Concours du plus beau menteur 2007 : Zingaro
Un concours : 3 textes sélectionnés pour le trophée 2007 - l'Arsouille
Arsouille
27 août 2007. Date mémorable s'il en fut. Jamais les Vosges ne connurent un tel soleil, si ce n'est dans les esprits affabulateurs des guides touristiques. Et pourtant, le jour qui se levait, resplendissant, était bien réel, avec pour tout motard frustré par les conditions subaquatiques géromoises toutes les promesses, tous les ferments de la légende. Les motards vosgiens constituent une caste de héros méconnus qui vivent en quelque sorte dans une dimension parallèle : des Enfers aqueux où se conjuguent également les plus belles routes et les pires conditions météorologiques de France. Motards de tous pays, sachez que si vous faites de vilaines choses dans votre vie présente, il y a de fortes chances que vous vous réincarniez dans les Vosges pour votre peine… Pensez-y.
9h30 : Le café est avalé en quatrième vitesse. Je me surprends à chausser des lunettes de soleil (accessoire tout de même superflu neuf jours sur huit). La matinée va être consacrée à chercher de petites routes sympathiques et sinueuses. Je dois en effet préparer une sortie réunissant les Repairiens du Grand Est (Lorraine – Alsace - Franche Comté). Nous organisons deux fois par an cette rencontre et c'est toujours avec le même bonheur que nous nous retrouvons.
10h00 : Je me rends au garage après un coup d'œil gourmand au bitume séchant lentement. La porte s'ouvre, ma bête est là, tapie dans l'ombre. Jeune fauve aspirant déjà aux grandes prédations de la piste. Pour l'heure il est temps d'aller dompter les cols et les lacets pour, éventuellement, y débusquer l'arsouille. Je glisse la clé dans le démarreur et mon petit monstre se met à soupirer en ouvrant un œil. Contact, le moteur, encore engourdi, ronronne doucement. La bête a soif : il lui faut sa ration d'or noir.
10h10 : J'esquisse un sourire carnassier en arrivant à la station service. Tout le monde semble s'être donné le mot ce matin. Plaques teutonnes, alsaciennes, vosgiennes… ça piaffe et ça jubile. Les yeux pétillent, les moteurs ronflent, les dents brillent, les carénages rutilent. En faisant le plein j'observe les groupes qui se concertent sur la meilleure route à prendre. La plupart s'élancent vers le col de la Schlucht. Mauvaise idée. C'est l'heure des camping-cars et des voitures partis charger leur coffre de vins alsaciens.
10h15 : Direction La Bresse par le col de Grosse Pierre en conduite coulée, les pneus sont froids et la route encore un peu humide. Les virages s'enchaînent néanmoins de plus en plus rapidement à mesure que j'approche de La Bresse. La petite aiguille du compte-tours avance petit à petit sa besogneuse ascension de la zone rouge. La Speed four s'essaye à toutes les gammes de vocalises, elle feule, elle rugit. Soudée au bitume, raide comme un coup de gnôle « maison », la moto me propulse rageusement dans chaque enchaînement. Je sens mes genoux frôler le goudron (il va falloir penser à investir dans des sliders) et la roue avant qui tente de jouer les filles de l'air à chaque sortie de courbe. Ce serait magnifique si je pouvais un peu rouler dans le même sens que les autres. En effet, depuis que je suis parti, je ne fais que croiser des groupes de motards ou des pilotes isolés. C'est très chouette de faire coucou, plein angle, d'un air désinvolte mais c'est encore mieux de se faire une petite escapade de métal hurlant. Pas de chance les gaziers que je croise sont des déçus de la Schlucht qui ont fui la caravane touristique pour chercher un itinéraire moins encombré.
11h15 : A part deux 125 « over-customisées façon route 66 », je n'ai absolument rien eu à me mettre sous la dent. Ce n'est pas très grave car j'ai pu travailler certaines portions encore un peu difficiles pour moi (notamment les épingles à droite). De plus je m'arrête régulièrement pour prendre le temps de consulter ma carte, de revenir sur mes traces afin de chercher le meilleur itinéraire, le moins fréquenté, le mieux revêtu, le plus amusant, le plus panoramique possible. Bref, je fais consciencieusement ce pour quoi j'ai quitté mes pantoufles : la préparation de la sortie Grand Est. Les reconnaissances sont enfin bouclées, je peux rentrer par le chemin le plus long et le plus viroleux.
