Suzuky Rotary RE-5
Rotary cover
Début 70, Suzuki cassa sa tirelire pour acquérir la licence Wankel, précurseur du piston rotatif. L’usine se fixa pour objectif d’éliminer les tares rédhibitoires de ces moteurs si capricieux. Une tâche considérable. Pourtant, après l’opération d’une douzaine de moteurs différents, sur lesquels plus de 200 modifications furent pratiquées, naquit la Rotary RX-5, présentée en grande pompe au Tokyo Motor Show en novembre 1973…
Effectivement, le fruit de ce travail acharné assura la création d’une machine fiable, débarrassée des problèmes d’étanchéité inhérents à ce genre de motorisation. Pour y parvenir, les ingénieurs de Suzuki utilisèrent des joints issus de l’aérospatiale, dénichèrent la parade pour assurer un refroidissement conséquent, une lubrification abondante du rotor, segments et vilebrequin, puis maîtrisèrent la consommation, le tout validé après des tests impitoyables.
Un système de circulation d’air forcé dans les échappements, permet de réduire la température des gaz lors de leur sortie…
Triangulaire, le piston rotatif divise l’espace du stator en chambres successives sur un arbre à excentrique. Le rotor comprime les gaz et permet trois cycles. Admission allumage, combustion, détente, soit une explosion tous les 120°. Limpide non ?
Autre avantage du moteur rotatif, son étroitesse. Et sur ce spot, sa beauté également…
Suite à d’ultimes retouches, La RX-5 devint RE-5 et tenta sa percée sur le marché en 1974. Une fois de plus Suzuki ne lésina pas à la dépense et espérait des débuts en fanfare étayés par une grandiose campagne publicitaire, dont certains spots furent même tournés par les astronautes ayant posé en premier leurs chaussures sur la lune ! La Rotary RE-5 n’attendait plus qu’à prendre son envol… Et ce fut un échec retentissant.
Ultime tentative pour écouler quelques rotatives, lui changer son apparence. Ainsi la « Giugiaro », jugée trop audacieuse, sera abandonnée en 76 et la Suzuki retrouvera les atours plus conventionnels de la 750 GT. Mais le coup n’a pas marché et les RE-5 restèrent en concessions…
Malgré toutes les tentatives pour amadouer les clients, rien à faire, la rotative restait en concessions. Alors l’usine préféra la retirer du catalogue dès 1977. Le bouillon fut tellement douloureux que la marque faillit ne jamais s’en remettre. Heureusement, les ingénieurs avaient un joker sous le coude. En effet, la GS 750, leur tout premier quatre-temps, connut un grand succès et renfloua les caisses après les millions de dollars engloutis, en pure perte, dans l’hasardeuse aventure Rotary…
Découverte
Rien de conventionnel sur cette moto. Ceinte d’une robe dessinée par Giorgetto Giugiaro, designer automobile de renommée internationale, tricoteur de beautés absolues telles Dino Fiat, Lotus Esprit, ou Ferrari 250 GT, l’artiste souhaita évoquer la motorisation en carrossant tout en rondeurs. Le résultat surprend et la Suzuki rotative ne passe jamais inaperçue !...
Le tableau de bord cylindrique fut vite surnommé « Boîte à pain », ou encore « l’Aquarium » !...
Sur la RE-5 M, toutes les parties sont arrondies afin de renvoyer l’image au rotatif. Volonté du designer Giorgetto Giugiaro…
En selle
Ambiance « science fiction » une fois assis sur la (large) selle. Le tableau de bord est placé sous un cylindre translucide, s’ouvrant automatiquement dès la clef de contact tournée ! Instrumentation très complète, comportant notamment rapport de vitesse enclenchée et témoins d’huile des deux pompes…
Démarrage
Une bande son inconnue (mais plutôt mélodieuse), une fois le bouton du démarreur électrique enfoncé. Surprise : on se croirait sur une moto « normale » dès la première vitesse enclenchée… Jusqu’à la première fermeture des gaz, moment étonnant provoqué par l’absence totale de frein moteur…
En ville
La Suzuki RE-5 n’a rien d’une machine pataude et parvient même à faire preuve d’une agilité surprenante. Elle approche malgré tout des 250 kilos TTC, il convient donc d’éviter de se faire embarquer. Les témoins de température n’approchent pas du rouge, même durant les embouteillages sévères…
Sur route
Partie-cycle saine, amortisseurs moyens et freinage à l’ancienne. Inutile d’espérer un comportement de champion en virages. Toutefois la rotative sait se tenir au même niveau que ses sœurs du mitan des années 70. Et puis ses accélérations, absolument fabuleuses, suffisent au bonheur du pilote…
On jubile sur sa belle Suzuki. Le ressenti mêle twin énervé et moteur électrique…
Sur autoroute
Un léger flottement au-delà des 170 km/h. Un peu de roulis en grandes courbes et le capotage du tableau de bord, censé dévier les turbulences, ne ménage en rien les cervicales à haute vitesse. Par contre, pas la moindre vibration, le moteur ronronne et ne consomme pas autant qu’on le craignait…
Un tapis volant. Sans vibrations… Ni frein moteur !
