Roman : René (épisode 50)
Episode 50 : Accroche-toi, c'est pas fini…
Voilà, fin de la première course… Fin ? Pas vraiment ! Tu sais que le soir de chaque épreuve une soirée est organisée dans l'hôtel logeant les acteurs du mondial SBK ? Non… ? Ben, si…
Cette soirée, même si tu me le demandes à genou, je vais pas te la raconter ! La chose serait proprement indécente, enfin… t'as pigé… !
Sache simplement que le boss de BIMOCATI, Joan-Paolo DAUTRICOURI, sorte de Playboy à la mode ritale, est venu honorer de sa présence le team GAGA. Devant les résultats inespérés obtenus par René, celui-ci s'est empressé de proposer un contrat au Respectable pour la saison complète. Mais L'Ancien était déjà trop bourré pour être en mesure de comprendre quoi que ce soit…
Maurice a encore fait usage de sa mixture…
Le duo journalistique BLANCONOVICH/JBT s'est fait remarqué par un duel assez particulier : un verre comprenant la compilation de l'ensemble des alcools du bar, puis une fille, puis un verre, puis… A ce petit jeu, c'est l'gars BLANCO qu'a déclaré forfait : au bout du quatrième verre, un énorme ronflement a couvert l'orchestre dont la sono turbinait pourtant à plein régime !
Ha ! J'allais oublier ! Au début de la soirée, voir même un peu avant, le portable du Respectable n'a pas arrêté de sonner… Le monde de la moto est un petit univers ou les nouvelles vont très vite. C'est d'abord JP MOUGIN, le président de la fédé française qui a tenu à féliciter l'Ancien, puis ROSSI himself, Christian SARRON ensuite, et tout un panel de personnalités du milieu du deux roues, voir aussi de personnages a priori aux antipodes de la bécane tel Frédéric DARD, ayant vu les courses à la télé, mais surtout le spectacle sur le podium, et voulant écrire un nouveau SAN ANTONIO mettant en scène not' bon René national… Les appels se sont ainsi succédés sans discontinuer une bonne partie de la soirée, jusqu'à ce que Pépère décide de débrancher son portable pour avoir la paix !
A peine René avait-il coupé son phone, que la direction de l'hôtel le faisait appeler pour lui demander de répondre à une communication urgente venant de France. Le Respectable a d'abord refusé, puis, devant l'insistance du directeur, a accepté de répondre en maugréant :
« Ouais, c'est pour quoi !!!??? » a t'il demandé une fois le combiné à l'oreille.
« Ici l'Élysée, ne quittez pas… » lui a répondu une voix féminine…
Stupeur de l'Ancien qui se demande s'il a bien entendu !
« Monsieur GEDEUFOITRENTANS, fait soudain une voix à l'intonation familière, c'est moi, Jacques CHIRAC, le président… »
Là, heureusement que Pépère est bien installé dans le fauteuil du bureau que le directeur a laissé à sa disposition…
« Si, si, c'est bien moi…, reprend la voix au bout du fil, je tenais à vous féliciter d'avoir fait retentir notre hymne national si loin et vous invite à venir me rencontrer mercredi, en fin de matinée, juste avant le conseil des ministres. Faut dire que j'ai un emploi du temps très serré, mais la moto et moi, c'est une vieille histoire, alors j'ai décidé de me libérer pour avoir la possibilité de vous rencontrer. Une voiture viendra vous chercher. Je peux compter sur vous ? »
René, quelque peu sonné, s'entend répondre « Oui, monsieur le Président… », puis l'illustre personnage a raccroché sans rajouter un mot…
La tronche de l'Ancien regardant son portable, blême comme
un linge…
Pourtant, tu commences à le connaître, le gars René,
pas du genre à montrer ses émotions, si ce n'est pour
se faire entendre. Mais là, on dirait qu'il vient de faire
une rencontre du troisième type…
L'équipe, alertée par la mine du Respectable, s'est aussitôt inquiétée :
« Un problème René ? », a demandé son frangin en se précipitant.
« C'était Jacques… », a aussitôt répondu Pépère, l'air absent.
« Jacques Use, ton pote avocat ? »
« Non, le Président… »
« Le…, me dit pas que c'était… », bafouille le Liquéfié en zieutant son frère d'air soupçonneux, comme si ce dernier venait soudain de verser dans l'irréversible régression de l'être atteint par la limite de ses capacités…
Là, à l'évocation du mot « Président », tout le team s'est tu, incrédule. Chacun semble attendre une explication sur un fait encore plus énorme que ce que René a effectué quelques heures auparavant sur la piste !
