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La Chronique de Koud'pied o'Kick

La KronikKoud'pied o'Kick est un journaliste professionnel écrivant actuellement pour un grand hebdomadaire. Vous le retrouvez chaque mois exprimant son opinion sur un monde qu'il affectionne énormément : la moto, avec un amour immodéré de la controverse, à nul autre pareil.

KroniK de juin : Rebellisator contre Legalizorax

Je zieutais le forum ces dernières semaines, et notamment toutes les discussions autour de la répression actuelle. Quand on fait la moyenne des propos tenus, on arrive sur une série de constats paradoxaux : ils nous les brisent avec leurs radars ou leurs sonomètres, mais faut bien avouer que certains abusent ; on est pas tout seuls sur la route, mais faut bien avouer qu'une petite point de temps en temps ça fait pas de mal. Ah ! le délicat équilibre à trouver entre « liberté » personnelle (notez l'emploi des guillemets, j'y reviendrai) et vie en société.

A bien y réfléchir, j'ai l'impression qu'on se retrouve, intellectuellement parlant, à rebondir entre deux extrêmes sans réellement arriver à trouver la ligne du milieu. On comprend le point de vue des flics ou des pompiers qui en ont marre de ramasser des bouts de motards ou d'automobilistes au bord des routes. On comprend aussi celui du conducteur qui a envie de se faire plaisir au guidon ou au volant de sa machine. Du Solex à la Münch.

A la limite, je préfère les positions extrêmes. Celui qui roule avec une bécane trafiquée en se battant les flancs du code de la route, par exemple. Manque de bol, le raisonnement de celui-là n'est pas poussé jusqu'au bout, simplement parce qu'il est bien content quand même de voir d'autres le respecter et rouler proprement. J'ai l'impression qu'il ne doit pas être le dernier à râler contre le caisseu au téléphone ou le kéké à donf en ville. Pourtant, la logique de ces derniers est très proche de la sienne. Eux aussi considèrent que téléphoner au volant ou débouler à toc sur les maréchaux fait partie des droits « inaliénables » de l'automobiliste, comme lui envoie tout balader quand on lui parle de plaque à taille réglementaire. Je suis aussi effaré de voir la vacuité de leurs argumentaire, façon: « dans la devise française ya liberté ». Mouais. Faudrait pas confondre liberté collective et liberté individuelle. Je pense pas que les fondateurs de la 1ere République aient pensé une seule seconde à la liberté individuelle (d'où mes guillemets plus haut).

A l'opposé, on trouve les réglementaro-réglementaire, le petit doigt sur la couture du treillis. Défenseur farouche des 85,0 dB à 5.000 tours et du 110 sur autoroute par temps de pluie, ces donneurs de leçon nient (à mon sens) quelque chose d'assez fondamental. La libre appréciation d'une situation. Sans cette dernière, pas de civilisation, pas d'humanité. En prônant le respect strict des règles imposées par la vie en société, ils nous refusent ce qui fait la différence entre nous et un tas de circuits électroniques. La capacité, devant une situation donnée, de nous comporter de telle ou telle manière en fonction de ce que nous savons et ressentons (capacité à la fois innée et acquise). A moins de tous nous parquer en enclos sous neuroleptiques, je vois pas bien comment nous éviter de réfléchir, et donc de jauger une situation (à la base d'une foule d'activités humaines, dont la conduite d'un véhicule). D'un autre côté, je les rejoins quand ils font remarquer qu'en connaissance de cause, venir se plaindre alors qu'on s'est fait serrer avec un pot NH ou une plaque timbre-poste n'est pas très logique.

Au milieu, on retrouve la grande majorité des motards, pas franchement indisciplinés, mais pas non plus des anges, naviguant entre les deux extrêmes selon les jours, adoptant peu ou prou une ligne de conduite médiane. Et même celle-ci n'est plus adaptée, simplement parce que la tolérance dont on jouissait jusqu'à présent est en train de s'amenuiser. Par exemple, les limitations de vitesses à certains endroits sont nécessaires. A d'autres, il est acceptable d'imaginer mettre gaz dans des conditions de sécurité acceptable. Simplement, on va pas tous être d'accord sur la signification « d'acceptable ». Et le radar non plus.

