Je m'en suis pris une bonne
Je la voyais venir depuis deux-trois kilomètres. Une bonne grosse barre bien noire à l'horizon et le paysage tout flou devant. Les bagnoles d'en face phares allumés qui battent des essuie-glaces encore.
Une fois de plus, j'ai laissé la combi de pluie à la maison : « boarf... ça va tenir ». Ben non. Des rafales de vent couchent les blés : la mer verte ondule follement. Prises dans le soleil, le blanc brillant des éoliennes sur le plomb du ciel, leurs pales en drapeau*. La crête devant moi a disparu du paysage, avalée par la pluie.
M'arrêter ? Mais où ? Il n'y a rien ici, je suis en rase campagne. Le petit bois devant ne me protégera pas longtemps. Pas de pont, pas d'abri-bus, pas d'auvent. En tous cas pas avant d'avoir rencontré la pluie : le lavoir des Essarts est sous la flotte, là. Et puis je n'ai pas envie de faire demi-tour. Il ne fait pas si froid que ça, je vais juste être mouillé et je pourrai me changer en arrivant puisque je suis sur le retour -à l'aller, la situation aurait été plus délicate.
Je ferme les aérations du casque et vérifie que la visière est verrouillée. Je bénis les ingénieurs qui se sont fait ch... à créer une visière étanche : il n'y a rien de plus désagréable qu'une visière qui prend l'eau. Coup d’œil dans le rétro : personne derrière. A vue de nez, ça va me tomber dessus après le virage, là-bas. Je me recroqueville derrière la bulle, serre les jambes, rentre les coudes. Je resserre le scratch du col du blouson.
Deux grosses gouttes rapides sur le casque -ploc ploc- et vrouf ! Je suis dans la drache. Plein d'eau sur la visière. La pluie gifle mon blouson, immédiatement trempé. Remous dans le guidon. Je sens l'humidité sur les avant-bras, les genoux et puis l'eau directement. J'ai coupé instinctivement. 80... 70. Des filets d'eau se forment sur la bulle. Je rentre encore un peu la tête dans les épaules.
Je traverse de grosses flaques qui se sont formées en quelques secondes. Malgré le bruit de la pluie et du vent, j'entends le froutch-froutch caractéristique de l'eau qui frappe le bas de carénage. De l'eau dans le cou. Gniiiiiiii. J'ai les bras et les cuisses trempées maintenant. Un peu de buée se forme en périphérie de la visière.
Je tourne la tête de droite à gauche pour chasser l'eau : comme j'ai appliqué de la cire à carrosserie sur la visière, la pluie s'écoule sans que j'aie à essuyer de la main. C'est bien la seule chose dont je puisse me réjouir. De la flotte commence à tremper mes gants en coulant le long des manches. J'ai beau essayer de plier les coudes pour que ceux-ci soient plus bas que mes poignets, rien n'y fait. Dans quelques minutes, mes gants seront trempés de l'intérieur. Encore quelques instants et la flotte aura atteint mon service trois-pièces. Là, j'aurai touché le fond.
Je reste recroquevillé, je bouge le moins possible pour essayer de m'entourer d'une pellicule d'eau tiédie par mon corps, mais c'est en vain. Les cuisses et les bras sont rincés en permanence. J'ai encore les pieds au sec, mais ce n'est qu'une question de temps.
Coup d’œil dans le rétro. Toujours personne. C'est tant mieux : je déteste être collé par un caisseux quand il tombe des trombes d'eau. Je fais gaffe aux branches qui peuvent avoir chuté sur la route, arrachées par le vent. J'évite du mieux que je peux les flaques qui peuvent être profondes. Je coupe les gaz quand je traverse les petits torrents qui traversent la route.
Maintenant que je suis trempé, cela n'a plus beaucoup d'importance. Je souris à l'idée des vêtements qui vont faire floc floc floc sur le carrelage de la cuisine quand je les enlèverai. Il faudra faire attention en ôtant les gants de ne pas retourner la doublure. Ça me fera un truc à raconter aux potes demain.
Ah ! Si j'avais pris ma combarde ce matin !
* les pales sont orientées à 90° pour arrêter l'éolienne, par exemple en cas de vent trop violent
PS : Ce n'était pas un matin parfait !
Commentaires
Ceci pour célébrer le 3e mois d'avril d'affilée que nous avons la chance d'avoir cette année.
14-06-2016 09:18Bien dis.

14-06-2016 09:46Un vécu partagé par beaucoup... ça me rappelle un essai GSXS 1000 dans un coin d'Espagne choisi pour absence de pluie depuis 3 ans... Et bien il est tombé 3 ans de pluie en 15 minutes.
Aaahhhh, du vécu par bon nombre ouaip !
14-06-2016 09:58" Il ne fait pas si froid que ça, je vais juste être mouillé et je pourrai me changer en arrivant puisque je suis sur le retour -à l'aller, la situation aurait été plus délicate."
ça par contre, je l'ai eu en allant le matin au taf, je passe à côté d'une aire d'autoroute, je vois un collègue motard enfiler sa combi de pluie fébrilement... Mais kesskifou ?