« Si, finit par lâcher Pépère, c'était le Président de la République en personne… »
« Hein !!! T'es sûr qu'on t'as pas fait une blague ??? »
« Non, non, j't'assure, c'était bien lui ! J'ai bien r'connu sa voix, et y m'invite mercredi matin à le rencontrer à l'Elysée… »
« M…de !, fait Max, alors là…, t'as pas de limites, toi… Décidément ! Et t'as répondu quoi ? »
« Ben…, j'crois qu'j'ai dit oui… En fait, j'sais plus vraiment… »
T'aurais fait quoi à sa place… ?
Le mal au crâne du lendemain matin, j'te dit pas…
En plus, faut reprendre l'avion pour regagner la France. Pour permettre à René de se reposer, un jet a été spécialement affrété par l'usine BIMOCATI, histoire de lui éviter la cohabitation avec les journalistes. Tu sais quoi ? Le pilote est le même qu'à l'aller ! Celui-ci, devenu adepte de la potion à Maurice, je peux te dire que pour certains, le vol été plutôt… mouvementé !
Des précautions ont été prises afin de préserver l'anonymat à l'arrivée sur l'aéroport parisien, mais c'était peine perdue ! Dans le milieu, y'a toujours des petits malins pour déjouer les supercheries, et l'Ancien est accueilli comme un véritable héros sous un tonnerre d'applaudissement par une foule enthousiaste se pressant dans le hall de débarquement.
René, bien que disponible et aimable (si, si… comme il a profité pour en écraser un max, le Vieux est plutôt de bonne humeur, requinqué et finalement assez fier de lui, ayant eu le temps de digérer son exploit), mais bon, ce genre de mondanité, c'est pas vraiment son trip. Mais il se plie de bonne grâce au petit jeu des autographes et du mitraillage photographique, sachant que désormais, plus rien ne sera tout à fait comme avant. En acceptant la proposition de Max, il fallait s'attendre un peu à ça, même si le résultat est au-delà de toutes les espérances les plus folles…
Regagnant son domicile, il passe par le sous-sol ou dort sa fidèle V6 et jette un tendre regard vers cette dernière. Il sourit en hochant la tête ; que de chemin parcouru depuis les premiers tours de roues sur cette monstrueuse moto qui l'a fait basculer d'un coup dans l'univers actuel du deux-roues !
Quel plaisir aussi de retrouver son fidèle fauteuil, sorte de port abrité ou il peut enfin souffler après avoir affronté – et de quelle façon – les déferlantes du circuit australien. Il est maintenant chez lui, goûtant son home comme il ne l'avait jamais fait auparavant. René tombe la veste, enfile ses chaussons, et se hâte de se lover au contact du confort douillet du velours qui semblait attendre cette étreinte au goût un peu particulier aujourd'hui.
Puis soudain, Pépère craque et se met à chialer comme un gosse ! L'accumulation de tout ça, même pour un gars de sa trempe, ça commence à faire beaucoup pour un seul homme…
Maurice, un peu en retrait, a assisté à la scène :
« Vas-y, dit-il doucement, se parlant surtout à lui-même, vas-y mon frère, laisse toi aller, tu l'as bien mérité : ce que tu as réussi à accomplir, y'a pas grand monde sur cette planète qui auraient été capable de le faire… »
Puis il s'éloigne doucement, laissant René seul avec lui-même…
Mercredi matin, le Respectable est debout de bonne heure, un peu plus fébrile que d'habitude. Pourtant, il a fait comme à l'ordinaire : petit déjeuner léger, footing et douche froide, puis re-déjeuner un peu plus copieux, pour enfin lire (enfin…, tenter d'en lire une partie) le courrier qui inonde la boîte aux lettres, ainsi que son journal. Dans ce dernier, en première page, il est fait écho d'un vieux monsieur qui vient de bouleverser l'histoire de la course motocycliste, et pourtant, dans ce type de quotidien, la moto fait rarement la une… Là, un article complet est consacré à présenter le « phénomène », et il est signé… Grigou The Kick !
