Au chevet de la presse : In Nomine Patris
Ventes en kiosque en baisse, problème de distribution, chute des recettes publicitaires et événementielles
La presse va mal ! Ce n'est pas une nouveauté et encore moins un scoop. En fait, une étude titrait déjà en 1994 "Les causes économiques de la crise de la presse française", en analysant les vingt années précédentes, remontant ainsi à 1974 et la crise pétrolière ! Les articles se sont multipliés au fil du temps et de plus en plus ces dernières années, avec même une page complète sur Wikipédia et jusqu'au titre de Mediapart "L'interminable agonie de la presse".
Le dépôt de bilan récent du distributeur de presse Presstalis (ex-NMPP) et la chute de près de 80% des recettes publicitaires de la majorité des médias pendant l'épidémie n'a rien arrangé.
Que ce soit la presse dite parisienne, la presse quotidienne régionale (PQR pour les intimes) ou la presse internet, les rédactions dégraissent années après années. Multi-factorielles, les causes sont toujours les mêmes : surcoût des rédactions (et plus le contenu est de qualité, plus il repose sur des journalistes expérimentés aux salaires plus "élevés"), surcoûts de fabrication, surcoûts structurels de distribution, érosion du lectorat, perte d'attractivité auprès des annonceurs avec au final une très faible rentabilité économique voire une rentabilité économique inexistante.
Et on parle encore de liquidation immédiate pour Presstalis ! En effet, après plusieurs semaines de discussions et un report de la parution devant le tribunal de commerce, il n'y a toujours pas d'offre commune de la part des journaux quotidiens et de la presse magazine. Il semble même que la plupart des magazines se sont désolidarisés. Le concurrent de Presstalis, les Messageries lyonnaises de presse (MLP) n'ont pas trouvé un accord non plus. Seule la coopérative des quotidiens at présenté une offre. Et pour la direction de Presstalis, ce plan « permet au Groupe d'éviter une liquidation immédiate sur la totalité de son périmètre et l'arrêt de son activité de messagerie, avec un coût social majeur ». On parle ici de 900 emplois concernés pour Presstalis, mais bien plus dans toute la profession qui va être impactée par les dettes et les recettes de ventes conservées par Presstalis et non reversées aux éditeurs. Du coup, il y a eu des mouvements de grève lancés aujourd'hui, qui se sont matérialisés par l'impossibilité de distribution de plusieurs titres de presse, ce qui fragilise toujours un peu plus les éditeurs. Pourtant, l'Etat a proposé à nouveau de mettre la main au porte-monnaie avec une aide de 100 millions d’euros !
Ce qui est acté, c'est que tous les petits éditeurs (moins de 5 millions de chiffre d’affaires) ont été autorisés à quitter Presstalis. C'est le cas de la très grande majorité des éditeurs de magazines motos.
Le tribunal de commerce de Paris décidera demain de l’avenir de la principale messagerie de presse.
Commentaires
Semaine décisive pour Presstalis ! La décision devait être rendue ce matin mais le tribunal de commerce a mis son jugement en délibéré à vendredi.
12-05-2020 18:09Les quotidiens nationaux (Le Monde, Le Figaro, L’Equipe, Les Echos, Libération, La Croix, L’Humanité) ont proposé pour l'instant de reprendre 265 des 400 salariés en Ile-de-France (siège et plateforme de Bobigny) mais pas les dépôts de presse en province gérés par la SAD, avec ses 500 salariés.
Réponse vendredi pour savoir si Presstalis sera liquidé ou reprendra ses activités.
Question bête : en cas de défaillance du distributeur, qui va distribuer les journaux ?
12-05-2020 18:30un autre distributeur... et des petits magazines mourront parce que pas payés/remboursés de leurs ventes en kiosque.
13-05-2020 00:02Quand je lis "les petits éditeurs [...] ont été autorisés à quitter Presstalis" et "des petits magazines mourront parce que pas payés/remboursés de leurs ventes en kiosque", je me dis qu'il faudrait quelques explications complémentaires sur le fonctionnement de la distribution de la presse.
13-05-2020 14:44Si on parle "d'autoriser", ça veut dire qu'il y avait une obligation donc une forme de monopole ?
Quand au non paiement, ça veut dire que le flux du paiement était le suivant : lecteur-kiosque-distributeur-éditeur ?
