Une inattendue sur ma selle
Pas facile de former à la moto un passager de fortune
Mais là, je fais monter en selle
Pas facile de former à la moto un passager de fortune : j'ai trente secondes pour mettre en garde sans faire paniquer. Mais là, je fais monter en selle : elle, la nouvelle, dont je dois rester loin.
Au taf', nous employons des étudiants qui viennent nous aider en début de soirée à boucler les tournées. Ils profitent ainsi de contrats d'une vingtaine d'heures par semaine, compatibles avec leur emploi du temps. Ils mettent aussi de la légèreté dans l'ambiance entre embauchés ; ça me fait plaisir de côtoyer des gens qui savent que Schrödinger n'était pas le nom du chat d'Einstein et que le DSM4 est un livre plutôt qu'un indice de protection solaire.
Ce sont surtout des filles qui se présentent. La plupart sont de gentilles tchoupettes qui, au début, me disent "monsieur, vous...", ce qui met une claque la première fois ; après, on s'y fait. Rares sont celles qui me sont antipathiques. Encore plus rares sont celles qui me font ô combien regretter d'être né un quart de siècle trop tôt. Comme elle : la nouvelle, dont j'ignore le prénom, arrivée au début de la semaine.
Toutes mes tentatives de la dépeindre seraient vaines. Alors disons : Isabelle Carré en brune, du temps où elle était étudiante à l'Ensatt. Ô combien je regrette, te dis-je, d'être né trop tôt.
La nouvelle est en master de je-ne-sais-quoi. Je la regarde à la dérobée, assise devant son ordinateur portable au réfectoire. Elle a les cheveux un peu fous, pas de maquillage, la lèvre supérieure mince, les ongles courts, un gros pull à col roulé blanc qu'elle remonte parfois sur sa bouche dans un geste frileux.
À je ne sais quel âge, j'imagine qu'on se résigne : certaines jeunes femmes doivent rester des soupirs étouffés, un élan de la main vers la joue que l'on retient à temps, avant d'importuner.
L'entrepôt de la boîte est situé au fond de la zone industrielle, au ras des champs. Sans bécane, sans caisse, rentrer le soir implique d'aller chercher le dernier bus de 21h05 après un petit quart d'heure de marche. Or, mardi soir, nous avons fini avec plus de vingt minutes de retard sur l'horaire ordinaire. Pour le bus, c'est raté, même en courant.
La nouvelle se retrouve donc bien embêtée sur le parking, où flotte l'odeur du diesel froid de toutes les voitures des collègues partis en hâte. Il ne reste qu'elle, moi et Virginie, qui rentre à vélo.
Par le jeu du coquin hasard, j'ai dans le top-case le jet à écran tout neuf de ma Chérie-Chérie que j'ai justement pris ce matin pour le montrer au magasin parce qu'une ventilation se décolle. Un casque en rab' et elle, la nouvelle, sans moyen de transport sur le parking. Une chance sur... deux ou trois millions ? Sans avoir rien provoqué, de surcroît. Ô comme je regrette, comme je regrette...
‒ Sinon, je te ramène. Tu as déjà fait de la moto ?
Hésitation en face.
‒ Non.
‒ Je vais rouler doucement, alors.
Voilà : j'ai trente secondes pour expliquer en termes polis que plus elle se colle à moi, plus elle serre les jambes, mieux ça sera.
Quand j'embarque des novices, je leur conseille de se tenir à mes épaules, les avant-bras contre mes omoplates pour compenser au freinage. Je trouve ça moins embarrassant que de dire qu'il vaut mieux se servir de ses cuisses et de ses abdos pour faire corps avec le conducteur.
Vient le moment délicat de grimper sur la selle, haute. Elle est gênée par le top-case. Il lui faut enjamber la moto sans voir le cale-pied droit. Elle tâtonne, la jambe dans le vide. Les freins serrés, je cramponne fort le guidon. La bécane tangue. Elle s’assoit. Je lui laisse quelques secondes pour qu'elle trouve ses marques. Ses mains se posent sur mes épaules. Elle se tient immobile, maintenant.
‒ Ça va ? Tu es installée ?
‒ Oui, oui.
‒ On y va.
Je mets les gaz doucement. Surprise malgré tout, elle crispe les mains une seconde, puis relâche. Nous franchissons le portail. Je penche pour m'engager dans l'avenue : nouvelle tension des mains. Premier rond-point. J'angle comme si j'étais sous la pluie avec de forts soupçons de gasoil sur la trajectoire. Ses mains se serrent à peine. Tu vois ? Ce n'est pas si effrayant.