Dans celui-ci, le journaliste évoque la récente carrière du Respectable, depuis la prise de conscience de son immobilisme dans l'exercice de sa passion jusqu'au GP d'Australie, en passant par le stage au Mans avec SARRON. Il décrit l'incroyable volonté de son ami à défier le poids des ans et l'émergence d'un talent fou à une période de la vie où, généralement, on passe plutôt le plus clair de son temps à ressasser les souvenirs en les enjolivant de jour en jour.
René esquisse un sourire en lisant les éloges de son pote à son sujet. Va falloir qu'il lui explique comment il s'y est pris pour piger dans un truc aux antipodes de la moto !
L'Ancien est soudain sorti de sa lecture par un Maurice qui s'adresse à lui d'un ton excité :
« René ?!!! Y'a une grosse bagnole qui vient de sa garer devant la maison, avec deux flics en moto !!! »
Pépère se lève tranquillement, va vers la fenêtre et écarte doucement le rideau. Pas de doute : une énorme limousine avec une cocarde tricolore au pare-brise, deux motards de la police en tenue d'apparat, un chauffeur en costard noir et une espèce de pingouin à binocles, vêtu comme une gravure de mode dont on aurait ôté toute gaieté, menu mais raide comme la … à Maurice après absorption de la désormais fameuse mixture. Et d'un sérieux, le gus… Sans dec', ce type doit avoir trente cinq ans au plus, mais il fait déjà l'âge de son grand-père, pense René en rigolant de la comparaison d'un gars comme ça et… lui-même !
C'est justement ce curieux personnage – d'après les standards du Respectable – qui sort de la voiture pour venir toquer à la lourde. C'est René en personne qui ouvre la porte. L'autre rectifie sa position, regarde le gars fixement pendant quelques instants, puis demande d'une voix totalement impersonnelle, comme si elle sortait d'une bande enregistrée :
« Monsieur GEDEUFOITRENTANS, je vous prie… »
René, devant la mine de constipé du gus, a décidé de s'amuser quelques instants…
« Ouais…, c'est pourquoi ? Si c'est pour lui vendre un aspirateur, pas la peine d'insister : y'a c'qui faut ici… »
L'autre, un peu décontenancé, répond :
« Excusez-moi, mais je suis le secrétaire particulier de Monsieur le Président CHIRAC. Je réitère en changeant la formulation de ma question : Monsieur René GEDEUFOITRENTANS habite bien ici ? Si oui, pourrais-je le rencontrer ? »
« Ben… Y'm'semble en effet qu'il crèche dans l'coin… Vous lui voulez quoi ? »
« Mmm…mmmm…mais…, heu…, voyons…, il a rendez-vous avec Monsieur le Président. Et la République ne saurait attendre ! répond l'autre un peu courroucé.
René éclate soudain d'un rire franc :
« Vous formalisez pas, mon vieux, c'est moi René. J'avais envie de plaisanter un peu pour vous mettre à l'aise »
« Sachez Monsieur, rétorque le Constipé un peu pincé, que dans les hautes sphères nous ne goûtons que fort peu ce genre d'humour ! »
« Ben alors, vous devez pas rigoler souvent, soupire l'Ancien, mais entrez, je vous prie, le temps que je prenne mon blouson »
« Monsieur GEDEUFOITRENTANS, vous me permettez de pensez qu'il s'agit là encore d'une plaisanterie ??? »
« Hein…, quoi… ? »
« Je parle de votre tenue vestimentaire. Il est inconcevable de se présenter ainsi à l'Elysée sans porter au minimum un costume. Le protocole d'usage exige au moins cette démarche… »
Faut dire que René est vêtu d'un jean et d'un tee-shirt, comme à son habitude…
« Bon, rétorque le Gatouillable amusé, si y'a qu'ça pour vous faire plaisir… J'dois avoir un vieux costard qui traîne dans un placard. Il est pas tout jeune – faut dire que c'est pas l'genre de truc que j'met souvent, j'dois l'avouer – mais j'pense qu'il doit encore m'aller. Vous allez m'attendre à l'intérieur et mon frère Maurice va s'occuper de vous pendant que j'me déguise en perroquet ! Au fait, c'est quoi vot'nom ? »
« Charles Henry Edouard de la Queue Molle, monsieur »
« A vos souhaits ! Vous permettez que j'vous appelle Charles ? Moi, c'est René. Mauriiiiice !!! Tu peux t'occuper du monsieur pendant qu'je m'équipe ? »
« Tu prends ta moto ? », s'étonne le frangin.
