Tunisia Rally Tour : interview Vincent Philippe
Quand le multiple champion d'endurance roule en rallye
Rencontre avec un rallyman de vitesse
Enduro, supermotard, vélo, VTT, musculation, natation, skating, ski alpin, roller & course à pied... Vincent Philippe pratique la compétition à haut niveau... et a à son actif plus de 6 titres de champion du Monde d'Endurance. Il effectue son premier rallye entier lors du Tunisia Rally Tour. Rencontre avec un champion accessible...
Le Repaire des Motards : Pourquoi le Tunisia Rally Tour ?
Vincent Philippe: Tout vient initialement de Patrick Bournisien qui m'a amené à participer au Moto Tour. C'est lui qui m'avait motivé, engagé à faire ce premier rallye. Malheureusement, j'avais été blessé lors de la 3e spéciale du Moto Tour et j'avais dû arrêter. Du coup, j'avais l'impression de lui devoir quelque chose. Je connaissais ses qualités pour organiser une épreuve comme celle-là. Alors, quand il m'a contacté l'année dernière pour participer à ce qui s'appelait alors le Tunisia Road Rally, j'ai dit oui. Finalement, je me suis blessé à la clavicule quelques semaines avant le rallye. Je suis donc venu en touriste l'année dernière mais sans participer; à mon grand regret. Mais j'avais promis de revenir... cette année. Et je suis là avec plaisir.
Comment t'es-tu préparé ?
Je me suis préparé une petite moto du type Serge Nuques, pas très rapide et avec de bonnes suspensions afin d'avoir une machine pour participer en sécurité. Je savais que face à Serge Nuques, çà allait être très compliqué de gagner. Mais je voulais surtout être présent, faire une belle course, essayer d'aller titiller Serge. Cà a été vraiment difficile sur les premiers jours. Après, çà s'est accéléré mais c'était trop tard.
Du plaisir ?
Le plaisir de rouler sur des routes magnifiques, en toute liberté, parce que chez nous, on ne peut plus le faire, c'est terminé. Avoir des paysages superbes et profiter de l'ambiance. Il y a l'ambiance intérieure course entre nous pilotes, qui est absolument fantastique. On ne retrouve pas çà en vitesse. Même si on se connait tous en endurance, il y a une bonne ambiance mais on se tire la bourre en permanence dès qu'on est sur un circuit. Là, avant les spéciales, on déconne, on rigole. Il y a une bonne ambiance amicale. On se tire la bourre sur les spéciales et basta. Et en plus, les Tunisiens mettent la bonne ambiance pendant les soirées. Tout pour profiter d'une super semaine.
Des difficultés particulières ?
Le rallye est différent de la vitesse. En rallye, il faut accepter de perdre du temps . On se dit que cette spéciale n'est peut-être pas pour moi, qu'elle est un peu dangereuse et qu'il ne faut pas prendre de risque inutile. Alors, on laisse quelques secondes filer. Cà on a du mal à le faire en départ de course, où on a tendance à être à 100%. Alors que sur un rallye, on ne peut pas toujours être à 100%. C'est d'ailleurs ce qui a entrainé mon accident au Moto Tour.
Une hésitation sur le choix de la moto ?
Pas du tout. J'avais vu l'année dernière ce qui s'était passé. Pour battre un Serge Nuques, il ne faut surtout pas prendre la même moto que lui, sinon tu es battu d'avance.
Ceci dit, on n'a rien fait au niveau moteur. Le moteur est complètement d'origine. On n'a pas pris non plus le temps de faire une prépa. Cette moto m'a été prêtée et je ne voulais pas mettre une fortune dedans ni passer des heures et des heures dessus. On a juste mis des pièces de ma supermotard au niveau suspensions et freins. Maintenant, c'est une moto d'enduro et çà manque de puissance. J'ai été optimiste sur le moteur. Si je le refaisais, je voudrai plus de puissance. çà m'a manqué énormément.
En, fait, lors de mon premier départ de spéciale, j'ai même cru que ma moto était en panne. C'était normal. Serge Nuques a une grosse prépa moteur. Et au départ sur les spéciales, sa moto marche mieux. Et puis en liaisons, je suis resté aussi sur ma faim. Ici, on peut abuser avec le code de la route. Or, nous on devait économiser l'essence et surtout le moteur en roulant à 115 km/h maximum... alors qu'il y avait des lignes droites à perte de vue et qu'avec une moto plus puissante on aurait pu se faire plaisir à rouler très vite. C'était un peu long du coup parfois.
Des différences avec l'année dernière et l'impact sur le choix de la moto ?
Cette année, c'était beaucoup plus rapide que l'année dernière pendant les spéciales. Il y avait plus de panachage cette année pour donner plus de chances aux motos plus sportives. Du coup, j'ai trouvé que c'était plus ouvert. La première partie était très tendue, très bosselée, très sale. La deuxième partie de course était plus ouverte, plus large et plus belle et plus propice à des motos plus sportives.
La différence entre toi et Serge ?
Serge a une machine typée enduro supermotard. Il arrive à me mettre 10 secondes sur une spéciale avec du gravier et tout çà, je ne sais pas comment il fait. Je regarde, j'applaudis. Je ne suis pas capable d'aller beaucoup plus vite. Il est très fort. Pour être à son niveau, il faut quelque chose de différent. Si je reviens dans l'idée de le battre, il faut arriver avec autre chose, pour être moins bons dans certains endroits mais meilleur dans d'autres.