11h20 : Je roule très tranquillement, ça bouchonne un peu
devant : un car est bloqué derrière un camion de débardage.
La route est aussi tordue qu'un raisonnement de fin de soirée
arrosée ; pas moyen de doubler sans risque. Je flâne donc
à 70-75 Km/h en attendant que l'horizon se dégage…
quand un furieux, sorti de nulle part, double le convoi en me lançant
au passage un petit salut que je trouve bien impertinent. OK, mon vieux,
tu viens de commettre la pire erreur de ta carrière de pilote d'opérette
: défier Zingaro, le sombre seigneur des brumes, sur son propre
territoire… GAZ !!!! Je passe le car sur un bout de droit (certainement
le seul sur un bon kilomètre) et le camion dans un long virage
à gauche. Allez mon vieux Zingaro, plein pot ! Je vais lui faire
passer le goût de l'arrogance à ce kéké.
Je commence à pousser franchement ma Triumph quand je l'aperçois
au détour d'un lacet. Pas possible, lancé comme il
l'était j'aurais du mettre bien plus longtemps à
le rattraper… à moins que… à moins qu'il
n'ait ralenti pour m'attendre ! Non ! Il ne peut pas chercher
à m'humilier aussi ostensiblement ! Je suis rapidement dans
sa roue et, là… j'ai un gros choc : C'est Zuzubarteam
! Plaque anglaise, Yamaha rouge et blanche, petit signe… ça
ne peut être que lui…
Non, Zingaro, allons, raisonne un peu, Zuzu te traçant dans les
Vosges… C'est aussi improbable qu'un modérateur
magnanime…
Alors ?
Alors ce n'est pas une R1 mais une R6 dernier cri. Combi saturée
de fluo, casque à visière fumée… Notre britton
fait dans le look pilote d'usine. Et bien soit, voyons si l'habit
fait le moine.
Nous arrivons dans la montée du Bonhomme, il est toujours en tête
et commence même à creuser légèrement l'écart.
Je m'accroche désespérément mais je ne cesse
de le voir s'éloigner à chaque virage. En plus il
me la joue frime à mort : et que je te fais un déhanché,
et que je te pose le genou… Et moi impuissant qui ne peux que me
contenter de le suivre de loin (les virages sont très longs et
offrent une excellente visibilité). Je finis par entrer dans les
courbes au moment où il en sort. Je me crispe sur le guidon, je
serre les dents et ravale péniblement mon dépit : Archi
humilié le Zingaro. Et par un gars qui ne connaît pas la
route de surcroît…
Je veux ma revanche.
Arrivé au carrefour du sommet, il me fait un signe d'hésitation,
il ne semble pas savoir où aller… à moins qu'il
ne me laisse le choix des armes… Soit, dans ce cas, à gauche
toute, direction le col des Bagenelles. Je connais le moindre gravillon
de cette petite route toujours déserte… et je sais aussi
qu'elle débouche sur une série de lacets très
courts jusqu'à Liepvre. Il va s'en voir avec ses guidons
bracelets, le bad boy des paddocks. Gniark ! Gniark ! Je vais la venger,
moi, la Jeanne d'Arc ! Enfin bon, pour l'instant la perfide
Albion mène. Il vient en effet de me repasser devant dans un hurlement
de chat équarri !
Cependant, à mesure que les virages se referment, il me cède
du terrain, je pourrais faire cette route les yeux fermées, je
sais exactement sur quel rapport me placer, avec quel angle prendre telle
ou telle courbe, où freiner et avec quelle intensité…
Je le vois qui hésite à plusieurs reprises : son pied sur
le sélecteur descend parfois un rapport de trop, son feu ne s'allume
pas à temps puis le pied s'écrase brusquement sur
le frein… Plus je me ressaisis, plus il bafouille. A ce rythme là
je finis par être juste derrière lui.
