Chronique : Anatomie du pur motard

Par Zingaro

Je repense à cette bande d’authentiques tarmos en cuir élimé qui nous avaient déclaré quand nous leur avions parlé du Repaire (je cite de mémoire) : « Ouais, nous, les motards qui vont sur internet ça nous fait bien marrer. C’est des mecs qui parlent beaucoup mais qui roulent pas des masse, voire pas du tout. ». Notre groupe, qui revenait de 1700 km de route en quatre jours (nous participions à la Tortue) s’est bien marré aussi pour le coup.

Nul n’a besoin de leçon ni vraiment de faire ses preuves une fois que le vécu de la route a parlé. Aussi c’est sous forme de fable que je me prends à réfléchir sur ce qu’est un pur motard.

Le complexe de l’hermine

Jean-Kevin vient de se payer une Hadasuda 1000 S. Il est très fier. Après avoir longtemps stagné dans la catégorie peu glorieuse des moyennes cylindrées, il a enfin les moyens de s’offrir la cour des grands : Une Hadasuda 1000 S 2008 réplica édition limitée. Les mous du genou n’ont qu’à bien se tenir, la route a un nouveau maître. Bien sûr, il ne condescend plus qu’à s’adresser à des pilotes du même tonneau. C’est la raison pour laquelle il s’est inscrit au HMCORM (Hadasuda Moto Club Of Real Motard). Il s’y sent comme chez lui, toutes les autres bécanes ne sont pas dignes de côtoyer sa monture lustrée, briquée, récurée deux fois par semaine. Au sein du HMCORM, il y a quatre courants et les tensions sont parfois vives entre les propriétaires d’Hadasuda 600 S, Hadasuda 600 R, Hadasuda 1000 R et enfin, la crème de la crème, les béats possesseurs d’Hadasuda 1000 S. Les tensions ont été si vives que les 600 ont fini par faire scission et monter leur propre club… ce qui n’a pas réglé pour autant les casus belli. En effet Jean-Kévin passe son temps à réfléchir à un nouveau courant au sein des 1000 S : Les 1000 S réplica. Depuis une semaine il va de l’un à l’autre pour consolider sa dissidence. Le club bruisse de mille rumeurs, les esprits s’agitent et puis un jour, un tract se met à circuler de mains en mains :

Possesseurs de 1000 S Réplica
Vous en avez assez de côtoyer des roadsters qui ne peuvent pas rouler sur circuit et dont les guidons défigurent la ligne très pure et racée de nos superbes Hadasuda ?
Et sur circuit vous en avez assez de rouler avec des motos qui n’en portent même pas les couleurs et qui ne sont pas assortis aux combinaisons ?
Rejoignez le cercle très prisé des authentiques bêtes de courses.
Rejoignez les HR (Hadasuda réplica).

Panique et fureur au sein du club. La rébellion se vit contrainte de faire ses valises et d’aller voir ailleurs. Ce qui permit à Jean-Kévin de fonder son club de véritable motard (Oui, c’est au singulier car Jean-Kévin, après avoir voulu restreindre son club aux motards portant les couleurs du même pilote que lui… se retrouva seul.). Mais Jean-Kévin s’en balance. Il peut légitimement bomber le torse, convaincu qu’il est d’être le dernier membre d’une digne caste : le pur motard.

Où la boîte de vitesse ne fait pas le moine

Tous les jours Jean-Kévin affronte le périph de Paname. Tous les jours il risque sa peau dans un étroit couloir de bitume jalonné de part et d’autre de voitures et camions. Matin et soir il peste et vitupère contre ces scooters de malheur qui séduisent tant de jeune cadres dynamiques et affairés. Evidemment, il ne les salue pas, ne les remercie pas… Ce ne sont pas des purs, ce ne sont pas des motards. La preuve : ils ne roulent pas en moto.