La grande différence pour toi entre la course et le rallye ?
J'ai fais de la course de côte, mais c'est un circuit fermé. On a l'habitude de faire des reconnaissances pour avoir une bonne connaissance du tracé. C'est de la précision, c'est de la vitesse. Le rallye, c'est çà mais aussi plein de choses à côté et notamment beaucoup d'improvisation.
Ton étape préférée ?
J'ai préféré la spéciale rapide, propre, qui m'a donné beaucoup de plaisir. Elle n'était pas adapté à un supermotard, mais cool au niveau pilotage. Et puis aussi la montée dans les roches de Tozeur, la montée dans le canyon, c'était génial. Avec de bonnes suspensions, c'est amusant.
Frustrant d'être éternel second pendant le rallye ?
Heureusement, j'ai quand même gagné une spéciale. Heureusement aussi qu'à côté j'existe dans une autre discipline et que je gagne des courses. C'est sûr que si je faisais toujours deuxième au rallye, çà me frustrerait beaucoup. La, c'était deuxième avec le sourire. Je voyais bien qu'il me manquait de la puissance. Et puis Serge est doué pour çà, il est plus fort. Donc, je suis resté à ma place; c'est ce qu'il fallait. Aller le chercher pourquoi pas, mais le dépasser sur ce rallye, c'est impossible. Tu prends des risques démesurés et au final çà ne sert à rien.
Que penses-tu des rallyes mixant pro et amateurs ?
C'est la même chose en endurance. Et c'est le charme. On a besoin des amateurs. On a besoin de professionnels pour faire la course devant. Tout le monde doit y trouver son compte. çà peut être gênant en endurance s'il y a entre 5 et 15 dépassements à faire par tour mais ici il n'y a pas de dépassements à faire. Au contraire, c'est bien de pouvoir échanger, blaguer avec tout le monde. On se raconte nos étapes, qu'on soit 20 secondes devant ou derrière. C'est très rigolo, très sympa, détendu surtout. C'est du bonheur.
A quoi penses-tu le matin avant de prendre la moto ?
Beaucoup de concentration, avec du stress, parce qu'on n'est jamais à l'abri d'une erreur de roadbook sur des liaisons courtes. J'aime que tout soit parfait et j'ai horreur de faire un demi-tour et après être décalé au niveau des kilomètres. L'envie d'être parfait. Je ne pense pas à la spéciale. Je pense à arriver à l'heure, c'est ce qui m'obsède: le timing. Etre nickel, ne pas se tromper. Mais au bout de 30 mn, là, c'est parti et c'est génial.
Sur le début du rallye, je n'étais pas très à l'aise, je ne me faisais pas vraiment plaisir. J'étais là, il fallait faire le job. Et puis au fur et à mesure, chaque jour, çà s'est amélioré, j'ai plus le sourire et je m'amuse vraiment. Jusqu'à deux minutes du départ de la spéciale, je suis cool. Et puis je pense à ma sécurité. J'ai envie de faire bien mais je n'ai rien à gagner. J'ai envie de rouler vite mais en étant très concentré.
Jamais à 100 %
Non. Il y a juste une fois ou deux, quand tu te rates, quand tu rentres un peu trop vite, tu te dis là j'ai été trop loin. Mais c'est évident que sans reco, on est loin de la limite. On est obligé de gérer à vue. Ce n'est pas du tout comme un circuit de supermotard ou de vitesse. Tu ne vas pas au bout des suspensions, au bout des freins, au bout des pneus. C'est un pilotage spécial. Quelquefois tu regrettes le petit coup de frein, mais il est nécessaire car sinon tu t'approches trop de la limite et il faut garder une marge certaine.
Et le fait de faire un deuxième passage lors de certaines spéciales ?
Çà change avec les deuxièmes passages effectués sur certaines spéciales et notamment sur celles qui ne sont pas dangereuses, sans piège. Tu prends plus de plaisir sur le 2e passage et tu vas beaucoup plus vite. Mais quand c'est un peu plus tordu et qu'il y a des pièges, çà devient dangereux. Tu as l'impression de connaître, tu as l'impression d'avoir déjà vu et donc que tu peux aller plus vite en croyant que tu es plus à l'aise sur la spéciale, mais tu n'es passé qu'une fois. Tu ne peux pas connaître une spéciale parfaitement en étant passé une seule fois. Du coup, çà devient dangereux parce qu'il faudrait faire soit une fois soit cinq fois. Mais entre les deux, tu as l'impression de connaître mais tu peux faire des erreurs. C'est çà que je n'ai pas trouvé évident et où je me suis un peu emporté alors que je pensais maitriser la trajectoire et la piste mais en fait pas du tout.
S'il y une chose à retenir du TRT ?
L'ambiance générale qui règne dans un truc comme çà. C'est du bonheur que ce soit au niveau de la course ou autour. Tu viens faire une course mais tu n'as pas l'impression d'être dans une course à enjeux et pourtant il y en a.
Le mot de la fin ?
J'espère qu'il y en aura d'autres. J'ai pris beaucoup de plaisir au fur et à mesure des jours et j'ai envie de revenir.
Commentaires
Un grand champion, accessible, et un régal à suivre pendant le rallye
09-11-2012 21:35