Je lève les yeux et je vois ce grain, noir d'encre avec la foudre tant qu'à faire...
Le reste est relaté de main de maître, sauf que moi, j'arrive au bureau, sans rechange, la grande classe, flotch flotch flotch...
On m'a regardé avec compassion ou...
Merci KPOK !!!
Les coups d'optimise "ça va tenir"... L'expérience prouve que ça tient jamais en fait!!!
) pour un système de défense, dernière barrière avant l'envie d'en finir, de s'arrêter et de pleurer voire pire : commencer à envier les caisseux, signe ultime de maladie mentale sévère chez le motardus simplex.
14-06-2016 10:28En bonus moi j'avais la petite flaque entre la selle et le fondement qui venait agréablement refroidir les joyeuses avec sa petite vague de front de mer!!
Dans ces moments, j'hésite entre rire et pleurer. Les rares fois où ça m'arrive encore (je suis devenu très copain avec ma tenue de pluie), j'opte en général pour la comptine pour enfants chantée à tue-tête dans les casque, ponctuée de jurons de charretier mais toujours dans la bonne humeur... Les médecins ont parlé de décompensation sévère, moi je pencherais plus (pas tant que ça quand même, il pleut!!
Merci K'pock de mettre des maux sur nos maux.
VV à tous.
*le casque et non les casques
14-06-2016 10:29*des mots sur nos maux
Le pire c'est quand tu croises un camion qui te génère littéralement une vague d'eau qui arrive de face, histoire de finir la chose. J'ai eu ça y a 10 ans dans le sud de la France, un orage totalement inopiné qui m'avait pris par surprise dans une zone sans pont pour se cacher dessous, j'avais halluciné de voir un mur d'eau projeté par le roue du semi
14-06-2016 10:52heureusement, j'habite en Bretagne, ça risque pas de m'arriver
14-06-2016 13:19Dans l'optimisme il y a aussi je vais être juste un peu mouillé j'ai que 3km à faire avant la maison, je vais pas m'arrêter pour si peu, et à l'arrivée tu as de l'eau au fond de tes bottes
14-06-2016 14:42"Je m'en suis pris une bonne."
14-06-2016 14:53Je sais plus qui est l'auteur de cette phrase, je me souviens juste que ça commence par D...
Depardieu
De Puniet
DSK
que d'eau que d'eau, on se demande parfois où "Il" va cherché tout ça doit être rien que pour nous pourrir la vie ou nous rappeler que l'eau c'est pas bon pour la santé en grande quantité
14-06-2016 22:00tiens, j'ai testé hier midi.
15-06-2016 07:35heureusement, j'étais en vélo :)
tom4
"heureusement, j'étais en vélo" c'est bien fait, si tu avais été "à" vélo tu serais passé entre les gouttes
15-06-2016 21:52on a le droit de dire les 2 :)
16-06-2016 07:34tom4
Ca me rappelle une ballade en mai, où on était parti avec la clique, départ de l'Orée du bois, vers Porte Maillot, en t-shirt sous les cuirs car il faisait super beau. Direction la Normandie. Normandie qui, je le rappelle, est une région où il flotte 364 jours par an, souvent confondue avec la Bretagne pour une simple erreur d'employé de cadastre concernant l'église pour touristes chinois construite sur une grosse pierre.
16-06-2016 09:53Tout allait bien, soleil, vabrôô et p'tits zoziaux. Mais à mesure qu'on avançait, le ciel bien au loin devenait gris plombé, limite noir. Ca sentait l'orage balèze, le deluge pas content. Délaissant une station service qui nous aurait permis d'enfiler nos pantalons de pluie (oui, c'était il y a longtemps cette histoire, un temps où même sur la dernière RR tu avais un minimum de coffre sous la selle...), on a continué, tous les véhicules que nous croisions étant phares allumés. Jusqu'au moment où... plus de route, plus de fossés, plus de champs. BLANC PARTOUT ! Les alpes Suisses en plaine ! Orage de neige. Pas la fine pellicule, non non. La bonne couche épaisse, ça devait pas tomber depuis dix minutes!
On a réussi à faire demi-tour sans se bourrer, et on est rentré sur paname et son soleil.
Eh oui. Je ne sais plus si c'était le 1er ou le 8 mai, mais bloqué par une tempête de neige en Normandie au mois de mai, c'est peu banal.
16-06-2016 16:09Tu te souviens du mec en... 900 CBR(?) qu'on avait croisé et qui nous faisait des grands signes : "n'y allez pas ! c'est une piège !".
'tain d'emploi du temps : il m'a fallu attendre vendredi pour lire la kronik du mardi. Pffff.
17-06-2016 11:57On voit bien le pouvoir de l'imagination : le kronikeur évoque des situations parfaitement imaginaires, loin de nos préoccupations actuelles et nous fait rêver (« Si seulement on pouvait avoir un peu d'eau, ça ferait du bien aux jardins...»).
M'enfin, on a quand-même eu du pot : il aurait pu pleuvoir.
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Une vraie maladie, cette façon de se dire << mais non, pas besoin de combi aujourd'hui...>> et pan, c'est toujours là que ça vous tombe dessus à seaux
11-07-2016 10:03