La caste à laquelle Jean-Kévin pense faire partie est une aristocratie qui se mérite. La patte blanche est de rigueur; n’est pas chevalier de l’asphalte qui veut. L’adoubement doit se faire à coup de chronomètre, de plots, de slaloms et de fiches techniques. Lui l’a fait. Il est un pur. La preuve : il ne salue pas les scooters. Et puis un jour, sur son trajet quotidien (Périph – Boulot – Cantine – Boulot – Périph), une voiture déboîte sans cligno (un classique), il heurte alors violemment le bitume tandis que sa moto poursuit sa route dans une gerbe d’étincelles. En reprenant ses esprits il s’aperçoit qu’on lui parle. Un type avec un blouson de cuir, tente doucement de le rassurer. Plus loin deux hommes et une femme, casque sur la tête, sécurisent la voie et préparent l’arrivée des secours. Les automobilistes baissent leur vitre pour mieux apprécier l’ampleur des dégâts (voilà un sujet de conversation neuf et croustillant pour les tièdes potins de la machine à café). La nausée le saisit, puis, l’angoisse : « Ma moto ? » articule-t-il la gorge nouée. L’homme au blouson de cuir lui sourit « Te bile pas mon pote, elle n’a presque rien. Je te suivais, j’ai tout vu. Te reproche rien, va, tu ne pouvais rien faire. J’ai pris la plaque et le numéro du chauffeur. » Alors notre pur motard se mit à sourire. Qu’il faisait bon être membre de cette généreuse confrérie. De la solidarité, de la générosité, voilà ce qui devrait toujours cimenter cette solide famille. Il en était là de son constat quand les pompiers arrivèrent. Son ange gardien lui glissa une carte de visite dans la poche en clignant de l’œil : « Au cas où tu aurais besoin d’un coup de main. Quoi qu’il en soit tiens moi au jus. Bonne chance. »

Avant de pénétrer dans l’ambulance Jean-Kévin eut le temps d’apercevoir son protecteur enfiler son casque et enfourcher son scooter pour retourner affronter le périph.

Epilogue

Ces deux petites fables n’ont pas la prétention de faire la leçon ou d’apporter de réponse définitive.

Néanmoins il faut se méfier de questions identitaires qui nous pousseraient dans le champ de la division. Cela semble paradoxal puisque notre petite communauté revendique au contraire une grande solidarité. Alors qu’est-ce qu’un pur motard ?

Pour ma part, je l’ignore et je m’en moque. Il me semble qu’est motard celui qui prend la peine de s’arrêter pour aider un deux roues en détresse, celui qui salue tout autre motard… qu’il roule en japonaise, en européenne, en 125, en trike, en side, etc…

Notre solidarité ne doit pas se morceler en étiquettes plus ou moins communautaires.
Ce qui fait notre ciment, c’est notre fragilité sur la route. Cette vulnérabilité a permis de souder notre solidarité.

Forums, sites, concentrations résonnent toujours à un moment ou à un autre de cette cruciale question : Qui est un authentique motard et qui n’en est qu’une forme édulcorée, un ersatz bien fade ? Cette question identitaire semble bien souvent une préoccupation majeure. Combien de fois avons-nous croisé ce type d’interrogations :
Les 125 sont-elles des motos ? Et les scooters ? Je ne roule pas quand la neige dépasse les 20 cm, dois-je subir une peine de bannissement ? Je n’ai pas salué un type en custom, ai-je bien fait ? etc.
Notre peur de la mise au banc du groupe est-elle donc si forte ? N’est-ce pas encore justement une preuve que la famille motarde existe toujours, puisque nous éprouvons l’angoisse de ne pas en être digne ou d’en être exclu ? Difficile à dire tant ils sont nombreux ceux qui rejettent leur congénère sous prétexte que leur boîte de vitesse est automatique, que leur bécane est fabriquée outre Rhin, que leur empattement est un peu long, qu’il leur manque 375 CC, etc...

Finalement peut-être que la seule réponse possible à la question « Qu’est-ce qu’un pur motard ? » est : Tous. Nous le sommes tous dans notre fragilité, notre bienveillance et notre solidarité.

Je dédie cette chronique à tous ceux qu’on ne salue pas parce qu’ils roulent en gros scooter, en 125, en trois roues, en machine teutonne (mais, c’est bien connu, c’est eux qui ont commencé) en custom, etc. A tous ceux qui n’aiment pas rouler dans le froid ou sous la pluie.

PS : Je ne connais aucun Jean-Kévin si ce n’est celui de KPOK, il ne s’agit donc aucunement d’une vague rancune inconsciente contre les porteurs de ce si charmant prénom.