« Non, j'met mon costard que j'avais gardé du temps du remariage du vieux… »
Quelques longues minutes plus tard, voilà un René transfiguré qui descend l'escalier…
« Et j'vous interdis de vous foutre de moi ! », déclare aussi vite ce dernier.
Maurice, amusé par l'attitude de son frère, ne peut s'empêcher de dire :
« Ben…, finalement…, c'est moins pire que j'pensais… »
Tu le verrais, l'Ancien dans son costume gris perle, type « années cinquante »… On ne peut pas dire qu'on le sent à l'aise, ainsi accoutré, mais ma foi, il ne s'en sort pas trop mal… à part la cravate ! Heureusement, son frère est là pour peaufiner la présentation. En un tour de main, voilà un nœud impeccable de fait, et un Respectable plus à l'image qu'on se fait en général d'un type de soixante berges passées !
Le Charles Henry, pendant ce temps, est toujours immobile dans le hall d'entrée…
« Maurice ! Je t'avais demandé de t'occuper du Monsieur… », s'adresse René à son frangin sur un ton de reproche.
« C'est pas ma faute, s'excuse le Liquéfié, j'y ai proposé un verre, mais y dit qu'il boit pas. Et il a même pas accepté de s'asseoir ! »
« Charles, décompresse un poil, mon gars – je te tutoie, mais c'est juste pour te mettre à l'aise – t'es chez moi et t'as pas b'soin de jouer les maniérés ! » déclare René à l'intéressé.
« C'est que je suis au service de l'Etat, et en mission commandée ! L'étiquette… »
« Bon, ça va, coupe l'Ancien, mais on pourra pas dire que j'aurais pas fait le maximum pour être sympa avec toi… On y va ? Faut pas faire attendre ton patron ! »
Et voilà notre héros en route pour le palais de l'Elysée !
La limousine marche bon train, aidée en cela par les deux motards qui ouvrent la route toutes sirènes hurlantes. A l'intérieur, le gars Charles tente – avec certaines difficultés…- d'expliquer à René le protocole d'accueil, ou il doit se placer, ce qu'il doit dire ou ne pas dire…, enfin tout ce qu'un type de la trempe de Superpapy exècre par dessus tout…
Au bout d'un moment, mais il n'en dit rien au secrétaire du Président, Pépère commence à se demander si c'était réellement une bonne idée d'accepter une telle invitation !
Enfin, le cortège pénètre les Champs-Élysées, puis tourne à gauche peu avant la Concorde. Y'a du bleu partout, que ça finit par en devenir intimidant. Au fur et à mesure de la progression, René, sans trop savoir pourquoi, commence à avoir une drôle de boule au fond de la gorge…
Cette fois, ça y est, la limousine vient de franchir le porche majestueux du palais présidentiel !
René n'est pas au bout de ses surprises : toute la garde républicaine est présente dans l'immense cour, bien alignée de part et d'autre, et le tapis rouge a été étendu comme à la télé…
La voiture s'arrête pilepoil à hauteur de portière de ce dernier, tandis qu'un groom sapé genre « hôtel de luxe » vient ouvrir la porte en invitant le Respectable à descendre. Ce faisant, Charles recommande à l'Ancien de se tenir au garde-à-vous et d'attendre. Pépère, intrigué, et quelque peu impressionné, s'exécute.
Un roulement de tambour se fait alors entendre, et soudain une haute stature fait son apparition là-bas, par la porte ouverte de l'immense bâtisse au pied de laquelle se trouve l'autre extrémité du tapis : Jacques CHIRAC !
La prestance du président français… ! Celui-ci descend les marches d'un pas souple en gardant la tête droite, puis s'avance pour venir à la rencontre de René. Le Respectable, au fur et à mesure que l'illustre personnage se rapproche de lui, sent son cœur battre de plus en plus fort. A présent, Monsieur CHIRAC est presque à son niveau. Bon sang ce qu'il est grand ! Et surtout, c'est son regard qui impressionne le plus : deux billes noires scintillantes qui semblent te transpercer jusqu'aux tréfonds de ton être, d'une lueur presque insoutenable…
René, tu commences à bien le connaître désormais, n'est pas vraiment quelqu'un dont l'habitude est de plier ou de s'incliner devant qui que ce soit, mais là… L'Ancien a la désagréable impression d'être une mouche prise dans une toile voyant approcher l'araignée. Il voudrait s'enfuir, mais ne peut bouger tant le souverain français semble avoir de l'emprise sur l'ensemble de sa personne par le seul fait de le fixer droit dans les yeux !
