Enfourche tes rêves, le livre mémoire de Sylvain Pierron

Le récit de 35 ans de moto

L'histoire d'une vie, la vie d'une histoire

D'emblée, la lecture d'Enfourche tes rêves soulève cette interrogation profonde : pour l'auteur de ce livre, la moto est-elle un rêve ou une passion ? Récit d'une vie de motard, voici un ouvrage qui égrène au fond les péripéties d'un homme qui se jette à corps perdu dans la moto. Cet homme, c'est Sylvain Pierron. Mais au travers de son histoire, c'est rapidement celle des autres qui émane d'une expérience personnelle. Celle des copains, celle des membres d'une famille motarde qui partage des valeurs communes de fraternité, d'insoumission et d'intelligence. Peu à peu, on s'identifie à cette vie car tous ceux qui vivent la moto s'y retrouvent. Dans le livre de Sylvain Pierron on se trouve, mieux, on se reconnaît.

La passion à l'heure des contes

Au début de son livre, Sylvain Pierron vend sa moto. Une blessure accompagnée d'un sentiment d'abandon indigne d'une passion qui le dévore depuis longtemps. Sevré de moto, Sylvain Pierron réfléchit à ce que son engin représente dans sa vie. Les souvenirs affleurent et l'histoire se déroule comme les bornes kilométriques abattues par un jour de grand voyage. Avec la moto, Sylvain Pierron a participé aux grandes heures de l'édification de l'idéal motard. C'est l'heure des premiers clubs, la naissance des grands rassemblements et de la moto pratiquée comme un symbole insurrectionnel. Les contemporains de Sylvain Pierron ont fait de la moto un rêve. Mais qu'en reste-t-il aujourd'hui ?

Une chronique lucide de la moto d'aujourd'hui

Intelligent, lucide et corrosif, le ton de Sylvain Pierron est aussi sans concession sur le milieu moto qu'il a vu naître, grandir et finalement devenir la proie de certaines dérives. Dans Enfourche tes rêves, tout le monde en prend pour son grade, les motards en premier :

Que reste-t-il aujourd'hui de ces mouvements dissidents, de ces insurrections naturelles et spontanées, de cette insoumission ventrue, de nos protestations enflammées ? Que dalle, à en juger par le triste constat qui s'affiche de nos jours... Je ne citerais que le lamentable exemple du 8 février 2015 où seule une poignée de motards se sont retrouvés sur l'esplanade du Château de Vincennes pour protester contre la loi du Maire de Paris, Anne Hidalgo.

Constructeurs français sabordés, motards divisés entre les loups et les agneaux, aliénation de la moto par la quête du profit, Sylvain dépeint un tableau pas toujours flatteur de ce milieu qu'il aime tant, mais sans jamais verser dans l'amertume. C'est le récit d'un auteur amoureux qui voudrait que sa maîtresse se réveille avant d'avoir tout à fait perdu son âme. Mais le texte de Sylvain Pierron ne se départit jamais d'un humour irrésistible. Après de nombreux kilomètres abattus sur son Sportster Harley-Davidson, l'homme décrit mieux que personne l'évolution d'une culture qui mise parfois sur ses racines pour mieux les piétiner.

Si l'esprit a évolué en si peu de temps, c'est parce que l'Oncle Sam a finalement compris que le nerf de la guerre réside dans l'art du commerce. En parallèle, tatouage et package "tête de mort" vont s'humaniser : mieux... se civiliser au rythme des saisons de Sons of Anarchy. La "Kustom Kulture" se meurt et l'esprit motard la suit dans la fosse !... Quoi qu'il en soit, les enseignes Harley fleurissent sur l'hexagone et les derniers "Gris" disparaissent aussi vite que nos artisans de nos villages.

Pétri de citations spirituelles ou cocasses, illustré de photos souvenirs et rempli d'une spontanéité dans laquelle bon sens ne rime pas fatalement avec consensus, Enfourche tes rêves est un viatique à destination de l'aventure motarde. Au final, le rêve s'est étiolé comme un soufflé asthmatique. Mais quand le rêve se brise, il reste la passion. Les dernières pages délivrent l'auteur de son rêve idéalisé, effaçant de son esprit les pensées maussades d'une génération dans laquelle il ne se retrouve pas, au profit d'un grand projet. Un projet moto. Comme quoi rêves et passions sont balayés d'un revers de main devant l'exaltation d'entreprendre.