Comment rouler vite à Pikes Peak
Une course mythique : 19,93 km de long, 156 virages dont 18 épingles, 1440 de dénivelé avec un départ à 2862 m
Comment déjouer les pièges à plus de 215 km/h au ras du ravin avec le ciel comme horizon
Pourtant, la course de Pikes Peak fait partie des 10 courses les plus suivies au monde, en plus d'être l'une des plus anciennes puisqu'elle remonte à 1916. Le 25 juin 2017, les concurrents attaqueront la 95ème édition de cette course mythique, remportée pour la première fois par Rea Lentz, un jeune pilote de 22 ans, sur cette route aménagée par Spencer Penrose, propriétaire d'un hôtel à proximité.
On se souvient tous du duel entre Audi et Peugeot au milieu des années 80, avec des pilotes de la trempe de Michèle Mouton et Ari Vatanen. Si vous avez échappé à ce moment fort de la course automobile, googueulisez le film "the climb dance", la danse vers les nuages ! Ça dure 5 minutes et c'est très éclairant sur les conditions que rencontrent les pilotes. Et que ceux qui disent que l'attrait de Pikes Peak a baissé en 2012, quand le tracé a été entièrement goudronné, se trompent : si les pilotes glissent moins, ils arrivent toujours plus vite et le droit à l'erreur n'existe pas. Le record est aujourd'hui de 8 minutes et 13 secondes, grâce à Sébastien Loeb et à une Peugeot très spéciale (875 chevaux pour 875 kilos et le 0 à 100 couvert plus vite qu'une Formule 1, en 1,8 secondes).
Mais il n'empêche : qui peut le plus peut le moins et savoir déjouer les pièges de Pikes Peak peut faire de vous, sans aucun doute, un bien meilleur motard sur le périphérique parisien ou les petites routes du Var !
Ainsi, nous avons pour cela demandé l'avis du pro : Bruno Langlois, qui a remporté 2 fois l'épreuve, une fois sur une Ducati Multistrada et une autre fois, l'an dernier, sur une Kawasaki Z 1000, comment faire pour rouler vite à Pikes Peak. Nous avons rencontré Bruno sur l'essai de la Kawasaki Versys-X 300 (il était notre ouvreur de luxe !) et il a bien voulu nous livrer quelques secrets. Qu'il en soit ici remercié !
Bruno, c'est quoi, la clé pour être rapide à Pikes Peak ?
Comme il s'agit d'une course sur route, la même règle s'applique que lors des rallyes routier : pour rouler vite, il faut reconnaître le tracé. La seule différence, c'est que l'on n'est pas sur une spéciale de 2 kilomètres, mais sur un sprint de presque 20 kilomètres, avec 156 virages et 18 épingles, sur plus de 1400 de dénivelé. Ça change tous les paramètres.
A chacun sa méthode, mais moi je suis un pilote très méthodique et travailleur. J'apprends les virages par cœur. Il ne faut laisser aucune place à l'imprévu, à l'improvisation. Je reconnais donc tout le tracé, morceau par morceau. J'ai cette faculté que, quand je prends un virage à vitesse normale, comme c'est le cas lors des reconnaissances, je sais à quelle allure je vais pouvoir le prendre lors de la course. La reconnaissance, c'est absolument fondamental, car tu n'es pas uniquement à gérer un virage à droite qui succède à un virage à gauche. C'est un trou, une bosse, de la peinture, y'a des endroits où tu peux taper la peinture, d'autres où tu ne peux pas
Dans quel état d'esprit on se trouve, sur la ligne de départ ?
Avant le départ, je me récite tout ce que je dois faire pendant la course et là, il n'y a pas de place pour le hasard ni pour les émotions. Là, je ne fais que ce que j'ai à faire, rien de plus que ce qui n'a pas déjà été répété. Je suis très concentré, y'a pas un virage qui me saute à la gueule, j'ai toujours un coup d'avance.
Il y a des jeux vidéos qui ont le tracé de Pikes Peak, ça t'aide ?
Non, pas du tout, même si Pikes Peak est associé à Gran Turismo et quand on arrive en haut, Gran Turismo récupère toutes nos cartes et ils s'en servent pour modéliser le tracé et c'est pour cela que c'est aussi réaliste. Mais non, je ne m'en suis pas servi pour m'entraîner. Evidemment, ça peut servir pour savoir s'il faut tourner à droite ou à gauche, mais moi j'ai besoin de sentir la route et pour cela, il faut que je roule.
Est-ce qu'il y a différentes sections sur le tracé, que tu abordes différemment en tant que pilote ?
Pour moi, il y a trois grosse sections. La première, c'est du départ à la première épingle, c'est assez roulant et j'aime beaucoup et c'est souvent là que je suis le plus rapide. C'est dans cette partie que l'on prend la vitesse maxi, de l'ordre de 215 km/h, mais cette vitesse on la prend plusieurs fois sur l'angle, parfois au-dessus d'un ravin.
La seconde, c'est de la première épingle à en haut de Devil's Playground, là, c'est pas très rapide, avec quasiment toutes les épingles et je me débrouille pas trop mal.
La troisième, c'est jusque l'arrivée. Là, c'est très spécial, car il n'y a plus de végétation. Donc tu ne vois que la route et le ciel, tu n'as plus de points de repère, ça, c'est vraiment caractéristique de Pikes Peak et c'est là que je fais la différence. Faut vraiment y aller au jugé et au plus haut, tu as jusque 600 mètres de ravin.
Quelle marge gardes-tu ? Tu roules à 90, 95 % ?