Nous n'allons pas tarder à attaquer la série de lacets
et je me félicite d'avoir installé un guidon large
sur ma bécane. Je suis aux aguets de la moindre erreur de sa part.
Pour l'instant il ne lâche rien et je me contente d'attendre,
je me sens ferme et serein comme un nudiste au Moulin rouge.
Première série de pif-paf courts, il les négocie
bien mais il se crispe un peu, ses rétrogradages et ses relances
deviennent nettement moins fluides. Courbe longue à gauche (la
dernière) et épingle à droite. Là ! La faute
! Il est trop au centre de la chaussée pour attaquer le lacet suivant
sur la gauche (un petit vicieux qui se ferme en deux temps). Il ne l'a
pas encore aperçu, je me place à l'extérieur.
Voilà il l'a vu et descend une vitesse, il est trop à
l'intérieur, il va devoir freiner, je me porte sur son flanc
droit, il freine, je passe, nous sommes côte à côte,
il commence à se redresser (il doit penser à un pif-paf
gauche-droite), j'accentue mon angle car la seconde section de la
courbe arrive. Surpris il s'écrase sur la gauche en freinant
et je le passe (non sans avoir senti mon épaule frôler son
carénage). Que c'était beau ! J'en ai les larmes
aux yeux. Jeanne tu es vengée ! Je l'ai enfumé ce
petit malin ! Non mais ! On ne défie pas impunément, Zingaro,
le sombre seigneur des brumes ! Les épingles défilent et
je commence à voir mon adversaire rapetisser dans mes rétros,
je le perds même de vue par intermittence. « Allez hop ! Offrons-nous
ce petit plaisir » me dis-je en lui faisant un petit salut que je
charge de toute l'ironie possible. Un point partout. Balle au centre…
Et un pied extraordinaire !
Malheureusement il n'y aura pas de troisième manche. Nous
arrivons sur des routes fréquentées et nous ralentissons
franchement d'un accord tacite. A Ste Marie aux Mines je mets mon
clignotant à droite, un peu en avance, pour lui indiquer une possible
séparation. Il se porte à mon côté et me fait
signe qu'il continue tout droit. Il lâche alors son guidon
et fais mine de m'applaudir. Je me marre sous mon casque, visiblement
lui aussi. Pris de l'envie de faire aussi une pitrerie, je sabre
alors l'air d'un Z qui veut dire Zingaro, ça l'amuse
visiblement beaucoup. Au stop, nous nous serrons la pince et je vire à
tribord direction mes pénates.
L'histoire aurait pu en rester là : la plus mémorable arsouille de ma vie.
Mais…
15 Octobre 2007
J'ai rencard chez le concessionnaire pour changer les pneus de mon
fauve. Durant cette opération je musarde dans le magasin en sirotant
un café brûlant (il commence franchement à pincer
dehors). Comme je dois changer mon casque, j'inspecte davantage
cette section. Un casque attire alors mon regard. Il est noir mat avec
une lettrine qui ressemble furieusement à un Z au centre d'un
soleil et d'une lune dessinés à la façon des
astrolabes médiévaux. Tout à fait mon univers graphique,
même si c'est un poil exubérant. Je me tourne alors
vers le concessionnaire pour m'enquérir du prix de ce haume,
celui-ci l'œil goguenard me lance :
- Alors on veut se mettre dans la peau de Rossi ?
- Plait-il ?
- Bah oui, c'est le dernier répliqua Rossi.
- Ah bon… Je ne savais pas, je ne suis plus les GP depuis un moment.
Il a signé chez Kawa ?
- (Rigolard) Bah non, pourquoi ?
- Le Z c'est pour quoi ?
- Bah, j'sais pas trop. Depuis un peu plus d'un mois, il a
rajouté une nouvelle pièce à sa collection de tics
; il signe ses tours d'honneur en faisant un Z… savez, à
la Zorro quoi...
-Ou à la Zingaro…
- Hein ?
- Non, non, rien…
Et depuis ce jour le doute m'habite (comme dirait l'autre).
Et si…
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