De la justification du choix de la moto

De la critique de la raison pure

Attentes réalistes

Je m'amuse beaucoup à écouter les uns et les autres justifier leurs choix de moto, entre celui qui en fait des tonnes, celui qui n'assume pas trop, celui qui cherche l'approbation auprès de ses potes. La moto est une manifestation de cette vie sociale dont il est si difficile de s'isoler.

Sans aller jusqu'à la caricature "T-Max à Sturgis", dans un groupe qui ne le connaît pas, un motard est jugé en fonction de la moto sur laquelle il roule, tant sont profondément enracinés en nous ces mécanismes de ségrégation qui nous font instinctivement ranger les individus en deux catégories : les "de ma bande" et les "pas d'ma bande".

Comme je te l'ai déjà rappelé, l'une des sources du mal-être provient du décalage entre ce que nous sommes et ce que nous voulons être. Tu voudrais être Bruce Banner, Peter Parker ou Tony Stark, alors qu'en fait tu es Benjamin Banal et Mathilde Usuelle -moi c'est KPOK, enchanté. Nous visons un peu ou beaucoup trop haut par rapport à ce qui nous est réellement demandé, par rapport à ce que nous pouvons fournir en restant à l'aise. C'est entre autres pour cela que tu vois débarquer sur le forum des minots qui rêvent de R1 ou de Gex' contre toute logique ou prudence.

C'est une chose que j'ai découverte récemment : en psychothérapie, le but n'est pas d'aller mieux, mais plutôt d'aboutir à un état de mal-être plus supportable, que l'on maîtrise à peu près. L'objectif n'est pas de devenir un bouddha, mais juste Claude Cool, avec la satisfaction d'avoir été plus tôt Claude Quetouféchié et d'en être revenu.

Dans certains cas, je trouve l'exercice de justification de monture assez attristant : le gars ou la fille en fait des tonnes pour essayer de nous convaincre de la justesse de son achat. J'ai mal pour lui ou elle ; j'ai pour penchant de prendre sa défense face à l'habituel gras qui ricane ou qui vanne. Se moquer des motos des autres est encore socialement encouragé en Motardie. La honte est pourtant si collante. Il est si difficile de s'en défaire. Et je tombe alors souvent dans le travers du type qui-sait-mieux-que-toi-ce-qui-est-bon-pour-toi, ce qui m'agace prodigieusement.

Ceci me conduit non pas au rejet des conclusions hâtives mais leur incertitude et la faiblesse de leurs arguments qui fait naître en moi le désir de sauver le motard par le moyen d'un examen critique des possibilités de la raison.

Le fait qu'aucune réponse ne s'impose ne suffit pas à disqualifier les questions et l'indifférence apparente des autres masque en fait des positions inavouées et infondées. Et on en vient à créer un tribunal, c'est-à-dire la mise en place de règles pour l'exercice de la raison en dehors de l'expérience.

Alors pourquoi juger ? A chaque motard de trouver sa moto, sa voie, en son âme et conscience, sans besoin de justification, ni peur du regard de l'autre, juste par passion de la moto et d'une certaine forme de liberté.

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