Essai Triumph Rocket III Roadster
Avoir la plus grosse
S'il est valorisant de rouler carrosse avec une machine dont on sait qu'elle n'a pas d'équivalent, il reste à savoir s'en servir. Avec la Rocket III Roadster, on navigue en orbite autour du moteur le plus coupleux de la production. Pas si simple.
Rien à faire. Même après avoir roulé avec une 1800 Goldwing et ses 400 kg, la nouvelle Triumph Rocket III version roadster ultime, en impose tout de même. Pas tant par son poids de 373 kg tous pleins faits que par son gabarit. L'univers du plus gros moteur jamais construit pour une moto de série semble être celui d'humains à échelle 1,5.
Découverte
Selle large, ferme et accueillante, les galbes généreux dessinent surtout le réservoir pour la partie carrossable d'une moto assez dépouillée. Un garde-boue avant, un garde-boue arrière, un énorme pneu de 240 mm et une asymétrie de part et d'autre du réservoir flanqué du logo Triumph. Côté gauche, un carter d'injection souligne la présence du trois pattes par ses ondulations de chrome. A droite en brut de fonderie, c'est la même identité, plus mécanique, qui est soulignée par la sortie des collecteurs d'échappement (3 en 1 en 2) de l'inédit moteur de 2.294 cm3. Une fois le bouilleur entraîné par le démarreur, c'est bien de cela qu'il s'agit : la sonorité est à la fois velours et mécanique. Klonck façon Béhème.
Léché, le tachymètre indique tout à la fois la capacité du réservoir par une jauge électronique que le rapport enclenché et les kilomètres restant à parcourir avant la panne.
Et là, tout dépend de ce que l'on fera des rapports suivants. Sachant qu'à allure modérée et style coulé, on peut atteindre les 300 km sans s'ennuyer. La moyenne de l'essai était de 8,6 l/100 km pour une capacité totale du réservoir de 24 litres. La première arrache sans mal les presque 400 kg de la bête. La seconde, puis les autres vitesses suivent dans le même bonheur. Facile, le plus gros moulin du marché! Seules les manoeuvres à basse vitesse nécessitent d'avoir l'habitude tant le guidon assez large (970 mm) tombe du côté où l'on braque.
Roadster ou custom ?
Ce bras de levier nécessaire pour démultiplier la faiblesse physique du pilote sera à la fois la force de la machine et son talon d'Achile. En circulation resserrée, type périphérique parisien, il représente un handicap au jeu de la remontée des files à l'arrêt. Dès lors que le flux s'étire un peu plus, il permet de balancer sans peine la machine d'une voie à l'autre, presque sans effort. C'est qu'à l'arrière comme à l'avant, la surface au sol des pneumatiques est sans équivalent. Respectivement celle de pneumatiques de 150 mm et 240 mm.
Les premiers kilomètres se font au rythme de la découverte, période où l'on apprivoise le gabarit comme la boîte de vitesses. Et l'on perçoit très vite que le couple dantesque de presque 23 mKg n'est pas que théorique. Sur le cinquième et dernier rapport (un ou deux de plus passeraient inaperçus) comme sur les intermédiaires, la force d'inertie de ce moteur propulse l'ensemble avec le velouté d'un trois-pattes et la puissance inhérente à une telle cylindrée, donnant l'impression que la machine se soulève à la moindre rotation appuyée du poignet droit, un peu comme un scooter si l'on exagère la sensation.
A 2.300 tr/min, on croise alors à 100 km/h, en trouvant cette machine plus custom que roadster. La position les bras tendus par ce très large guidon l'indique d'ailleurs, tant ce roadster semble à des années lumières de l'orientation de plus en plus sportive de cette famille de motos. Aux premiers virages, cette impression nécessite d'être mise à l'épreuve du réel. Flanqué de l'ABS, la Rocket tranquillise alors son pilote, enclin à freiner tard sans la crainte liée au poids de l'équipage. Premier virage et première surprise. Malgré son pneu ultra large, la Rocket prend de l'angle sans que l'on ait à forcer le mouvement, s'inscrit sainement en courbe tandis que le poids toujours présent sur le train avant permet d'envisager l'exercice avec sérénité.