Je ne réfléchis pas comme ça. Je roule au maximum de mes capacités, au maximum de ce que je peux faire, de ce que je sais faire. Mais j'ai déjà discuté de ça avec d'autres pilotes, on sait qu'inconsciemment, on en garde un petit peu... Sinon je serai fou et si j'étais fou, il me serait arrivé des trucs... Maintenant, faut être un peu maso pour faire cette course. Moi, je reconnais que c'est un plaisir de rouler à 200 km/h au ras du ravin, c'est comme ça, c'est un plaisir. S'il n'y avait pas de ravin, le plaisir ne serait pas le même.
Il y a des pièges ?
Partout. Les bosses, la peinture sur les bas côtés, l'éclairage du soleil, il y a des pièges partout. Et même jusqu'au bout. Il faut savoir qu'en fait, la route va tout en haut de la montagne et qu'à l'arrivée, il y a un minuscule parking en terre et c'est fini. Ca a deux conséquences : les voitures, quand elles redescendent, mettent de la terre partout, donc il faut prendre plus large et être sur une trajectoire pas naturelle. Et il faut couper avant l'arrivée, parce qu'après tu n'as pas la place de freiner si tu déboules à fond. En 2014, un pilote de moto, Bobby Goodin, signe le 4ème temps, mais il oublie ce paramètre. Il décède juste après la ligne d'arrivée...
Et si la route n'est bitumée que depuis 5 ans, tu es quand même en haute altitude, avec de gros orages, donc la route souffre, elle n'est pas bien stabilisée, tu découvres de nouvelles bosses tous les ans.
Comment faut-il préparer la moto ?
Il faut déjà une démultiplication adaptée, puisque les vitesses maxi ne sont pas super élevées, mais malgré les 18 épingles, on monte quand même à 120 km/h de moyenne. Avec les bosses, il faut des suspensions qui fonctionnent très bien. Il faut des suspensions de qualité, des réglages plutôt souples, il y a même certaines sections où je me lève sur les repose-pieds pour mieux amortir, sinon je me fait éjecter de la moto. Je garde les suspensions d'origine, mais leur cinématique est entièrement revisitée. Côté pneus, dans ma catégorie j'ai droit aux slicks, je roule donc avec des extra soft de Continental et ça marche très bien, on arrive aux limites de la garde au sol. J'ai aussi un freinage Beringer, c'est puissant et constant jusqu'au bout, y'a pas de problèmes.
L'an dernier, j'avais aussi une électronique Motech, avec un tableau de bord de World Superbike et un antipatinage très évolué. Du coup, tu sors des épingles en première et tu mets à fond, avec 200 chevaux et ça marche bien, j'ai vraiment pris mon pied !
Quel est l'impact de l'altitude ?
Il est énorme. Les ingénieurs de chez Peugeot estiment la perte de puissance à 1 % tous les 100 mètres, donc tu perds un bon 15 % de puissance durant la course. Déjà, dès le départ à près de 2900 m, la moto ne donne pas tout son potentiel. Mais la puissance ne fait pas tout. L'an dernier, je suis parti avec une Z1000 préparée par Akira et elle sortait 200 chevaux. On s'est demandé si c'était trop, ou pas. Alors pour cette année, Akira m'a préparé une Z900 et on a d'abord fait des tests avec 170 chevaux. Mais en fait elle va être poussée à 205 chevaux. Rouler en full-full power, c'est mieux !
L'altitude change aussi la pression des pneus, il y a 300 grammes de différence entre le haut et le bas. Il faut donc faire des tests pour essayer de trouver le bon compromis, la bonne pression au moment du tracé sur lequel tu vas faire la différence. C'est un truc de dingue de devoir gérer ce genre de détails. C'est un problème qui n'existe qu'à Pikes Peak, mais c'est un gros problème.
Qu'est ce qui fait que Pikes Peak est une course différente des autres ?
Déjà, c'est un long voyage d'aller dans le Colorado. Cette montagne, elle est magnifique et cette route est magique. Je n'ai jamais vu une route comme ça. Cette route, elle est unique. Elle monte dans les nuages, tu ne vois que la route et le ciel, avec des courbes qui passent à fond, c'est vraiment chaud. Y'a pas d'équivalent. Mais c'est hyper excitant et c'est dans cet exercice là que je me débrouille pas mal.
Et Pikes Peak, c'est hyper populaire aux USA. Quand j'arrive à la douane et qu'on me demande pourquoi je viens, le douanier me regarde avec un grand sourire et me souhaite bonne chance. Quand on est étranger, gagner à Pikes Peak, c'est énorme. D'ailleurs, je suis plus connu aux USA qu'en France !
Plus d'infos sur Pikes Peak
- Le site de l'organisateur : www.ppihc.com
- Tous les conseils
Commentaires
Intéressant mais poas sur que ça me soit très utile pour de belles traj sur le mont Ventoux. De bons de pneus, de bons freins ça sera déjà pas mal.
22-06-2017 14:30Qui peut le plus peut le moins ! Y'aurait une belle course de côte moto à faite au Mont Ventoux !
22-06-2017 15:38La course de côte, c'est déjà un truc de couillu. Demandez aux pistards ce qu'ils pensent de ceux qui font le championnat de la montagne. Alors, les couses de côtes sur des montagnes d'exception, c'est vraiment quelque chose pour les extra-terrestres !![clin d'oeil clin d'oeil](http://www.lerepairedesmotards.com/forum/../img/emoticons/wink.gif)
04-09-2017 10:28Chapeau bas Bruno !
30-05-2018 18:47Débrancher le cerveau ?
30-05-2018 18:53