Balade en Morvan, de Avallon à Château-Chinon
Des dizaines de kilomètres de petites routes départementales à l'écart de la civilisation
Un territoire central et peu peuplé, un parc naturel à explorer, un retour aux sources
Dans sa "théorie des places centrales", le géographe allemand Walter Christaller expliquait en 1932 que la centralité d'un lieu jouait un grand rôle dans son attractivité en plus de lui apporter une certaine valorisation financière. Cette réflexion était on ne peut plus sérieuse, Walter ayant même fait une thèse de doctorat sur le sujet et qui fait toujours référence sur la question bien que l'auteur n'ait pas ensuite été épargné par les controverses.
Maintenant, regardez une carte de France : le Morvan apparait comme un lieu effectivement assez central, mais il est entouré de polarités encore plus attractives, coincé entre Paris, l'Auvergne et la Bourgogne. Morale de l'histoire et victoire de la théorie christallienne : on peut être au centre de tout et au milieu de rien ! Hélas, ou tant mieux ? Prenons parti pour la seconde option, car le Morvan, qui s'est doté d'un parc naturel régional depuis 1970 reste un endroit caché et secret, qui ne se livre pas du premier coup et que l'on doit savoir aborder avec patience et humilité.
Tout en couleurs
La carte d'état major ne ment pas : quand il y a du vert et du grisé, ça sent le sapin et le dénivelé. Deux valeurs sures, le second permettant de contourner le premier. Parler de montagne serait très exagéré, mais le Morvan étend quand même ses collines moutonnées sur des altitudes allant de 600 à 900 mètres. Les forêts, qui recouvrent la moitié du territoire du Morvan, sont riches en sapins, la région s'étant faite une spécialité en support de guirlandes en tout genres. Comment un tel paysage est-il possible ?
C'est qu'il y a fort longtemps, quelques éruptions volcaniques (pas étrangères à celles qui ont vu naître le Massif Central) ont laissé un substrat granitique, recouvert ensuite par des argiles et des sédiments, puis érodés à nouveau ; les motards le savent tout aussi bien que les géomorphologues et les amateurs de Pastis : l'eau, c'est plus fort que tout. Secouez à nouveau tout ça au moment où les Alpes émergent (elles sont loin, mais elles ont fait des dégâts) et vous obtenez un paysage, que dis-je, un décor plus subtil qu'il n'en a l'air au premier abord et dont on ne prend pleinement la mesure qu'en en quittant les départementales pour les vicinales serpentant entre des buissons délimitant des prés généreux où pâturent des vaches bien paisibles ! Sur ces voies de circulation goudronnées il y a fort longtemps, sur ces chemins bleutés où les herbes folles tentent de reprendre leurs droits, à peine plus larges qu'une Harley-Davidson Electra Glide et où deux Can Am Spyder F3 ne se croiseraient pas sans arracher un demi train de suspension, nous cueillons le premier indice : et si, dans le Morvan, on prenait le temps de vivre ? Pour le savoir, continuons notre route.
Ah, les routes du Morvan ! Rien qu'en les découvrant sur l'Atlas routier ou la carte Michelin, on devine leur nature généreuse : pif paf, petit droite serré, grand courbe à gauche qui se referme après le point de corde au niveau du moulin, les routes du Morvan promettent bien des plaisirs. La réalité est tout sauf décevante.
De Avallon à Château-Chinon, le chemin le plus court suit la D 944. Tantôt piégeuse tantôt rapide et facile à "lire", la D 944 alterne de larges portions de bitume impeccable (la dernière section, entre La Chaumière et Château-Chinon, par exemple, conviendrait bien à une sportive Ducati genre 959 Panigale) tandis que la première dizaine de kilomètres en sous-bois en quittant Avallon n'est pas avare de pièges multiples : de virages qui se referment bordés par des petits parapets, gibier en abondance, rustines et autres raccords de bitumes expérimentaux (gardez bien à l'esprit que dans le Morvan, le climat est rude et la DDE locale plus généreuse en gravillons qu'en panneaux de signalisation), mottes de terres laissées par un tracteur en travers de la route (dans le Morvan, le conducteur de tracteur est roi). Ces réserves délicatement exprimées devraient normalement vous inciter à délaisser l'adoration du point de corde pour l'amour de la contemplation paysagère.