Oui Presstalis avait le monopole de la distribution. C'est en partie ce qui les a tués. 13-05-2020 14:56
oui, le flux de paiement était logique :
13-05-2020 15:39- le lecteur achète en kiosque
- le distributeur récupère les recettes des ventes
- le distributeur paye l'éditeur
C'est ainsi que Presstalis a gardé l'argent sans le reverser de façon partielle ou intégrale pendant des mois à bon nombre d'éditeurs.
Donc, pour faire caricatural en prenant un exemple pour un magazine, l'éditeur paye les journalistes et tous les frais en janvier, puis l'impression du papier, le numéro sort mi-février, il est acheté sur février/mars (en fonction de mensuel/trimestriel), les invendus sont envoyé au pilon fin mars, les recettes reviennent en avril, et l'éditeur est payé en mai ou juin, voire à une période, un pourcentage simplement, Presstalis conservant une partie des recettes 'en prêt forcé'.
Le numérique y est aussi pour une bonne part responsable, nan ...
13-05-2020 17:19j'cannarde pô, j'demande...
Si le numérique était le responsable, et donc la solution pour compenser la perte du papier, il appartenait à la presse de faire le virage du numérique... mais elle la fait, en tout cas pour tous les médias majeurs, avec une vraie compétence en plus. Et dans la moto, quelques magazines font un travail de qualité et de fond, et ont du coup des ventes stables voire en augmentation pour certains.
13-05-2020 22:34Cette idée de "c'est à cause du numérique" vient en partie de quelques rares journalistes qui n'ont pas évolué. Ces mêmes journalistes qui étaient invités en "jet privé" (véridique) pour aller à une présentation presse ou qui se faisaient offrir des prêts (très longue durée) de véhicules. Ou plus simplement, ceux qui étaient payés avec tous les frais pendant une semaine complète pour faire la fête et un peu un essai de moto. Forcément, c'était mieux avant pour eux et il faut trouver un coupable.
Je travaillais dans l'informatique avant la moto. Fin des années 90, les magazines informatiques se cassaient déjà la gueule, avec des grandes coupes humaines dans les rédactions, avant même que le numérique (l'info en ligne) existe vraiment.
Quand il y a une pente et que rien ne l'arrête, la ligne droite finit par toucher terre.
C'est plus une question de synchronicité que de cause à effet. Ce qui est sûr, c'est que le monde change.
Ce qui est aussi sûr, c'est que le numérique n'a rien d'un Eldorado dont certains rêvent, à cause de l'illusion des chiffres, une illusion liée à un parallèle - inexistant dans les faits - entre le papier et le numérique. Dans le papier, un lecteur achète le journal et cela signifie des recettes en euros à chaque vente. On multiplie ensuite le nombre d'acheteurs par le prix en euros du journal et on a le chiffre d'affaire généré par les ventes.
Mais sur un site d'information, gratuit, un visiteur n'achète rien. Un visiteur ne génère pas un seul centime ni même un dixième de centime d'euro par sa visite. Ce serait trop simple. La fréquentation d'un site, qu'elle qu'elle soit, ne génère donc aucun chiffre d'affaire.
Ce n'est pas parce qu'un site à 2 millions de visiteurs par mois qu'il génère le moindre chiffre d'affaires. Mais les grands chiffres font rêver et encore plus fantasmer.
La presse quotidienne est en déclin depuis la fin des années 80.
13-05-2020 23:21Le virage numérique a été difficile à négocier, le modèle étant difficile à définir mais c’est désormais fait et la situation semble à peu près stabilisée.
Le verdict est tombé ! Liquidation définitive des filiales SAD et Soprocom en région (avec plus de 500 salariés licenciés), licenciements à hauteur de 38 millions d'euros pour les autres salariés, Presstalis placé en redressement judiciaire, avec une période d'observation de 2 mois. Des distributeurs indépendants devraient reprendre une partie de la distribution. Mais rien n'est réglé. Presstalis doit 120 millions aux éditeurs (journaux et magazines) pour les ventes en kiosque; et il n'est pas dit que les éditeurs récupèrent cet argent. Et il reste encore tout à faire pour la "nouvelle" structure. Donc, effet domino pour les salariés, pour les entreprises qui dépendent de ces structures et pour tous les éditeurs qui vont perdre de l'argent sans peut-être pouvoir payer leurs propres salariés.
16-05-2020 13:19