finition et fabrication sont remarquable mais ont du mal à convaincre de laisser une telle somme, surtout en version française. De plus, la concurrence à bien des arguments. Au jeu des tentations, la première place pourrait revenir à l’exubérante Ducati Diavel, dont l’entrée de gamme est à 17.290 €. Sa partie cycle est redoutable de qualité et son moteur tout aussi enthousiasmant que celui de la Japonaise. Moins extrême, une Harley-Davidson V-Rod exige, selon les version, entre 18.790 € et 19.390 €. Enfin, la monstrueuse Triumph Rocket III Roadster ABS, tarifée à 17.490 €, pourrait également séduire les amateurs de power bike gorgées de couple.
Le mythe V-max se heurte dès lors à des critères purement subjectifs dont l’esthétique sera la principale clef, et la légende, la motivation. Sans oublier la très objective bénédiction de votre assureur et celle de votre banquier.
Points forts
- Caractère moteur
- Qualité de fabrication et finitions
- Sonorité
Points faibles
- Consommation
- Train avant
- Tableau de bord et écrans
Concurrentes : Ducati Diavel, Harley-Davidson VRod, Triumph Rocket III
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