Enfin, il parvient à articuler avec quelques difficultés :
« Mes respects Monsieur le Président… »
Jacques CHIRAC marque un temps d'arrêt, comme pour bien marquer l'instant présent, puis, sitôt les tambours tus, ouvre la bouche et déclare, d'un ton solennel :
« Monsieur René GEDEUFOITRENTANS, au nom de la république française, par les pouvoirs qui me sont conférés, pour avoir porté nos couleurs et fait retentir notre hymne national à l'autre bout de la planète, malgré le poids de vos années…, je vous fais chevalier de la Légion d'honneur pour service rendu à la Patrie ! »
Nouveau roulement de tambour, puis un militaire remet une boîte au président, lequel en retire une médaille. Toute l'assemblée en tenue se met au garde-à-vous et le président fixe la décoration au revers du costume d'un René qui retient son souffle en se demandant ce qu'il fout là…
Puis vient l'accolade, pendant laquelle monsieur CHIRAC déclare au Respectable :
« Je tenais absolument à vous faire cette surprise… A présent, si vous le voulez bien, suivez-moi ! »
René, tel un pantin, se laisse guider par le Président, et les deux hommes pénètrent bientôt dans le hall du fabuleux palais, suivis par Charles un peu en retrait. Le faste à l'intérieur ! Tu ne peux pas savoir, t'y as jamais été, mais sache que les plafonds culminent à une hauteur invraisemblable, parés de dorures que soulignent des immenses lustres de cristal. Partout, sur le sol et les murs, le marbre blanc règne en maître, apportant malgré la froideur de sa matière, une douce impression de tiédeur grâce à l'harmonie crée par un ensemble dont chaque élément forme un tout, laissant le visiteur s'envahir dans un univers de quiétude absolu renforcé par l'insonorité des lieux qui renvoie juste l'écho des pas martelant le sol.
Pépère en a le souffle coupé ! Mais le Président, habitué des lieux, traverse cette pièce somptueuse sans y prêter attention. A l'autre bout, une porte semble s'ouvrir sur l'extérieur. Effectivement, voici maintenant les fameux jardins de l'Elysée ! T'as déjà eu l'occase de voir ceux du château de Versailles ? Ben là, c'est commac mais en mieux !
Je vais pas te faire la visite complète, j'suis pas payé pour ça. T'as qu'à envoyer un mail au palais présidentiel en te recommandant du Respectable… Peut-être auras-tu l'honneur d'être invité toi aussi…
Là, Monsieur CHIRAC marque une pose près d'une espèce d'immense table de salon se trouvant à proximité d'une superbe pièce d'eau avec une colonne au centre représentant une sirène laissant ruisseler l'élément liquide le long de son corps dénudé. Encore une fois, c'est le calme qui domine : quel contraste quand on songe que nous sommes en plein centre de la tumultueuse capitale parisienne ! Un immense parasol a été installé, car la journée promet d'être chaude, et une table, remplie de mets divers pour la composition d'un solide petit déjeuner, dressée. Le Président fait signe à René de prendre place, tandis qu'il en fait de même. Charles, toujours à proximité, s'installe à son tour, mais le premier homme de France se tourne aussitôt vers lui :
« Non ! Pas toi, Charles… Laisse-nous s'il te plait ! », dit-il d'une voix calme mais dont le ton employé est assez impératif.
« Mais… Monsieur…, le protocole… », bredouille le secrétaire d'un air incrédule.
« Ha non !, tu vas pas recommencer avec ton truc, bidule, machin !!! Tu nous laisses, j'ai à parler à Monsieur GEDEUFOITRENTANS seul à seul. Allez, va jouer avec les mouches ! »
L'autre se lève et se hâte de déguerpir, non sans jeter un regard noir envers René, lequel n'en revient pas de la dernière réplique du Président envers son secrétaire : le ton employé est celui du chef de l'état, mais les mots…
Jacques CHIRAC jette alors un regard à droite (normal) puis à gauche, et finit par déclarer d'un air satisfait :
« Ha ! Enfin tranquille… »
Puis, le Président se lève soudain, tombe sa veste et sa cravate, ainsi que sa chemise… Il est maintenant en tee-shirt représentant une NORTON Commando !