C'est qu'il y en a, de belles surprises, dans le Morvan. Tenez, au détour d'un virage, en passant au dessus de la rivière de la Cure dont les lâchers d'eau réguliers (merci le barrage de Pannecière) font la joie des amateurs d'hydrospeed et de tous ceux qui aiment le frisson de la vitesse, même entre les rochers, les branches d'arbres et les rapides, on tombe sur le château de Chastellux. Somptueuse bâtisse fièrement dressée sur un promontoire depuis le XIème siècle (la première pierre fut posée en 1080, juste un peu avant l'invention du V-twin culbuté), propriété de la même famille depuis l'origine (la famille de Chastellux, donc) et dont le représentant actuel après 28 générations, La Rédaction de Chastellux, propriétaire de 1700 hectares de forêt dans les alentours (ça fait beaucoup, ça fait même de lui le premier propriétaire privé d'une forêt en France, même si la forêt est une denrée généreusement disponible dans le Morvan) fut aussi, outre son destin de dignitaire local, homme de cinéma. Eh oui, le châtelain fut bruiteur dans Le grand blond avec une chaussure noire avec l'inénarrable Pierre Richard ou encore assistant sur l'Aile ou la cuisse avec Coluche et Louis de Funès !
Deuxième indice : tiens et si un rien de frivolité se cachait derrière l'austérité apparente du Morvan ?
De l'eau, de l'air, de l'herbe, du gras...
Devant le château, on pourra voir régulièrement passer quelques groupes de quads, SSV et motos d'enduro, organisés soit par le concessionnaire Polaris et Bombardier de Magny, dans les alentours d'Avallon, soit par un concessionnaire mutlimarques de Brassy, en plein coeur du parc naturel du Morvan. Ces deux fins connaisseurs des forêts et de ses sentiers n'auront pas leur pareil pour vous faire découvrir un Morvan encore plus intime, puisque nombre de motards viennent se mettre au vert pour deux heures ou un week-end entier. Ces randonnées se font généralement sur un mode loisir dans le respect des habitants des fermes et petits villages traversés et avec la préoccupation de ne pas dégrader les chemins. Elles permettent malgré tout de s'imprégner de cette verdure dense et majestueuse. Mais si l'appel du bitume reste plus fort que tout, Motor System, à une encablure d'Avallon, possède une piste de karting sur le site de la concession. Longue, rapide et technique, elle ne s'apprivoise pas facilement.
Ce qui ne s'apprivoise pas non plus facilement, c'est le crapiaux. Le crapiaux est à la gastronomie fine ce que la Harley-Davidson Fat Boy Special est aux S du Beausset : un monument. Il s'agit d'une crêpe épaisse et salée à base d'oeuf, de farine, de lait, de lard, de sel et éventuellement de pommes de terre. C'est du solide et cela donne un troisième indice : quand le local se nourrit comme cela, c'est que le climat est rude.
Non pas qu'en termes de gastronomie, le pragmatisme l'emporte sur la distinction. On mentionnera, parmi les adresses incontournables, la fameuse Auberge ensoleillée de Dun-les-Places (de Château-Chinon, remonter vers le coeur du Parc Naturel par la D37) où les produits du cru sont servis dans des portions roborative, ainsi que, un plus à l'est et en bordure du Parc, le relais Bernard Loiseau à Saulieu, qui sait accommoder le lièvre, le sandre, le chevreuil ou le coin mieux que personne. La preuve : 3 étoiles au Michelin ! En sortant du restaurant, les sculptures animalières de François Pompon, élève d'Auguste Redin, constituent un joli prétexte de balade digestive et émerveillent toujours par leur capacité à séduire, quasiment un siècle après leur création, parce qu'elles vont droit à l'essentiel, sans s'encombrer de détails.
Tout le contraire du Morvan, en fait, qui se révèle, visites après visites, par cette somme de petits riens qui, au fond, en fait beaucoup.
Quelques roads books généreusement disponibles sur Le Repaire
- 171 km dans les hauts du Morvan
- Boucle de 103 km dans le Parc Naturel Régional
- Double boucle de 489 km dans tout le Morvan
- Boucle de 219 km dans le Morvan au départ de Nevers
- 234 km dans les Monts du Morvan
- 312 km à travers le Morvan du nord au sud, d'Auxerre à Châlons-sur-Saône
Commentaires
Balade en région de France :)
15-12-2015 10:55