Je me contrains à revenir à la conduite : mon esprit vagabonde déjà à remarquer les différences avec ma Chérie-Chérie. Elle se tient plus loin, plus raide aussi. C'est net : ce n'est pas la même passagère. Sa présence est plus sèche. Nous nous arrêtons à un premier croisement. Parfois, quand on patiente à un feu, ma Chérie-Chérie ouvre son casque pour poser le menton sur mon épaule en imitant le chat satisfait. Ô si seulement...
Elle me guide dans la ville. Ses mains sur mes épaules sont détendues, maintenant. Je roule presque normalement.
‒ C'est bon ! Tu peux me laisser là !
Je m'arrête, serre les freins, plante les pieds au sol et me penche sur le guidon pour lui laisser de la place. La moto tangue encore, puis se relève un peu quand elle quitte les cale-pieds. La rue étroite est déserte, éclairée en orange. Je coupe le moteur et béquille.
Elle trifouille la boucle de fermeture à cliquet du casque. Au bout de quelques secondes, elle renonce, bascule la tête en arrière et s'approche, m'offrant sa gorge :
‒ Je n'y arrive pas.
J'attrape le petit ruban tressé et libère la fermeture. Elle ôte le casque en grimaçant un peu. Il faudra que je vérifie qu'elle n'y a pas laissé de cheveu : le radar à rivale de ma Chérie-Chérie est très sensible.
‒ Je n'avais jamais fait de moto avant. Ça va vite !
‒ Pourtant, j'ai roulé tout tranquillement.
‒ Ah ? Bon, en tous cas, j'ai bien aimé. Je n'ai pas eu peur du tout. Merci de m'avoir ramenée.
Je referme le top-case. Le moment flotte. Nous nous faisons face, dans la rue silencieuse. Mon coeur cogne. Il y a quelques années... qu'aurais-je fait ? Proposé une autre balade ? Retiré un gant ? Ôté mon casque ? Maintenant, ô combien je regrette ce temps qui nous sépare. Je regarde son gros col roulé : comme j'aimerais y enfouir le nez pour respirer son parfum. J'hésite à croiser son regard.
‒ Allez ! Il y en a une qui va s'inquiéter si je rentre trop tard, dis-je brusquement. À demain, alors.
‒ À demain, alors, fait-elle en écho. Merci. C'était gentil.
Je remonte en selle et donne du moteur. Je fais un demi-tour hésitant sur la chaussée bosselée. En d'autres circonstances, il serait encore temps de m'arrêter, de changer d'avis. Après tout, dans les films ça fonctionne, non ? Si dans les rétros je la vois qui me regarde toujours je... je quoi ? Je quoi, au juste ? Si on s'était loupés avec ma copine avant que je parte pour le service militaire, ma fille aurait son âge. Alors quoi ?
Alors je rentre vers la maison, où m'attend ma Chérie-Chérie, en fredonnant ce que je me rappelle de cette chanson de Reggiani que je trouvais jolie quand j'avais vingt ans et qui me serre la gorge aujourd'hui :
"il suffirait de presque rien,
peut-être dix années de moins,
pour que je te dise : je t'aime".
Commentaires
Magnifique!
09-11-2021 07:58J'adore
09-11-2021 08:34Ah, Reggiani...
09-11-2021 09:27-soupir-
vieux pervers
09-11-2021 09:32La moto c'est sexe, même quand on s'évertue à rouler sur des repoussoirs utilitaires.
09-11-2021 11:32Extra !
09-11-2021 15:30Du vécuet re-vécu ! Belle référence à Reggiani.
09-11-2021 15:56Ba sur un malentendu, éventuellement on pourrais envisager que ...
09-11-2021 15:57donc elle est en master, ça fait environ entre 23 et 24 ans ça.
+ 1/4 de siècle notre ami accuse environ 50 balais donc
Merde je suis plus très loin.
Est-ce que penser, c'est tromper ?
09-11-2021 16:17La quarantaine bien tassée
09-11-2021 17:13Roooooooooo...
09-11-2021 17:45Le désir peut être charnel comme spirituel (pas drôle, mais de l'esprit), comme les deux.
La pensée n'est-elle une infidélité en soit, n'est-elle une tromperie vis à vis de son partenaire ?
Roooooooooo....
Et dire que je pense déjà à ma future monture (moto).
«Encore plus rares sont celles qui me font ô combien regretter d'être né un quart de siècle trop tôt.»
09-11-2021 17:59Il manque une négation, là, non?
La madeleine de Proust version motard
09-11-2021 18:14Belle Kronik, avec beaucoup de sensibilité, merci !
09-11-2021 19:04En pleine affaire Lahaye ..c courageux d éditer une telle chronique !!
09-11-2021 19:06Majeure ...mais vaccinée ???!! lol
..sinon belle chronique dont je comprends et partage l émotion !