René, sans moufeter le moins du monde, attend la suite avec une curiosité croissante. Jacques croise son regard étonné en direction de l'effigie de la moto, et répond en souriant :
« Ben oui, le Président est aussi un homme… J'ai toujours aimé cette machine que j'avais pu essayer à l'époque. Mais maintenant, je suis tenu par les rênes du pouvoir qui m'empêchent de vivre ce qui est une passion rarement exercée… », dit-il en soupirant, un soupçon de regret dans le regard.
Quel contraste avec l'instant d'avant ! songe René. L'être, un peu froid et distant, semble maintenant un homme ordinaire…
« Mais bon, reprend t'il aussi vite, vous n'êtes pas là pour entendre ressasser les souvenirs d'un vieux nostalgique ! Je tenais d'abord à vous féliciter personnellement pour les deux manches que vous m'avez fait vivre sur EUROSPORT. Avec Bernadette, on était comme deux gosses et j'avoue avoir hurlé quand vous êtes passé devant la ligne en vainqueur… Bon sang, quelle course ! Mais je n'arrive toujours pas à comprendre comment vous avez fait pour en arriver là ! »
« Que dois-je répondre Monsieur le Président… ? En fait, tout est arrivé si vite que je n'ai pas encore pu réfléchir à cette question. Je suis simplement un passionné qui a décidé de vivre jusqu'au bout son rêve ! »
« Vous voulez me faire une faveur ?, appelez-moi Jacques, et mieux encore : on se tutoie. Ce sera plus simple comme ça… Pour tout dire, je commence à en avoir ma claque de toutes ces mondanités et obligations de mon boulot d'président… Tu peux pas savoir ! Tiens, prend un croissant avec ton café ! »
« Mons…, heu… Jacques…, vous…, tu… j'veux dire… », bafouille René, au comble de la surprise.
Jacques éclate alors d'un rire franc, puis déclare :
« Merdeeeee René !, tu vas pas faire comme les autres ??? C'est là mon drame, depuis que j'suis président, tout l'monde me lèche les bottes et j'ai plus d'copain ! Quand j't'ai vu à la télé, j'me suis dit : en v'la un qu'est vraiment différent des autres, bon sang qu'est-ce j'aimerai avoir un pote comme ça ! Alors, s'il te plait, fais-moi plaisir et considère le fait que le président est un homme comme tout le monde, et passionné de bécane en plus. Tu veux une preuve ? Tu crois VRAIMENT que si Christian ESTROSI fait partie de mon équipe, c'est pour ses qualités de politicard ? »
Là, René finit pas se lâcher complètement, séduit par ce type étonnant :
« Ouais, je comprend… Mais si tu m'as fait v'nir,
je suppose que c'est pas uniquement pour me cirer les pompes ? »
« A la bonne heure !, s'exclame le président, c'est
comme ça que je veux t'entendre ! Reprend un croissant, j'te
dis. Mais t'as raison, et j'vais te donner l'explication.
Quand l'Vieux m'a filé les clés de la maison
– et moi, naïf, ça faisait deux ans que j'en rêvais
de ce boulot- il m'a dit de pas m'inquiéter, que les
affaires étaient en ordre et que maintenant que je prenais la relève,
il allait enfin pouvoir passer ses journées à la pêche,
après avoir fait le ménage dans les affaires… Tu parles
: trois millions de chômeurs, les syndicats qui arrêtent pas
de se plaindre, la délinquance qui monte, la dette extérieure,
et plein de bidules, machins comme ça… En fait, le boulot
de dans deux ans, quand j'l'ai eu, j'ai vite réalisé
que j'y connaissais pas grand chose, alors j'ai cherché
à bien m'entourer pour faire bosser les autres à ma
place. Et je t'assure que c'est pas facile de faire semblant
de surveiller tout l'monde quand y'a mille problèmes
à résoudre et que toi, tu sais pas comment faire. Alors,
j'ai pris ceux qui semblaient être les meilleurs, mais j'vais
te confier un secret : plus ils étudient à l'E.N.A.,
et plus ils sont à côté de la plaque. Quand ils font
une bourde, c'est bibi qui trinque ! Tu parles d'un cadeau
comme boulot…
Tu vas me dire, y'a l'jeune Nicolas qui veut la place. Ouais
mais bon, j'peux pas lui laisser la maison tout de suite, faut attendre
les élections pour ça. Déjà, j'ai réduit
le mandat à cinq ans : ça me fait gagner deux piges !