Je me demande malgré tout si la ligne du milieu n'est finalement pas la plus faux-derche : OK, je roule sur une moto débridée, mais ma plaque est homologuée. Dans la même veine, on trouve souvent des posts de type : « j'étais à 240, MAIS yavait personne », ou « je roule avec un pot non homologué MAIS j'ouvre pas en ville ». Trop tard. Légalement parlant t'es déjà dans l'erreur, gars. Et servir aux autres (et accessoirement à toi-même) des excuses de ce type n'est pas très futé : on ne se sort pas ainsi d'une position difficilement défendable avec un argument qui pue la mauvais conscience.

Alors ?

Si j'avais une réponse à tout ce cirque, je serais ministre de la Sécurité Routière, et mon nom serait certainement haï par 99% des motards. Le délicat compromis entre liberté individuelle et vie en société ne peut pas être quelque chose de statique. Ce qui était inacceptable hier l'est aujourd'hui, et les tolérances accordées aujourd'hui seront des interdictions demain (lapalissade). La question n'est donc plus « la répression est-elle bénéfique ou néfaste ? » mais bien plutôt « les contraintes que l'on m'impose aujourd'hui sont-elles acceptables au regard des impacts qu'elles ont sur ma liberté de jugement et d'action par rapport aux risques que je fais courir aux autres ». Bref, où est-on en train de placer le curseur entre le bien du plus grand nombre (forcément insatisfaisant) et la confiance que l'on peut (doit?) accorder à chaque individu de se comporter le moins bêtement possible. Une fois de plus, la société est incapable de gérer une somme de comportements individuels et donc fixe des règles arbitraires. Au mieux palliatives, au pire discriminatoires. Mais la société agit ainsi parce qu'elle se retrouve face à des individus majoritairement incapables de voir plus loin que le bout de leur cortex (ou de leur poignée de gaz).

D'un point de vue strictement personnel, le « bien du plus grand nombre » aurait tendance à me faire vomir, même si, il faut bien l'avouer, ça m'arrange quand même de savoir que si je me fais lourder demain je pourrais aller frapper à la porte des Assedic, ou que si je me gaufre yaura des types avec des camions rouges qui viendront voir comment je me porte (soient-ils un milliard de fois remerciés) alors qu'ils pourraient tout aussi bien m'achever sur place (toujours ça de gagné sur les retraites et sur la Sécu). La différence entre civilisation et société, à mon sens, c'est la différence qu'il y a entre contenant et contenu. Vous préférez quoi, vous ? Un motard civilisé ou une société de motards ?

Bref, tout ça pour dire que je n'en sais strictement rien, sinon que rouler est une activité dangereuse et qu'il n'est pas incohérent d'imposer et de faire respecter des règles. Donc je vais désormais rouler sans trop faire de vagues, même si je considère les radars sur les bords des routes comme une insulte à mon bon sens et à ma prudence. J'imagine d'ici la tronche du juge si je me fais serrer et que je lui sors: « par cette condamnation, vous niez mon humanité ». Je doute qu'il comprenne. Surtout si je lui fais remarquer au passage que son employeur, c'est moi, et que de toute façon je ne lui reconnais aucun droit sur ma vie.

Il y a tout de même deux remarques que je tenais à faire, dans tout ça. D'abord, un mauvais conducteur (je suis -honnêtement- de ceux-là. Prudent, sans doute. Bon certainement pas) à 150 ne devient pas un bon conducteur parce qu'il roule à 130. Ce que la campagne sarkozienne est en train (ou tente) d'éliminer, c'est le facteur aggravant de ces 20 km/h supplémentaires. Mais même si on arrive à l'éliminer, la population des conducteurs dangereux restera inchangée. Et pour leur apprendre à bien conduire, il faudra nettement plus qu'un régiment de radars. D'autre part, j'entends souvent revenir le mot « formation » dans la bouche de certains. Hou ! Le vil argument. Toi qui me causes de formation, serais-tu prêt à repasser ton permis ? A ce qu'un examinateur jauge tes performances effectives sur la route, et détermine -par exemple- le type de machine que tu serais apte à conduire ? Es-tu prêt à regarder en face tes écarts de conduite ? A dénoncer non pas les erreurs des autres mais considérer objectivement les tiennes ? Dans le combat de la paille contre la poutre, c'est trop souvent la paille qui gagne par KO.

Koud'pied o'Kick, - le 1er juin 2003

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