En duo
Repose-pieds passager suspendus, barre de maintien, selle large et confortable, pots parés de plaques anti-chaleur… Le passager n’est pas maltraité, loin s’en faut !
Pas facile à béquiller, surtout les modèles européens. Aux USA, les modèles étaient pourvus d’une poignée de levage.
Le freinage
Le frein à disque arrière, prévu à l’origine, fut abandonné et remplacé par un traditionnel tambour. Afin de protéger les jambes du passager, les pots, à double tubulure concentrique, ont une protection contre la chaleur.
Dommage que le frein à disque arrière, pourtant prévu, n’ait finalement pas été monté. Le double disque avant fait ce qu’il peut, mais a bien du mal à stopper convenablement les 250 kilos de l’engin, aidés aucunement par le frein moteur…
Consommation
On la pensait vorace, finalement elle ne dépasse pratiquement jamais les neuf litres aux cent de super 95 sans plomb. A peine 8 litres en mixte…
Bouchons de radiateur et réservoirs sont dissimulés sous une trappe…
La fiole à gaver d’huile deux-temps est placée sous la selle.
L’entretien
Concernant l’huile, 1 litre aux 1000 pour lubrifier les segments et un autre tous les 4000 afin de bien beurrer le rotor. Pour le reste, pas d’arbres à cames, ni soupapes, bielles ou chaîne de distribution… La rotative est en vérité une moto très fiable si on n’oublie pas de bien l’abreuver en corps gras…
Production
96 exemplaires furent écoulés à de téméraires motards français. Au dernier recensement, il en resterait une soixantaine en service. Nos voisins ont fait pire : seulement 66 modèles écoulés en Allemagne. En tout, 2000 dans le monde entier.
Chronologie
Présentée fin 1973 sous l’appellation RX-5, la Suzuki rotative sera mise sur le marché début 1974 en fin de compte baptisée RE-5 M. Elle était alors disponible en quatre coloris : bleu, rouge, argent et jaune. En 1975, une livrée noire remplacera celle en argent alors définitivement abandonnée. En 1976, une version A sera présentée, de couleur bleue ou noire ornée de filets or. Ce modèle reprendra l’instrumentation classique de la 750 GT (phare, clignotants, feux). Cette moto achèvera sa carrière en 1977.
Côté cote
Curieusement (et heureusement pour qui en cherche une !), la cote de la Rotary n’est pas très élevée. Malgré une technologie ahurissante et une rareté absolue, une RE-5, M ou A, se négocie autour de 5000 euros en état moyen, 8000 en pleine forme et à peine 10000 restaurée de A à Z état concours.
En cas d’achat
Surprise, le moteur est très fiable et en retrouver une sous un tas de fagots, n’implique pas forcément que l’engin soit devenu une ruine totale. Bon courage toutefois à qui souhaite remettre sur roues une RE-5 au rotor gommé, les pièces internes (joints, segments…), sont pratiquement introuvables. En revanche, d’autres composants comme la boîte de vitesses, roues, freins, amortisseurs, identiques à la 750 GT, reposent encore dans quelques stocks.
Conclusion
Vient à présent le temps des regrets pour son terrible insuccès. Cette machine est en vérité fascinante. D’un comportement très correct en dynamique, luxueusement accastillée, fiable, généreuse en sensations… Si seulement le concept avait été poursuivi. Peu de pièces en mouvements, légèreté du bloc, rapport poids/puissance très élevé… Mazda, en automobile, a démontré en remportant les 24 Heures du Mans 1991, que sa 78 7B rotative était aussi performante qu’incassable. Au point que la fédération de la discipline préféra l’interdire de compétition, considérant ce genre de motorisation trop avantagé face aux mécaniques traditionnelles… Alors bravo à Suzuki d’avoir au moins tenté le coup. Auparavant, Yamaha avait planché sur le sujet et même dévoilé furtivement un proto baptisé RZ-201 doté d’un birotor. Mais n’osa aller plus loin et laissa tomber l’affaire. D’autres constructeurs franchirent le pas, notamment le Hollandais Van Veen qui parviendra à écouler 38 modèles d’un 1000 propulsé par un Comotor de Citroën GS entre 78 et 81. Encore un plouf magistral. Norton également, allant jusqu’à proposer une gamme composée de GT, roadster et sportive. A des tarifs faramineux. Malgré quelques succès en championnat britannique et une victoire éclatante au Senior TT de 1992, ces motos disparurent très vite du paysage après une nouvelle débandade financière… Reste donc le souvenir de cette étonnante RE-5, œuvre de monsieur Shigeyasu Kamiya, ingénieur en chef et instigateur enthousiaste de cette folle épopée, qui fut bien injustement incompris…
Points forts
- Moto historique
- Moteur unique
- Sensations incomparables
- Tarif raisonnable
- Placement assuré
Points faibles
- Chemin de croix pour dénicher des pièces détachées
- Consommation essence + huile
- Entretien délicat
- Freinage à l’ancienne
- Tenue de route floue à haute vitesse
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