En attendant, avec la constitution européenne, y'a p'têt
moyen de refiler le taf au d'sus de moi ! En gros, j'serai
plus PDG mais simplement directeur. Mais faut que les français
disent oui pour ça : c'est l'boulot de Raffi de les
décider. Mais j'crois que le Jean-Pierre, j'lui ai
filé un peu trop de trucs à faire et maintenant, il craque
et commence à gatouiller sévère : si les français
s'en aperçoivent, c'est foutu !
Donc, pour résumer, c'est sa place que je te propose…
»
« Heiiiiiiiiiin ???, moi premier ministre ???????????, mais j'y connais rien à la politique… »
« Justement, comme ça t'as moins de chances de dire ou faire des conneries. Toute façon, tu fais dire oui aux français, et après c'est les autres qui vont bosser pour nous… Mais c'est un mec comme toi qu'il faut pour ça ! Alors t'acceptes ? »
Tu trouves pas que ça commence à faire beaucoup pour un seul homme, tout ça ?
« Après, je te garantis qu'on va pouvoir faire de la bécane à volonté, sans compter que je te laisse carte blanche pour édicter des projet de loi en faveur de la moto… »
Voilà le défaut de cuirasse du Respectable… Sa passion immodérée pour la moto…
Sans s'en rendre compte, il accepte la proposition du président, et…
DRIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIING !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
« Hein ???, ha ! Pu…ain de réveil… !!! »
René est dans son lit : mal au crâne et les murs de la chambre semblent danser autour de lui…
« Bon sang ! Quel rêve…, se dit le Gatouillable, Faut que j'arrête de picoler comme ça, moi ! »
Lentement, il tente de sortir de son lit, mais ses vieilles articulations le rappellent à l'ordre. Faut dire que quand on a dépassé soixante ans, la mécanique est plus longue à chauffer…
Machinalement, il jette un regard sur le poster à l'effigie d'AGO, lequel est en bonne place sur le mur central de la pièce.
« Jamais fait un rêve pareil…, ça semblait si vrai pourtant… », dit René à haute voix.
A son âge, quand on vit seul, on se parle souvent à soi-même.
Il lui faut bien une plombe pour émerger, mais comme le mal de tête persiste, il décide de descendre au sous-sol pour sortir sa moto, histoire de prendre l'air : peut-être ainsi ira t'il mieux après…
Clic ! L'interrupteur donne aussitôt la lumière. Sa vieille YAMAZUKI 1000 XYZ l'attend sagement. Tiens ! Elle a encore perdu de l'huile… Rien de plus normal, cette moto est atteinte de la même Respectabilité que son proprio !
René enfile ses vieilles bottes. Pour ce faire, il se penche et grimace par la douleur provoquée au niveau de ses articulations lesquelles ont pas mal bourlingué pendant toutes ces longues années à rouler hiver comme été. Puis il décroche son vieux barbour rapiécé, en se disant qu'un jour viendra ou il faudra bien songer à le remplacer. Mais René est un nostalgique…
Son intégral n'est pas en meilleur état, mais il est peint au couleurs de son idole, dédicacé en soixante dix sept de la main même du champion, alors…
Un petit coup de démarreur, et la brèle prend vie. Bien entendu, le petit nuage de fumée qui sort des échappements est bien présent pour lui rappeler qu'un jour ou l'autre…
Le Respectable sort maintenant du sous-sol et, pendant que la brèle monte doucement en température, vérifie dix fois qu'il a bien fermé la porte à clé… Que veux-tu, à cet âge-là, on a ses petites manies !
Soudain, le bruit strident d'un deux temps en approche se fait entendre. Cette fois, René vient totalement d'émerger : il monte rapidement sur sa moto, et passe la première. Il semble attendre quelque chose… ou quelqu'un !
Wiiiiiiiiinnnn ! fait le pisse-feu en passant rapidement devant lui. L'Ancien, rageusement, lâche l'embrayage et se lance à la poursuite de ce jeune trou du c… de Valentini ROSSO qui cette fois, c'est certain, ne lui échappera pas !
Dis voir…. ? Oui, c'est à toi que je m'adresse ! Franchement, t'y as cru à cette histoire de Gatouillable capable de mener le mondial Superbike ???
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