C'est l'avantage des novices : pour elle, ce n'est pas une utilitaire. Le prestige, le frisson, la rebellitude sont intactes. 09-11-2021 21:48
C’est beau et ça fait du bien.
09-11-2021 22:12C'est parfaitement adapté aux lecteurs du Repaire, de vieux nostalgiques dont l'âge, chaque jour un peu plus, fait glisser leurs pensées sur le chemin de la perversion.
09-11-2021 22:48Pile poil dans la cible, je savoure "en pleine conscience" ton texte...
Je suis choqué
09-11-2021 23:27J'y crois pas qu'en 2021 on ose encore parler du...
Service Militaire
Un grand moment de fraîcheur qui fait à la fois apprécier la candeur de la jeunesse et le poids des années .....
10-11-2021 09:09Courageux cette kronik avec Chérie- Chérie qui est ta première lectrice. J'aurais pas osé..12 mois de tronche garantie.
11-11-2021 20:51J'ai mis une fausse vieille dans le garage, un truc extra
Croyez-vous que je sois jaloux? Pas du tout, pas du tout!
Moi j'ai un piège à fille, un piège tabou
Un joujou extra qui fait crac boum hu
Les fill's en tomb'nt à mes g'noux... avec 20 ans de moins.
Une histoire du quotidien perpétuel.
12-11-2021 07:54Moi aussi je souffre.
Et dans un quart de siècle de plus... j'ose même pas y penser.
Si Kpok n'avait pas résisté, il aurait pu nous mettre
12-11-2021 15:47"pour une amourette" de Leny Escudero
[www.youtube.com]
Mais comme il a été raisonnable, il se consolera avec
"Sarah" de Reggiani
[www.youtube.com]
ps : nouveau ce forum, je salue kpok, tous ses collègues, pour la qualité du site et des articles, ains que toutes la communauté des motards
Une fois j’ai embarqué une jolie jeune nana, en tailleur mini jupe très courte talon aiguille sur ma diversion 600. Pas farouche la fifille elle était surtout soulagé de rentrer chez elle rapidement. J’aurais jamais du faire ça, sans casque pour elle en plus.mais j’ai pas pu résister elle était trop belle. En plus elle s’est collée à moi spontanément. Ses longues jambes gainées de bas sous mon nez, j’ai adoré. Quand arriver à destination je lui ai proposé de faire une plus longue ballade un jours et quelle était ok. Sauf que j’ai oublié de lui demander son tel et je ne l’ai jamais revue. C’était il y’a 30 ans à Paris. Après je ne sortais jamais le soir sans un casque dans le top case. Mais l’occasion ne sait jamais reproduit.
23-12-2023 21:08Salut
24-12-2023 11:47C'est quand que tu t'es réveillé ?
V
Une fois j’ai embarqué une jolie jeune nana, en tailleur mini jupe très courte talon aiguille sur ma diversion 600. Pas farouche la fifille elle était surtout soulagé de rentrer chez elle rapidement. J’aurais jamais du faire ça, sans casque pour elle en plus.mais j’ai pas pu résister elle était trop belle. En plus elle s’est collée à moi spontanément. Ses longues jambes gainées de bas sous mon nez, j’ai adoré. Quand arriver à destination je lui ai proposé de faire une plus longue ballade un jours et quelle était ok. Sauf que j’ai oublié de lui demander son tel et je ne l’ai jamais revue. C’était il y’a 30 ans à Paris. Après je ne sortais jamais le soir sans un casque dans le top case. Mais l’occasion ne sait jamais reproduit.
25-12-2023 08:54Deux fois le même rêve dit donc.
25-12-2023 09:24Une fois j’ai embarqué une jolie jeune nana, en tailleur mini jupe très courte talon aiguille sur ma diversion 600. Pas farouche la fifille elle était surtout soulagé de rentrer chez elle rapidement. J’aurais jamais du faire ça, sans casque pour elle en plus.mais j’ai pas pu résister elle était trop belle. En plus elle s’est collée à moi spontanément. Ses longues jambes gainées de bas sous mon nez, j’ai adoré. Quand arriver à destination je lui ai proposé de faire une plus longue ballade un jours et quelle était ok. Sauf que j’ai oublié de lui demander son tel et je ne l’ai jamais revue. C’était il y’a 30 ans à Paris. Après je ne sortais jamais le soir sans un casque dans le top case. Mais l’occasion ne sait jamais reproduit.
25-12-2023 23:13Oui désolé je ne sais pas pourquoi mon message est en double
25-12-2023 23:14En triple... Mais on ne se lasse pas d'un tel rêve 25-12-2023 23:24