Frein
Au fil des virages, la confiance vous gagne tandis que le poids se fait oublier grâce en partie à la présence du moteur qui permet tout à la fois de s'extraire d'une courbe serrée que de relever la machine pour la présenter sur l'autre flanc, prête à avaler la prochaine arabesque de la chaussée. C'est ce type de volutes que la Rocket incite à prendre, à rythme soutenu mais sans se prendre au jeu de l'attaque pure et dure. Pour cela, le catalogue de la production motos regorge de références. La philosophie de la machine permet de se faire plaisir avant d'être rattrapé par la garde au sol. Ca tombe bien. Plus vite, il aurait fallu un freinage un peu plus incisif pour mieux doser l'effort. Si l'élément avant est efficace et endurant, on ne retrouve pas le mordant spécifique de la marque d'outre-Manche. Surtout, on apprend, comme sur un custom, à se servir du frein arrière pour casser d'abord l'inertie d'un moteur dont les pièces en mouvement continuent de pousser l'ensemble via le cardan, même une fois les gaz coupés. Cela permet de s'assurer que la machine est en ligne avant de serrer le levier et d'asseoir la moto en courbe, voire de lécher le disque arrière pour resserrer un virage un peu optimiste. Pas de crainte d'être à l'arrêt en sortie de courbe, il suffira de donner un léger coup de gaz pour s'extraire avec les honneurs de n'importe quelle épingle. Et de profiter de la sonorité mécanique du trois-pattes. Rauque ce qu'il faut.
Douloureuse
Loin de ce terrain de jeu où la Rocket tient à son aise le pilote, quelques bandeaux d'asphalte ennuyeux sont à proscrire. L'autoroute en premier lieu, les routes secondaires droites et monotones ensuite. Plus roadster que custom, finalement. Sur le rail autoroutier, le guidon large contraint le pilote dans une position pas très anatomique. Les bras légèrement relevés au point d'avoir la sensation d'avoir la tête enfoncée entre les deux épaules, les trapèzes souffrent, même à l'allure modérée des 130 km/h autorisés. Un calvaire à la longue, qu'un pare-brise ou un saute-vent permettrait de soulager un peu. Bras tendus, c'est au tour des genoux de montrer quelques signes de fatigue. L'asymétrie du réservoir, si elle confère de la personnalité à la machine, n'est pas un cadeau pour les muscles intérieurs des articulations. Impossible d'envisager de grippe-genoux. L'accessoire trouverait sa place à droite mais rendrait disgracieuse la ligne de la machine. Comme sur les anciennes Buell et leur boite à air asymétrique et extravagante, on se résout à souffrir pour que la Rocket soit belle. Et tais-toi.
Conclusion
C'est un peu cela la Rocket. Une machine ultime dans sa cylindrée comme dans ses performances dont le couple n'est pas castré par la loi des 100 ch (148 ch en version libre et 106 ch pour l'Hexagone à 5.750 tr/min). A l'usage, cet objet rare qui s'échange contre 16.900 € ne sera jamais le plus pratique ni le plus efficace. Encore moins utilitaire. Au même titre qu'une MV Agusta ne sert à rien pour aller chercher son pain, la Rocket ne sert qu'à se faire plaisir en se distinguant au guidon de la plus grosse machine de la production. Et avoir la plus grosse n'est pas plus inutile que d'avoir la plus rapide.
Points forts
- Peu de transfert de masses au freinage
- ABS très rassurant
- Reprises dantesques
- Sonorité
Points faibles
- Confort/position/guidon large
- Poids handicapant à très basses vitesses
- Prix élevé
Concurrentes : Kawasaki VN 2000, Triumph Rocket Touring, Yamaha XV Warrior 1700
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